POUTINE AU MALI : BAMAKO CONTRE KIEV
Quinze pays occidentaux viennent de rendre public ce jeudi 23 décembre un communiqué dans lequel ils « regrettent profondément la décision des autorités de transition maliennes d’utiliser les fonds publics déjà limités pour rétribuer des mercenaires étrangers ». Ils appellent nominativement la Russie à « se comporter de manière responsable et constructive dans la région. »
La perspective de la présence des milices privées russes au Mali agite les chancelleries occidentales. Les deux hommes forts de la junte militaire malienne, les colonels Assimi Goïta et le russophile Sadio Camara soufflent le chaud et le froid quant à la future conception de la sécurité de leur pays.
Annoncée à plusieurs reprises, la décision de laisser les troupes Wagner s’installer au Mali n’a jamais été confirmée officiellement par les autorités de transition composées de jeunes officiers qui ne font cependant pas mystère de leur volonté de changer de stratégies et d’alliances géopolitiques. Sans assumer formellement un accord, les colonels maliens ne démentent pas non plus la possibilité de relancer une coopération militaire avec la Russie, son « allié historique », comme cela était déjà le cas dans les années 60 au temps de Modibo Keïta.
Les milices Wagner accusées d’exactions en Centre-Afrique, en Syrie, en Libye ou en Ukraine ont déjà fait l’objet de sanctions de la part de l’Union européenne. Ces troupes sont certes sulfureuses mais elles permettent à Poutine de disposer d’un levier de manœuvre sur des terrains où il lui est difficile d’envoyer son armée régulière.
La France avait fait savoir que le déploiement de ces groupes de mercenaires au Mali serait une ligne rouge. Cependant, depuis quelques jours, des médias français comme Marianne ou le Parisien donnent pour acquis l’arrivée de Wagner au Mali.
Ces derniers temps, on a vu en effet se multiplier les rotations de gros porteurs de l’armée russe débarquant des blindés et autres matériels militaires sur l’aéroport de Bamako. Cette activité a donc conduit 15 pays occidentaux, dont l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la France, l’Italie, le Portugal, la République Tchèque, la Lituanie, la Norvège, la Suède, le Royaume Uni, la Roumanie et le Canada à dénoncer explicitement la Russie.
Aussitôt après ce coup de semonce diplomatique, les jeunes putschistes maliens rompent le silence. Ils démentent « catégoriquement » l’implantation de Wagner au Mali mais confirment l’implication d’éléments russes dans l’instruction et l’encadrement de l’armée malienne. Ce qui en soi est un changement de cap majeur dans une zone où l’armée française avait de tout temps imposé sa présence.
La pénétration russe en Afrique subsaharienne survient sur un fond de défiance anti française qui prospère au Sahel et plus particulièrement au Mali ces deux dernières années.
Sur cet antagonisme franco-africain se greffe aussi la crise algéro-marocaine. Pendant que Rabat renforce ses relations avec les capitales occidentales et Israël, Alger qui resserre des liens déjà denses avec Moscou salue par médias interposés l’arrivée des milices russes à ses frontières.
Jusqu’où oseront aller les militaires maliens ? Quel est le seuil de pression que se fixe Moscou en Afrique francophone ? Négocier au Sahel la récupération de certains territoires perdus par la défunte URSS en Europe centrale semble être le pari engagé par Poutine. Le déploiement de plus de 150.000 hommes aux frontières de l’Ukraine est un deal. Le retrait russe du Mali et, plus généralement du Sahel, a un prix : le renoncement de l’Union européenne à intégrer dans sa zone d’influence l’Ukraine. Après la récupération de la Crimée, la satellisation de la Bélarussie, la mise sous cloche du Caucase à travers la parcellarisation de la Géorgie arrive l’encerclement de l’Ukraine. Ce n’est pas tout à fait le remembrement de l’empire soviétique mais ça y ressemble.
Les Africains du nord comme ceux du sud du Sahara, ont-ils pris la mesure des implications de ces stratégies ?