ALGÉRIE : LE MALI BÉNÉFICIAIRE DES VACCINO-SCÉPTIQUES ALGÉRIENS
Quatre cargaisons de denrées alimentaires, de vaccins et d’oxygène ont été envoyées à partir de l’aéroport militaire de Boufarik par avions cargos pour venir en aide « au peuple malien frère », selon les termes du ministère de la défense algérienne. Au total ce sont 108 tonnes d’aide alimentaire et 400.000 doses de vaccins qui ont été ainsi acheminées en moins d’une semaine. Les dons de produits alimentaires ont évidemment vocation à soulager Bamako des sanctions infligées par la CEDEAO au régime militaire malien auquel le pouvoir algérien entend témoigner sympathie et disponibilité pour coller à la reconfiguration géopolitique du Sahel, notamment depuis le putsch survenu lundi dernier à Ouagadougou. En revanche, la livraison de vaccins cache une réalité plus prosaïque : les autorités algériennes ne parviennent pas à convaincre les populations d’adhérer à leur politique de vaccination. Et les stocks de vaccins périmés s’amoncèlent dans les dépôts.
« Le rejet de la vaccination est massif et il nous arrive souvent de jeter des doses périmées » se désole ce responsable d’un centre de vaccination de la banlieue est d’Alger.
La situation sanitaire est si chaotique que depuis quelques jours, le pouvoir politique, qui a longtemps nié une réalité sanitaire dégradée, menace maintenant de sévir autant contre les administrations – accusées de ne pas montrer assez de dynamisme dans les campagnes de tests et de vaccinations – que face à l’indiscipline des citoyens. Les médecins qui s’indignent du sort fait aux personnels soignants n’hésitent plus à contester ouvertement les données des sources officielles. « Il faut multiplier au minimum par dix pour se rapprocher de la réalité du terrain en termes de contaminations », alerte le docteur Lyes Merabet, président du syndicat des praticiens de la santé publique SNPSP qui s’est confié ce mercredi au site TSA.
Les avis de sociologues, quand ils sont exprimés publiquement, divergent. Pour certains la dépression post-hirak a créé une sorte de désillusion qui s’est traduite par un laisser-aller dans la vie quotidienne, une espèce de renoncement à tout, y compris à la vie. Pour d’autres, la méfiance opposée au vaccin est au contraire une défiance envers tout ce qui vient du pouvoir auquel est désormais assimilée toute l’administration publique.
« Les confrères et leurs collaborateurs ont tout essayé : passer le message par les enseignants pour atteindre les familles, faire des sorties dans les quartiers ou les villages, sensibiliser le monde du travail…force est de constater qu’il y a une résistance passive mais massive à nos appels. Et pourtant les établissements de santé sont sous pression et les gens meurent parce qu’il y a sans doute encore une proportion importante de variant « delta » chez nous », conclut Karim, jeune médecin de l’hôpital Mustapha qui savoure sa journée de récupération. « Du coup, on envoie les vaccins à nos voisins avant péremption. En espérant qu’eux en feront bon usage…et qu’ils nous en seront un jour reconnaissants », ajoute mi dépité mi capricieux, le praticien.
En réalité, le système de santé, vanté il y a un mois par le chef de l’État comme étant « l’un des meilleurs sinon le meilleur d’Afrique » est débordé. Les hôpitaux sont saturés, les pharmaciens servent des malades sans ordonnances et testent de façon tout aussi anarchique. Le marché des faux certificats de vaccination est un secret de Polichinelle et il n’est pas rare que des malades testés positifs repartent chez eux et disparaissent dans la nature.
Avant même que les langues ne se délient, nombreux étaient les observateurs qui savaient que les statistiques officielles étaient biaisées. Un responsable du ministère de la santé qui a requis l’anonymat convient lui-même de la légèreté de la communication de l’administration centrale « Comment déclarer que l’on a enregistré 10, 100, 300 ou 1.000 nouveaux cas si l’on ne teste pas massivement et sur des échantillons représentatifs de la population ? Du coup, nous avons perdu la confiance de nos patients et, plus généralement, de la population ».
À cette désorganisation s’ajoute l’incohérence des mesures prises par les pouvoirs publics. Les écoles ont été fermées mais dans les marchés, les rues, les usines ou les administrations, les gens se côtoient sans masques sans pour autant être inquiétés par les services de sécurité ou rappelés à l’ordre par leurs responsables.