AFRIQUE DU NORD. CONFÉRENCE DE TANGER : QUELLES LEÇONS POUR AUJOURD’HUI ? Par Kamel AMARI*
Dans un contexte régional marqué par la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc, il est peut-être utile de revisiter certains évènements de l’aire nord-africaine dont l’histoire politique fut marquée, on a trop tendance à l’oublier, par la volonté de construire la Fédération des pays d’Afrique du Nord.
La proclamation du premier novembre et la plate-forme de la Soummam ont clairement assumé la communauté du destin nord-africain. La conférence qui s’est tenue du 27 au 30 avril 1958 à Tanger avec la participation des partis politiques représentant les peuples de trois pays (Tunisie, Algérie, Maroc) en l’occurrence le Destour, le FLN et l’Istiqlal, en a traduit les implications institutionnelles. Rappeler les résolutions de cette rencontre organisée en pleine guerre d’indépendance d’Algérie est à la fois une manière de révéler la régression qui touche une zone destinée à vivre et avancer solidairement et de rappeler les possibilités qui lui furent offertes.
Le premier axe des résolutions de Tanger fut le soutien inconditionnel au dernier peuple en lutte dans la région et auquel fut reconnu ‘’le droit imprescriptible… à la souveraineté et à l’indépendance, seule condition de la solution du conflit franco-algérien‘’. Il fut recommandé en outre de constituer un gouvernement algérien et que ‘’les partis politiques apporteront au peuple algérien en lutte pour son indépendance le soutien total de leurs peuples et l’appui de leurs gouvernements’’. Enfin, il fut proclamé que la conférence ne reconnaissait que le FLN comme « seul représentant de l’Algérie combattante » au moment où la France coloniale ne désespérait pas de réintroduire dans le jeu politique le MNA de Messali qu’elle soutenait politiquement et matériellement.
Par ailleurs, les signataires avaient dénoncé le soutien de certaines puissances occidentales à la France que ce soit sur un plan financier ou militaire, ce qui représentait un danger pour ’’la paix et la coopération internationale’’.
Une autre exigence portait sur la cessation des opérations militaires à partir des territoires marocains et tunisiens car ces manœuvres portaient atteinte à la souveraineté de deux pays indépendants.
Enfin, et en terme prospectifs, c’était le sujet le plus important, la résolution préconisait de saisir l’opportunité de la solidarité apportée à l’indépendance algérienne afin de projeter les institutions de la Fédération des États d’Afrique du Nord. Cette forme d’organisation fut définie comme la mieux indiquée pour répondre aux ‘’réalités des pays participants’’. Pour ce faire, il fut décidé de mettre en place un secrétariat permanent pour superviser l’application des résolutions issues de la Conférence.
Quels enseignements peut-on tirer de cet évènement dans le contexte régional actuel ?
En dépit de quelques tentatives de se regrouper autour des sigles comme l’UMA (Union du Maghreb Arabe) dont le sigle traduisait une politique panarabiste exclusiviste puisqu’elle niait la dimension amazighe, il est rapidement apparu que les régimes de la contrée se souciaient plus de leur survie que de la recherche de solutions crédibles et rationnelles avec des visions claires, des stratégies définissant des priorités et des objectifs réalistes pour assurer la paix et le développement de la région.
Le fédéralisme est, par définition, une délégation de certains pouvoirs à une instance supérieure ; laquelle, en retour, transmet des responsabilités exécutoires à des échelons de responsabilités nationaux ou régionaux. Seuls des Hommes d’État qui ont le sens de la vision historique et la légitimité politique de leurs peuples peuvent consentir ces partages ou ces transferts d’autorité. Or les mécanismes de la construction des régimes post-coloniaux ont, d’une façon ou d’une autre, placé à la tête des trois pays des hommes de pouvoir plus que des hommes d’État.
Au vu des expériences passées, une évidence se dégage : aucune convergence nord-africaine sérieuse ne pourrait voir le jour si la nature des régimes de cette région n’est pas repensée. C’est en ce sens que la transition démocratique demeure un préalable à toute solution durable qui garantirait un exercice politique où le citoyen serait la source primordiale.
En fait, le conflit algéro-marocain, amplifié par Alger pour des considérations politiques intérieures, est la traduction même de la gouvernance non démocratique qui consiste à invoquer ‘’l’ennemi extérieur‘’ pour consolider ‘’le front intérieur‘’ au nom de ‘’l’unité sacrée‘’ à chaque fois que la légitimité d’un régime est remise en cause. Une soixantaine d’années après les indépendances, aucun État n’a été érigé sur la base d’institutions conçues, construites et gérées à partir de la volonté populaire. Tout est le fait de la caste régnante choisie à partir d’affinités familiales, tribales ou claniques. Et les pouvoirs promus par la force déteignent sur la nature et le fonctionnement des administrations subalternes. La méritocratie qui caractérise le régime démocratique est supplantée par la cooptation ou le fait du prince. La confiance dans l’effort et la loyauté du commis de l’État s’en ressent ce qui impacte la performance des missions. Certes, le sous-développement d’un pays peut être aggravé par des interférences extérieures mais il a généralement pour cause première l’illégitimité du pouvoir national.
Dans son esprit, la résolution de la conférence de Tanger qui recommandait la création de la fédération nord-africaine est toujours d’actualité. Naturellement, le monde de 2022 n’est pas celui de 1958 dominé par la guerre froide et le panarabisme. Aujourd’hui, la multipolarité et les regroupements de nations s’imposent face aux replis nationalistes. C’est notamment le cas de l’Union Européenne (UE) qui tente d’échapper aux empires américains ou chinois.
Dans l’état de tension et de déni démocratique qui la caractérise, l’Afrique du Nord est vouée à subir les influences de superpuissances qui y soldent des différends qu’elles ne peuvent pas traiter frontalement. La présence russe au Mali renvoie pour partie aux revendications de Moscou sur l’Ukraine.
Le substrat amazigh, outre qu’il représente un référent historique et un ciment culturel aujourd’hui assumé par les peuples de la région, peut être le catalyseur qui fera démarrer une dynamique de développement qui peut corriger des approches et décisions dogmatiques qui ont, jusque-là, arrimé cette région à l’Orient qui y voyait une province inachevée ou l’Occident auquel elle servirait de zone d’influence conquise une fois pour toute. L’Afrique du Nord qui a survécu à sept grandes invasions n’est ni l’Orient ni l’Occident. Le respect du pluralisme politique, culturel et cultuel n’est pas seulement une question éthique ; il s’impose en tant qu’adn nord-africain qui a su absorber les affluents de diverses cultures ; c’est aussi la meilleure méthode pour s’éduquer à la tolérance, condition du vivre-ensemble apaisé, fécond et harmonieux.
Pour conclure, la perspective historique du fédéralisme nord-africain est inéluctable pour résoudre les réalités complexes actuelles engendrées par des choix politiques irrationnels. La notion de ‘’ temps long ‘’ de Fernand Braudel répond au contexte qui nous occupe. Cette force régionale potentielle doit être révélée à elle-même car elle est la seule voie pour sortir d’une impasse que rien ne justifie.
En ce sens, adn-med.com doit prospérer et se développer. Grace à ce media, beaucoup d’entre nous apprennent enfin à découvrir la vie publique de leurs voisins ; c’est la meilleure façon de préparer par la base et le concret le rassemblement que les pouvoirs d’État n’ont pas pu ou voulu réaliser.
* Kamel AMARI : journaliste.