dimanche, décembre 3, 2023
Politique

TUNISIE. LA JUSTICE MILITAIRE ENVOIE EN PRISON L’ANCIEN BATONNIER ABDERRAZAK KILANI 

L’ancien bâtonnier Abderrazak Kilani a été mis sous mandat de dépôt par le juge d’instruction près le tribunal militaire de Tunis ce mercredi 2 mars 2022. Une première judiciaire qui a provoqué stupeur et indignation à Tunis. Des membres du barreau et des personnalités de tous les bords politiques ont aussitôt crié au scandale.  

Lui aussi ancien bâtonnier, Fadhel Mahfoudh a déclaré que ” l’émission d’un mandat de dépôt contre Me Abderrazak Kilani est une journée noire dans l’histoire des droits, des libertés et du barreau…”. 

L’avocate et féministe Bochra Belhaj Hmida, qui a elle-même échappé de justesse à une arrestation (Voir adn-med, Marzouki et Belhaj Hmida condamnés), a posté sur son compte twitter un message sobre et clair : « Immense scandale. »

L’avocat Hosni Beji qui contextualise la mise du mandat de dépôt émis contre Me Kilani relève que même Ben Ali n’avait pas osé entreprendre une telle action.

Le bâtonnier de l’ordre des avocats, Brahim Bouderbala, un des soutiens les plus actifs de Kaïs Saïed a été interpellé par de nombreux avocats sur sa lâcheté dans cette affaire. Il s’est contenté de répondre que les avocats de Maître Kilani n’avait qu’à faire appel, tout en affirmant qu’il était contre la poursuite en justice des civils devant les tribunaux militaires.

Dans la classe politique les condamnations sont tout aussi sévères. Opposant historique à Bourguiba puis Ben Ali, Ahmed Nejib Chebbi s’est insurgé contre cette mesure exceptionnelle qui le renvoie jusqu’à quarante ans en arrière. Pour lui cette affaire ne relève pas de la loi mais est un message qui s’adresse à tous ceux qui s’opposent au coup d’État de Kaïs Saïed.

L’ancien ministre et militant des droits de l’homme Ayachi Hammami appelle à la libération Abderrazak Kilani et à militer pour faire face au coup d’Etat 

Les raisons de cette indignation sont triples. C’est la première fois qu’un ancien bâtonnier est mis sous mandat de dépôt, l’accusation porte sur une altercation avec des membres des services de sécurité devant l’hôpital de Bizerte alors que Maître Kilani voulait rendre visite à son collègue et client Noureddine Bhiri qui observait une grève de la faim, c’est à dire au moment où il exerçait sa mission. Enfin, et c’est sans doute le plus grave pour les élites tunisiennes, l’abus est endossé à la justice militaire, ce qui constitue une instrumentation de Kaïs Saïed et qui peut peut-être interprété comme une aspiration formelle de l’armée dans le jeu politique, danger dont a su se prémunir jusqu’ici la Tunisie indépendante.  

Ce coup de tonnerre dans le ciel politique tunisien survient au moment où, par ailleurs, Carthage se démarque de la position algérienne dans le dossier ukrainien. En effet le jour même ou maitre Kilani dormait en prison, Tunis votait la résolution de l’ONU exigeant le retrait des troupes russes de l’Ukraine alors qu’Alger travaillait obstinément à dédouaner Moscou de son coup de force. Des observateurs avaient vu dans ce vote une volonté de Kaïs Saïed de se distinguer de son puissant voisin de l’ouest qui ne cachait pas sa solidarité active pour la gestion « ferme et responsable » du chef d’État tunisien. 

Les derniers sondages donnent au président KaÏs un incontestable avantage populaire alors que les mêmes citoyens déclarent majoritairement que le pays va dans la mauvaise direction. Un malentendu sur lequel surfe Kaïs Saïed. Il est déjà arrivé que l’Histoire tourne mal après un malentendu.

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