AFRIQUE DU NORD : LA GUERRE EN UKRAINE IMPACTE DÉJÀ NOS VIES
Ce mercredi, la Tunisie a voté pour la résolution onusienne condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie alors que l’Algérie s’est abstenue et que la Maroc n’a pas pris part au vote. Trois pays que tout doit rassembler adoptent trois positions différentes sur une question qui suscite un large consensus dans la communauté internationale.
La guerre habite déjà notre quotidien. Individuellement et collectivement.
Il y a bien sûr les expatriés des trois pays, essentiellement des étudiants, qui sont piégés en Ukraine. Beaucoup ont été frappés dans leur jeunesse par des drames dont on n’a pas fini d’évaluer les couts immédiats et plus lointains aussi bien sur les concernés que leurs familles. Des vies perdues, des traumatismes à surmonter, des carrières payées par d’immenses sacrifices brisées… Mais les effets de ce conflit nous aspirent aussi collectivement. En tant que sociétés et États.
Dans leurs discussions intimes, nos concitoyens font rejaillir l’éternel débat : que veut et que peut vraiment Poutine dans la marche du monde ? Son offensive est-elle tolérable ? Le fait que le peuple ukrainien refuse sa protection n’est-il pas un échec fondamental de son régime et du mode de vie qu’il impose à son propre pays ? Aux moments décisifs, c’est sur cette ultime vérité et cette vérité seule que se construiront les choix et les vraies mobilisations des uns et des autres. Paradoxalement, ce n’est pas forcément chez les élites nord-africaines, globalement captives d’un tiers-mondisme figé dans une posture convenue (l’Occident a mis la Russie en situation de devoir occuper l’Ukraine…), que l’on trouve les échanges les plus adaptés à la lecture des évènements. Au café, chez le coiffeur, avec un chauffeur de taxi, au bain maure ou au bureau, on entend dire simplement : « Je n’ai pas envie de vivre sous le pouvoir d’un dirigeant qui n’a qu’Al Assad, les putschistes maliens, les autocrates algériens ou les généraux soudanais qui tirent sur la foule comme soutiens ou partenaires. » Prosaïque, la parole n’en situe pas moins la vraie problématique posée par l’invasion de l’Ukraine. Au-delà de l’indépendance d’un pays qui ne connait que trop les effets des satellisations imposées, il se joue, sous nos yeux, une séquence qui remet en scène le choix de vie auquel a droit d’aspirer tout être humain.
Mais par-delà le difficile débat citoyen qui s’empare brusquement de nos sociétés, les répliques du coup de force de Vladimir Poutine disloquent un peu plus les cadres institutionnels de notre région.
En laissant un peu de marge de manœuvre à ses collaborateurs sur la scène internationale, Kaïs Saïed, quasiment au ban des nations, veut s’acheter une respectabilité que lui interdisent ses errances. Pour lui, cet alignement peut constituer un sursis et, pourquoi pas, un permis d’abuser davantage. Le jour même où la Tunisie se rangeait aux côtés des nations civilisées à New York, la justice militaire mettait sous mandat de dépôt l’ancien bâtonnier pour des motifs spécieux.
L’abstention de l’Algérie à l’ONU est un double message : assumer une fidélité historique envers Moscou, son principal fournisseur d’armes, mais aussi, on serait tenté de dire surtout, affirmer une affiliation au poutinisme, brutalement remis au goût du jour après la mise en berne du Hirak.
La Maroc qui s’était prononcé pour le respect de l’intégrité territoriale des nations n’a néanmoins, pas participé au vote. Prenant de plein fouet l’explosion des prix du baril et du blé, il se trouve sur un volcan. Or la Russie exporte les deux produits. Un pays dont le renouvellement géostratégique le prépare à frapper, à terme, aux portes de l’OTAN se doit de ménager un pouvoir qui est aux antipodes de son positionnement historique. La raison ? Ses graves disparités sociales l’exposent à des réactions populaires imprévisibles. Sans compter que ces dernières peuvent être instrumentalisées par des forces politiques hostiles aux nouveaux choix doctrinaux du Royaume.
L’Afrique du nord va-t-elle encore manquer un tournant qui va redessiner le nouveau monde ? Les pouvoirs en place l’y engagent. L’aveuglement des dirigeants oblige encore plus les élites.