TUNIS. FACE A FACE SAIED-GHANNOUCHI. L’EPREUVE DE VERITÉ ?
Ce lundi 28 mars, le bureau de l’assemblée des représentants du peuple (ARP) a décidé de convoquer une assemblée plénière le 30 mars afin d’annuler les mesures exceptionnelles prises par le chef de l’Etat depuis juillet 2021. Un palier supplémentaire dans une crise politique inédite en Tunisie puisque, selon plusieurs observateurs, l’initiative du président de l’ARP, Rached Ghannouchi (patron du mouvement Ennahdha) ne vise rien d’autre qu’à faire démettre de ses fonctions le président de la République.
Ces mêmes observateurs sont pour l’instant dans l’expectative car, en la circonstance, les dimensions politiques prévalent sur les aspects juridiques.
Le chef de l’Etat tunisien a incontestablement commis un acte anticonstitutionnel le 25 juillet 2021 en gelant les activités du parlement. Plus grave, la relative tolérance dont il a bénéficié de la part des partenaires étrangers n’a trouvé aucun écho chez un homme qui n’a pas cessé de piétiner les lois et de renier ses engagements, avec pour ligne politique lisible un seul objectif : s’accaparer tous les pouvoirs. En principe, le sort de Kaïs Saïed – qui vient d’essuyer un sérieux revers après l’échec de sa consultation populaire qui a recueilli à peine 7% de participation du corps électoral – est scellé ; ceci en plus du fait qu’il est isolé sur la scène internationale. En dépit d’un scénario apparemment écrit d’avance, la situation n’est pas si simple.
Trois raisons essentielles viennent contrebalancer une pression a priori ingérable pour le chef de l’Etat. La première est que celui qui veut rétablir l’ordre constitutionnel est l’homme qui a provoqué le discrédit politique de l’ARP et dont la côte de défiance auprès de la population est la plus forte (plus de 80%) selon tous les sondages. La deuxième est que Kais Saied, plus populiste que jamais, surfe sur une popularité que ses abus et incohérences ne semblent pas atteindre. Enfin malgré ses décisions illégales, le président a jusque-là réussi à s’assurer la disponibilité de l’armée et des services de sécurité.
Qu’en est-il concrètement ?
Si Ghannouchi a lancé son offensive, c’est parce qu’il s’est assuré du soutien des 109 députés requis pour garantir une base constitutionnelle à son objectif. On peut aussi considérer que l’internationale islamiste a pu faire le lobbying nécessaire sur la scène internationale, notamment aux Etats Unis, pour conférer à l’action du nahdhaoui une amplitude qui mette à mal une posture présidentielle déjà fragilisée par un nombre conséquent de prises de distance, dénonciations, voire en certaines occasions de condamnations de la part des principaux partenaires de la Tunisie.
La semaine dernière la sous-secrétaire d’Etat américaine chargée de la sécurité civile, de la démocratie et des Droits de l’Homme Uzra Zeya était à Tunis pour un checking de la situation institutionnelle du pays. La ministre américaine qui avait souhaité être reçue par Kaïs Saïed a dû se contenter d’une entrevue avec la cheffe du gouvernement Najda Bouden. Néanmoins le communiqué du Département d’Etat US après cette visite est sans appel : les Etats Unis sont préoccupés au sujet du processus démocratique et appellent au “respect des droits de l’homme y compris la liberté d’expression et d’association telle que stipulée dans la constitution (…) et à arrêter les poursuites de civils devant les tribunaux militaires et la poursuite d’individus dans des affaires relevant de la liberté d’expression”. Tout en rappelant l’importance d’un système judiciaire indépendant, le communiqué souligne le soutien des Etats Unis à l’instance supérieure indépendante des élections (ISIE) “constitutionnellement mandatée pour diriger le prochain référendum et les élections législatives”. Une mise en garde explicite aux partisans de Kais Saied qui réclament avec insistance la dissolution de l’ISIE depuis quelques semaines.
Un autre acteur, certes de moindre importance aux plans sécuritaire et économique que les USA, ne doit pas être négligé dans cette équation. Il s’agit de l’Algérie, un des rares partenaires à avoir l’oreille de Kais Saied. Les militaires algériens qui recommandent une certaine ouverture envers Ghannouchi sauront-ils provoquer un sursaut de lucidité chez un personnage jusque-là réfractaire à toute forme d’écoute ? Ou au contraire, Alger qui travaille à amener Tunis dans son espace géopolitique ne sera-t-il pas tenté d’encourager, à la faveur d’un environnement propice aux manœuvres politiciennes, un raidissement anti-américain déjà latent chez le président tunisien ?
Dernière question qui anime tous les salons tunisois : même si l’assemblée plénière devrait se dérouler en mode virtuel, que fera l’armée le 30 mars si Kais Saied lui demande de se déployer autour du parlement ? Difficile d’anticiper les décisions d’un homme insensible aux réalités du monde qui l’entoure.