dimanche, décembre 3, 2023
Société

8 MARS EN AFRIQUE DU NORD : SYMBOLIQUES ET RÉALITÉS

Dans les trois pays, la journée internationale de la femme est célébrée sous divers angles. La raison de ces différences d’approches est simple : le statut juridique de la femme est propre à chaque pays. La nature de ces commémorations dit quelque chose de la situation politique des État. C’est d’ailleurs à travers ce sujet que peut s’apprécier l’état des libertés démocratiques dans une nation.

Dès l’indépendance du pays, Bourguiba avait fait de la question de l’émancipation féminine l’un de ses principaux chantiers. Après les dispositions législatives de 1956, qui marquent l’identité tunisienne, des amendements toujours plus favorables aux femmes sont venus compléter l’arsenal juridique le plus égalitaire du monde musulman. En 2017, Béji Caïd Essebsi avait chargé la juriste et féministe Bochra Belhaj Hmida d’engager la discussion sur la question, sensible parmi toutes, de l’égalité successorale. Une révolution à laquelle seule la disparition soudaine du chef de l’État tunisien mit un point d’arrêt. Une fois élu, Kaïs Saïed déclare s’en tenir à la lecture des prescriptions coraniques. La fermeture opposée par le président à cette revendication n’a pas pour autant éteint le combat.
Cette année encore, 52 associations parmi lesquelles la Ligue tunisienne des droits de l’homme ont signé un communiqué revenant sur la problématique de l’égalité successorale car, estiment les signataires « empêcher la femme d’accéder à sa succession s’apparente à de la violence financière ».  

Signe d’une évolution dépassant les rituels quelque peu folkloriques de certaines commémorations, les femmes tunisiennes marquent aussi ce 8 mars avec les pays membres de l’Union européenne par la thématique « Femmes tunisiennes, leaders de la transition écologique ».

On observe que malgré le recul sur la succession, la Tunisienne demeure plus active dans les débats intellectuels et les luttes sociales et politiques que ses voisines algériennes ou marocaines.

En Algérie, l’histoire de la condition féminine est assez paradoxale. L’engagement des femmes pendant la guerre de libération n’a pas laissé aux conservateurs de marge de manœuvre pour attenter à leurs droits en 1962. Néanmoins, Boumediène soucieux de ne pas ouvrir de front avec ce courant, veilla à ce qu’aucune décision officielle inscrivant dans le marbre des lois protégeant les droits des femmes ne soit prise. Certes, dans les diverses constitutions l’égalité des sexes est proclamée mais la référence à l’islam religion d’État autorise les interprétations les plus archaïques. C’est cette confusion juridique qui sera mise à profit par les fondamentalistes, encouragés par Chadli, pour faire adopter en juin 1984 un code de la famille qui réduit l’Algérienne à une mineure à vie. Une concession qui annonçait un rapprochement de la présidence avec le courant islamiste dont les conséquences allaient dégénérer au début des années 90.

Ce 8 mars, les officiels algériens diffusent des images des femmes en uniforme en train de défiler pour attester de la volonté du pouvoir d’intégrer les citoyennes dans l’armée, institution axiale du système politique algérien. Cette situation de fait qui ne repose sur aucune garantie juridique peut être remise en cause en fonction de l’évolution des rapports de force claniques ou d’une conjoncture politique tendue. La précarité de ce statut est illustrée de façon caricaturale par certains corps de métier. Ainsi, la magistrate peut présider en foulard un tribunal mais la policière qui est sous ses ordres est tenue de vêtir l’uniforme, casquette comprise. Idem pour l’hôtesse de l’air, astreinte à porter la tenue réglementaire de la compagnie qui l’emploie…

Au Maroc, la version de la Moudawana adoptée en 2004 représente une incontestable avancée. Elle place notamment la famille sous la coresponsabilité des époux et l’obligation d’obéissance de la femme au mari est abandonnée. Pour autant, des reculs périodiques sont enregistrés selon les accès de fièvre politique que traverse le royaume. Au Maroc comme ailleurs, les atteintes aux droits des femmes sont les symptômes d’une régression politique plus générale. Les dix années de gouvernement islamique n’échappent pas à la règle. Ces dernières années plusieurs femmes ont été déférées devant les tribunaux pour des questions relevant d’atteinte à la morale publique ou de comportements jugés provocateurs. Il est arrivé qu’un homme invectivant une jeune fille pour tenue inconvenante voit la police lui donner raison et la justice s’aligner sur ces bigoteries.

Une multitude d’associations de femmes s’emploie à veiller aux respects des droits que prescrit la loi. L’association démocratique des femmes du Maroc, l’association marocaine pour l’accompagnement de la femme et la famille, l’association marocaine contre la violence à l’égard des femmes, interviennent régulièrement dans la scène nationale. C’est, entre autres, le travail de ces associations qui ont permis de faire en sorte que les harcèlements sexuels subis par des étudiantes dans plusieurs universités soient enfin traités par la justice. (voir adn-med : harcèlement sexuel, des parlementaires se saisissent du dossier).

Cette année, le Maroc célèbre le 8 mars devant la sous-secrétaire d’État américaine, Wendy Sherman, invitée à prononcer un discours pour l’occasion.

Avantage commun aux trois pays, l’accès à l’école a changé la vie économique de nombreuses femmes. Des professions comme la magistrature, l’enseignement ou les professions paramédicales connaissent une féminisation remarquable.

Cependant, des contenus rétrogrades de certains programmes pèsent sur les acquis concrets des femmes et constituent fréquemment des sources d’aliénation. C’est aussi dans les universités que les islamistes recrutent leurs militantes les plus engagées.

Là encore, la Tunisie est la plus épargnée : la réforme de l’éducation mise en œuvre par le défunt Mohamed Charfi porte toujours ses fruits et demeure le meilleur bouclier de la région contre la marginalisation de la moitié de la société. Du moins pour l’instant. 

Dis-moi comment vit la femme chez toi, je te dirai quel peuple tu es.

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