« MANIÈRE DE VOIR » (MONDE DIPLOMATIQUE) : LE MAGHREB EN DANGER
La livraison de février-mars 2022 du bimestriel « Manière de voir » du Monde Diplomatique, coordonnée par Akram Belkaid, est dans les kiosques. Elle est consacrée à l’Afrique du Nord avec un titre sans équivoque « Maghreb en danger ». Une vingtaine de contributeurs de diverses sensibilités y ont signé des textes denses, résolument ancrés dans la géopolitique régionale mais qui, et c’est sans doute cela le plus appréciable, restituent ce sous-continent dans sa profondeur historique et ses diverses potentialités – pour l’instant contrariées – attendues par les peuples. Approche dont la cohérence globalisante donne un éclairage pertinent à des problématiques qui dégénèrent vers la chronicité. Le constat est froid :
« Au cœur du combat anticolonial, la promesse d’un Maghreb uni cimentait les discours des nationalistes algériens, marocains et tunisiens. Un seul peuple, une culture et des langues communes sans oublier une même religion permettaient d’espérer une intégration régionale aisée. Las, au lendemain des indépendances, les contentieux frontaliers et les rivalités politiques se chargent de briser le rêve unitaire. »
Les différends opposant des systèmes oligarchiques et des dirigeants aux ambitions mal contenues ont clairement mis à mal un ensemble que tout invitait à se construire. Pour autant, et au final, l’ensemble des articles dévoile bien cette alchimie fragile mais tenace, qui permet de voir les peuples, pourtant tous peu ou prou muselés, refuser la fatalité des déchirements. Si les orages grondent, des rappels décrivant des avancées substantielles viennent souligner que des solutions existent quand l’envergure d’un dirigeant ou un apaisement conjoncturel permet d’ouvrir une fenêtre. Il en est ainsi de l’exemplaire règlement du contentieux frontalier qui minait les relations entre l’Algérie et la Tunisie. Une manière de suggérer que dans l’absolu, la tension algéro-marocaine n’est pas une fatalité. Un fil rouge court tout au long de ce numéro : pour peu que les aspirations démocratiques partagées par les peuples trouvent des vecteurs et des acteurs qui leur permettent de peser collectivement sur les centres de décisions, l’espoir demeure permis. Les énumérations des échecs des soulèvements ayant secoué les trois pays ne disent pas autre chose.
« Plus de six décennies après les indépendances, les pouvoirs maghrébins semblent ignorer les revendications politiques et identitaires de leurs peuples. La révolution tunisienne de 2011 puis le Hirak de 2017 au Maroc et celui de 2019 en Algérie ont pourtant démontré que l’espérance démocratique reste forte. Les rares acquis demeurant fragiles, la contestation n’est pas près de disparaître. »
Et pour faire bonne mesure, on peut retrouver, dans cette édition, des référents qui travaillent les trois pays en profondeur sans pour autant recevoir l’attention qu’appelle la force qui inspire et anime ces sujets.
« En tamazight, la langue berbère, Tamazgha désigne une vaste aire géographique qui va des îles Canaries à la partie occidentale de l’Égypte (oasis de Siwa) et englobe l’actuelle bande sahélienne (Mauritanie, Mali, Niger). Il s’agit des zones de peuplement historique des populations berbérophones d’Afrique du Nord. Nombre de Maghrébins souhaitent aujourd’hui que cette appellation remplace l’expression « Maghreb arabe », qui, selon eux, nie l’identité berbère de leur région, notamment dans sa partie centrale. »
Les pouvoirs gérontocratiques, le sens de la révolte du Rif, l’affirmation amazigh, l’incertitude qui pèse sur la neutralité tunisienne, l’irruption d’Israël dans la région, la course à l’armement, les vraies causes de l’exacerbation des tensions entre Alger et Rabat, l’apparition et l’effondrement du Hirak algérien…Les dossiers, bien que traités par des auteurs aux convictions diverses, apportent tous quelque chose au débat sur un espace qui, sans avoir emprunté les chemins qui lui étaient prédestinés, n’en évolue pas moins vite. Peut-être trop.
Le lecteur profane comme l’expert auront besoin et plaisir à s’immerger dans ce numéro dont l’exhaustivité ne nivelle pas la qualité de l’information.