AFFAIRE PEGASUS : ISRAËL DÉDOUANE LE MAROC
Dans une interview publiée le 27 décembre par le quotidien français le Monde, le ministre israélien des Affaires étrangères Yaïr LAPID, qui sera premier ministre à l’été 2023, est longuement revenu sur l’affaire Pegasus. L’on sait que dès que le scandale éclata, le Maroc fut accusé d’avoir mis sur écoute des personnalités françaises dont le chef de l’État Emmanuel Macron ainsi que des milliers de citoyens et dirigeants algériens. Pour ce qui concerne sa présumée implication dans la mise sur écoute des Français, le Maroc avait déposé plainte pour diffamation à Paris contre Forbidden stories (un consortium de dix-sept rédactions qui avait travaillé sur le dossier Pegasus) et Amnesty international.
La question concernant l’écoute du président français par le Maroc fut abrupte : « Le renseignement marocain a-t-il piraté un téléphone du président Emmanuel Macron à l’aide de Pegasus… ?». Après avoir fait l’éloge du chef de l’État français dont il se dit être un ami personnel, Yaïr LAPID assure que rien qui « puisse lui nuire » n’aurait été fait, ajoutant que NSO group (entreprise qui a conçu et commercialisé le logiciel espion Pegasus) est privée et « qu’autant qu’il soit possible de le dire, personne n’a écouté le président ». Les Israéliens détenant en dernier ressort le contrôle du processus de gestion de Pegasus exonèrent ainsi indirectement le Maroc d’une délicate présomption de culpabilité qui le met face à un de ses alliés historiques.
Quand le journaliste insiste pour dire que « Des traces d’actions malveillantes de Pegasus ont cependant été décelées sur des téléphones d’officiels français… », le ministre israélien, plus à l’aise, dès lors que l’allié marocain n’était plus directement en cause vis-à-vis de Macron, concède : « Alors, c’est un crime », expliquant que si quelqu’un « a mal agi », il doit être poursuivi par la justice… ». Exercice délicat mais le message recherché était passé. La déculpabilisation du Maroc dans ce qui était, au départ, une affaire d’État est instillé et les éventuelles poursuites engagées, si tant est qu’elles soient retenues dans un procès – qui ne se tiendra probablement pas avant deux ans – ne concerneraient, de toutes façons, que des seconds couteaux.
Le redéploiement géopolitique entamé par le Maroc depuis une année avec ses considérables répercussions économiques, sécuritaires, diplomatiques et géopolitiques ne sera vraisemblablement pas entravé par un problème que, dans un premier temps, certains commentateurs n’hésitèrent pas à comparer à une seconde affaire Ben Barka.
L’évolution de l’affaire Pegasus vient confirmer l’hypothèse d’une segmentation binaire en Afrique du Nord où, pour l’instant, deux camps irréconciliables s’affrontent. D’un côté, les USA, la France, Israël et le Maroc ; de l’autre, la Russie, la Turquie et l’Algérie qui tente d’associer à ses choix une Tunisie traditionnellement pro-occidentale.
Pour l’heure, la Chine qui a fort à faire avec ses visées sur Formose et, plus généralement, le renforcement de sa puissance hégémonique en Asie du sud compte les points. L’empire du Milieu se contente d’augmenter ses parts de marché en Afrique du Nord sans manifester ouvertement de velléités expansionnistes dans la région.