dimanche, décembre 3, 2023
Politique

LA TUNISIE MÉRITE MIEUX Par Saïd SADI

« À travers l’arrestation de Noureddine Bhiri, Kaïs Saïed s’attaque à l’hydre islamiste ». C’est cette paradoxale prophétie, publiée ce 31 décembre, qu’un site d’information tunisien offre en cadeau de réveillon à ses lecteurs. Les précautions subsidiaires prises pour déplorer les conditions cavalières de l’interpellation et la mise en résidence surveillée* – sans aucune information des instances judiciaires du pays, mais confirmée par un communiqué laconique du ministère de l’intérieur – de l’ancien ministre de la justice et néanmoins figure historique de l’islamisme tunisien ne changent rien à ce qui est bel et bien une manifestation de plus d’une dérive despotique dont, nationaux et voisins, ont le devoir de prendre la juste mesure.

Le coup de force commis le 25 juillet dernier par le président Kaïs Saïed, avait été spontanément salué par une partie non négligeable de l’opinion publique. Si pour les couches populaires, notamment la jeunesse, revenues du populisme et de la démagogie islamistes, la réaction pouvait se comprendre ; la complaisance voire l’enthousiasme des personnalités du camp démocratique avait surpris celles et ceux qui ont toujours considéré que le pays de Bourguiba, en plus de l’accomplissement de son devenir propre, avait aussi vocation à servir de repère pour la construction de la cité démocratique dans notre région, maintenant que le prurit tiers-mondiste et l’absolutisme monarchique qui avaient respectivement aliéné l’Algérie et le Maroc depuis leurs indépendances sont enfin passés de mode.  

Les élites tunisiennes qui se sont fait violence pour banaliser sinon légitimer la décision de leur président justifiaient leur posture par la nécessité de débarrasser la Tunisie de l’islamisme et, subséquemment, estimaient-elles, lui éviter les affres algériennes des années 90 par une intervention en amont. 

Quelle pertinence peut être accordée à cette approche ? 

Dans sa formulation et par des déclinaisons qui se vérifient quasiment chaque jour, la vision de Kaïs Saïed n’est pas fondamentalement moins islamiste que celle d’Ennahdha. Pour preuve, le sort réservé aux conclusions de la commission COLIBE confiée par le défunt président Beji Caïd Essebci à la féministe Bouchra Belhadj Hmida qui avait, fait unique dans l’aire musulmane, enfin consacré l’égalité successorale. Dès le début de son mandat, Kaïs affirme le 13 aout 2020, journée de la femme en Tunisie, qu’en matière successorale, le texte coranique était clair et impératif et que le débat sur l’égalité dans l’héritage n’avait plus lieu d’être. Si l’on ajoute la mystique qui inspire un pouvoir ne reconnaissant que Dieu pour arbitre et la sollicitation du peuple anonyme comme partenaire dans une concertation directe qui n’est pas sans rappeler le kadhafisme qui a infantilisé le voisin libyen quarante ans durant, on ne peut qu’être désappointé par celles et ceux, de moins en moins nombreux il est vrai, qui cultivent encore la méthode Coué sur une démarche autocratique dont le seul mérite est d’avancer à visage découvert. 

L’histoire contemporaine enseigne qu’au début au moins, la dictature a toujours bénéficié de la distraction, la démission, la complaisance ou, pire, la compromission de franges plus ou moins importantes de démocrates pour anesthésier la vigilance de leurs concitoyens et duper les partenaires étrangers, amis des peuples qui en seront victimes. Quand survient le sursaut, il est généralement trop tard.   

Que vaut la comparaison avec la situation algérienne des années 90 ? 

Le FIS avait publiquement déclaré vouloir « instaurer la charia, abolir la constitution, interdire les partis socialistes… » et exigé des citoyens leur soumission aux habitudes vestimentaires et culinaires des nouveaux maîtres avant d’adouber un mouvement insurrectionnel armé. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’assimilation des tentations autoritaires d’Ennahdha aux oukases du parti intégriste algérien est excessive. Par ailleurs, il se dit que le mouvement de Ghannouchi ne serait pas innocent des assassinats de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi. Il y a encore en Tunisie la possibilité d’une justice suffisamment crédible et indépendante – que d’ailleurs Kaïs Saïed s’emploie à asservir – pour, si toutefois on lui en laisse la latitude, traiter en toute équité les dossiers des deux martyrs. 

Abuser de façon aussi outrancière du pouvoir d’Etat pour réduire au silence un dirigeant d’un mouvement islamiste à la dérive est la meilleure façon de ressusciter des idées et des conduites condamnées par la gestion aussi indigente que prédatrice de son parti. Le FIS ou les niches qui ne désespèrent pas de le remettre dans le jeu politique ne revendiquent maintenant ni « la mort des impies » ni l’instauration de la théocratie et ne déclarent plus que « la démocratie est kofr ». Aujourd’hui, thuriféraires et affidés du parti dissout ne jouent que la partition de la victimisation au point de mener une campagne négationniste effrénée sur les charniers qu’il a commis.

Quitte à étudier le cas algérien, autant ne pas prendre l’affaire par le mauvais bout. 

L’Algérien qui signe ce texte s’est rendu il y a bien longtemps à Tunis pour consulter des hommes comme Saddedine Zmirli, Khamaïes Chemari et Mohamed Charfi pour créer la Ligue algérienne des droits de l’homme. Il se donne le droit de s’immiscer dans les affaires tunisiennes et invite ses frères de l’est et de l’ouest à en faire autant sur son pays. 

Au prix de leur liberté et, pour certains, de leurs vies, des militants ont inlassablement travaillé à ce que le tropisme algérien soit aspiré par la pédagogie tunisienne, particulièrement en ce qui concerne la condition de la femme et le maintien de l’armée dans les casernes. Pour la Tunisie comme pour l’Afrique du Nord et même toute la Méditerranée occidentale, nous devons tout faire pour empêcher le mouvement inverse de contrarier notre destin.  

* Voir adn-med :  L’ancien ministre de la justice « kidnappé » par la police 

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