ERDOGAN EN AFRIQUE : AMBITION ET DIVERSION
Combien de temps Erdogan pourra-t-il continuer à faire valoir sa stratégie de fuite en avant économique en interne et de son expansionnisme sur la scène internationale ?
Le troisième sommet du partenariat Turquie-Afrique s’est tenu à Istanbul les 17 et 18 décembre dans un contexte particulièrement délicat pour le président turc. En interne, Erdogan traverse l’une des phases économiques les plus compliquées de son règne. À l’international, le bellicisme du maitre d’Ankara le met dans des situations conflictuelles qui lui imposent tensions diplomatiques et dépenses budgétaires difficilement tenables. Mais ce sommet est grevé par la politique turque en Libye où Erdogan veut s’imposer avec la Russie comme un prétendant à la tutelle régionale. La posture turque met à mal les diplomaties des pays qui, à l’instar de la Tunisie et de l’Algérie, militent en faveur de la souveraineté des Libyens sur leur destin tout en se déclarant satisfaits de leur partenariat avec Ankara.
Combien de temps Erdogan pourra-t-il continuer à faire valoir sa stratégie de fuite en avant économique en interne et de son expansionnisme sur la scène internationale ?
Longtemps dépeint comme un étalon politico-économique des pays émergents qui revendiquait le leadership de l’internationale des frères musulmans, le régime de Recep Tayyip Erdogan vacille. Malgré l’impressionnante croissance de 7,4% enregistrée au 3ème trimestre 2021 et une hausse des exportations, les observateurs ne cachent pas leurs inquiétudes face à l’évolution de l’économie turque à court terme. En effet, la croissance du PIB est due à une forte consommation des ménages – encouragée par un accès aux crédits facilité par la faiblesse des taux d’intérêt – et de l’excédent de la balance commerciale, conséquence de la dépréciation de la livre turque face au dollar. Depuis le début de l’année, la succession de dévaluations induit une baisse drastique du pouvoir d’achat frappé de plein fouet par une inflation de près de 20%. Les experts des institutions financières internationales prédisent que dès l’année prochaine, pareil climat ne manquera pas d’avoir des répercussions sur la croissance.
La propagande officielle qui vante le recourt à la baisse des taux d’intérêt en vue d’accroître la compétitivité des entreprises ne semble pas convaincre les analystes alors que les autorités affirment que le rôle de producteur mondial, jadis dévolu à la Chine, reviendrait désormais à la Turquie. Fantasme ou fuite en avant ? Peut-être les deux.
Ces revers économiques sont accompagnés par de sévères déroutes électorales du camp Erdogan qui a vu les principales villes du pays à l’image d’Istanbul, Ankara, Izmir et Antalya passer sous la coupe de l’opposition.
La stratégie qui flatte un nationalisme à fleur de peau a ses limites électorales et inconvénients budgétaires. Les dépenses militaires exorbitantes hypothèquent durablement les perspectives du développement national.
Le chant du cygne ?
Attitude propre aux régimes autoritaires, Erdogan compense ses déconvenues domestiques, par des manœuvres de diversions à l’extérieur. Sa politique aléatoire en interne est en effet aggravée par un expansionnisme assumé, parfois belliqueux, comme ce fut notamment le cas au Haut Karabach en 2020 ou dans les eaux territoriales grecques pendant l’été 2020. Autre sujet dont les aléas pèsent chaque jour un peu plus sur le pouvoir turc : ses ambiguïtés vis à vis de l’Otan alors qu’il en fut un membre stratégique pour l’Occident. Enfin, le dossier de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne n’a jamais connu un blocage aussi manifeste que depuis l’avènement d’Erdogan dont les milices multiplient le prosélytisme et les actions commandos dans nombre de villes européennes.
Mais, dans l’immédiat, c’est l’intervention de l’administration Erdogan en Libye qui risque de perturber des investissements stratégiques remontant au début de son mandat. Cette intrusion brouille la volonté affichée d’établir des relations stables et mutuellement fécondes avec un continent africain sur lequel le président turc compte pour rétablir une économie à la dérive.
Par ailleurs, le parrainage de l’internationale islamiste des Frères musulmans demande toujours plus de gages pour s’assurer la fidélité de chapelles toujours promptes à citer le régime turc comme un exemple à suivre. Les prétentions de l’homme qui veut rétablir le Khalifat contrastent avec une chute de popularité record qui risque de compromettre sa réélection en 2023.
L’observation de la vie politique turque révèle une situation déclinante d’un homme qui a exercé un pouvoir sans partage pendant 19 ans.