BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE-INSTITUT DU MONDE ARABE : UN COLLOQUE SUR LA COLONISATION QUI PASSE MAL
Il y a fort à parier que la polémique ne fait que commencer. La Bibliothèque nationale de France, BNF et l’Institut du Monde arabe (IMA), a organisé du 20 au 22 janvier un colloque prolongeant le rapport demandé par de chef de l’État français à l’historien Benjamin Stora sur le thème « Oppositions intellectuelles à la colonisation et la guerre d’Algérie » qui suscite une vive tension pour ne pas dire un tollé dans le monde universitaire et médiatique. L’universitaire Gérard Prévost déplore que « certains intellectuels et historiens qui ont accompagné la lutte de libération (algérienne) y participent, surtout avec d’autres qui, d’une façon ou d’une autre, ont soutenu la colonisation. Ils n’auraient pas dû ! » écrit-il, avant d’ajouter que cette présence revenait à être « complice d’une mauvaise action qui pousse vers l’air du temps zemourien ».
Le sociologue Aissa Kadri avait, pour sa part, donné son accord dans un premier temps avant de se désister. Dans un long texte il donne les raisons scientifiques, méthodologiques et déontologiques qui l’ont conduit à ne pas s’impliquer dans cette rencontre. « L’introduction de personnalités dont les positions ont été pour certaines, fortement ambiguës (Tocqueville, Urbain, Tillon, Camus, Aron) et pour d’autres, clairement affichées pour la colonisation et la répression (Soustelle) a changé la philosophie générale du colloque. Exposant sa conception de l’approche historique, Aissa Kadri précise sa pensée : « En effet, un colloque académique, dont la problématique aurait été plus claire, proposant par exemple comme titre « les déchirements intellectuels à propos de la guerre d’Algérie » ou prenant en compte plus explicitement, aussi bien les opposants à la guerre et au colonialisme, que les partisans de la colonisation et de l’Algérie française, avec un débat ouvert, aurait été sans doute plus franchement clivant, mais aurait eu le mérite, dans le contexte délétère actuel, de mieux éclairer les travestissements désinhibés de l’entreprise coloniale et d’une guerre où la répression a revêtu les formes les plus intolérables d’atteinte aux droits humains. Les personnalités dont je souhaitais parler, ont défendu l’honneur d’une certaine France et n’auraient pas sans doute pas pardonné, pour ceux décédés, que leurs noms soient associés à ceux qui ont fait de la répression leur seul argument et arme ».
L’universitaire porte également un regard critique sur une forme d’improvisation qu’il rapproche d’une procédure qui n’a pas contribué à éclairer loyalement les intervenants : « L’intrusion de personnalités partisanes de la répression dans le programme complet et définitif reçu tardivement, change la perspective d’approche et peut être comprise par un large public, comme une tentative de révisionnisme qui n’est pas clairement assumée ».
Plus grave, Aïssa Kadri voit dans « la mise en avant de thuriféraires affirmés de la colonisation et d’acteurs de la répression et l’absence d’évocation (…) de certaines personnalités emblématiques (…) à l’exemple de monseigneur Duval, de Pierre Chaulet, d’Alice Cherki, du général Pierre Paris de la Bollardière, d’Annie Steiner, d’Yves Dechezelles… » … « interroge sur les présupposés politiques d’une telle rencontre. »
Les reproches de forme et de fond se conjuguent pour, une fois de plus, alerter sur une initiative frappée du péché originel du refus de la clarté qui prétend donner une lecture blanche de la guerre d’Algérie ; alors que ce drame de la seconde moitié du vingtième siècle ne peut être vécu de façon identique et donc restitué de la même façon par les deux parties.
Reste à traiter une question lancinante, pour l’heure demeurée sans réponse : pourquoi cet acharnement à raboter ou masquer la complexité d’une histoire tragique au risque d’en perpétuer les malentendus sur lesquels prospèrent manipulations historiques et instrumentalisations politiques alors que seul un traitement sain et adulte peut conduire à des relations apaisées dans le futur.
Nous y reviendrons.