TUNISIE. LES PURGES ASSUMÉES, KAIS SAIED RÉVOQUE 57 MAGISTRATS
En prononçant, à la surprise générale la révocation de 57 magistrats, le président Kais Saied assume son entreprise de démembrement de tous les leviers du pouvoir judiciaire. C’est par un décret présidentiel publié au journal officiel le 1 er juin autour de minuit – horaire de prédilection des activités présidentielles – que Kais Saied s’octroie une prérogative supplémentaire, celle de révoquer « tout magistrat en raison d’un fait qui lui est imputé et qui est de nature à compromettre la réputation du pouvoir judiciaire, son indépendance ou son bon fonctionnement. (…) Le décret n’est susceptible de recours qu’après le prononcé d’un jugement pénal irrévocable concernant les faits qui lui sont imputés ».
Jusque-là, par le décret de février 2022 relatif à la création du Conseil supérieur provisoire de la magistrature (CSM) – que le décret du 1 er juin vient modifier- le pouvoir de révocation était détenu par ce Conseil. Visiblement le président ne fait même plus confiance au CSM provisoire dont il a pourtant lui-même nommé tous les membres il y a à peine 3 mois.
Quelques heures plus tôt, dans une véhémente diatribe contre les juges, prononcée en conseil des ministres, il avait appelé à une purge urgente et nécessaire de la magistrature infestée, selon lui, de magistrats qu’il accuse pêle-mêle de corruption, de protection de terroristes et de personnalités politiques, d’implication dans des affaires de contrebande, d’entrave au fonctionnement de la justice, de harcèlement, d’affaires de mœurs, etc. Dans cette même intervention diffusée à la télévision, il a, une fois de plus, juré ses grands dieux qu’il n’avait nullement l’intention de s’immiscer dans le fonctionnement de la justice. Avec ce décret nocturne, il lui sera difficile de continuer à confesser ce genre d’allégations !
D’autant que les observateurs soulignent que certains des juges limogés auraient refusé d’appliquer les instructions de Kais Saied, notamment celles de procéder à l’arrestation des députés ayant tenu la séance plénière du parlement le 30 mars dernier qui avait annulé les mesures exceptionnelles prises par Kais Saied depuis le 25 juillet 2021. Parmi ces magistrats figurent le procureur général près la cour d’appel de Tunis et le procureur de la République auprès du tribunal de première instance de Tunis.
Condamné quasi unanimement par la profession, la société civile et la classe politique cet acte spectaculaire sert de démonstration de force à un président dont la feuille de route pour le référendum constitutionnel du 25 juillet vient de subir plusieurs revers. En interne d’abord avec la fin de non-recevoir cinglante que la centrale syndicale UGTT lui a renvoyée en réponse à sa « convocation au dialogue national » et à l’international avec un avis de la Commission de Venise (Commission européenne pour la démocratie par le droit, organe consultatif du Conseil de l’Europe) sur demande de l’Union Européenne, qui relève la non-conformité de ce processus référendaire avec la constitution tunisienne et les standards internationaux. Dans un accès de colère dont il est coutumier, Kais Saied avait déclaré, il y a quelques jours, la Commission de Venise « personna non grata » en Tunisie.
Les Nations Unis ont exprimé, ce 2 juin, leur inquiétude par la voix de Stephan Dujarric, porte-parole du secrétaire général Antonio Guterres, qui a déclaré : « nous sommes préoccupés par l’évolution des évènements en Tunisie et nous suivons la situation avec la plus grande attention ».
Isolé chez les élites internes et chez les partenaires internationaux, Kais Saied sait pouvoir compter sur la « vox populi » qui applaudit la bravoure d’un « Zaim » qui veut assainir une justice corrompue et défendre la souveraineté du pays des ingérences extérieures.
Il demeure que ces incartades commencent à interroger le très complaisant voisin algérien, déjà en conflit ouvert avec le Maroc, qui ne souhaiterait pas voir se développer sur son flanc Est un autre foyer de tensions voire un possible chaos qu’annonce chaque jour un peu plus un chef d’Etat d’autant plus dangereux qu’il est dans un déni qui l’empêche de voir une dégradation socioéconomique qui pousse à l’extrême précarité un nombre de plus en plus important de catégories sociales. On sait que le Président algérien, en visite d’Etat en Italie le 26 mai avait proposé ses bons offices pour « aider la Tunisie à sortir de l’impasse » où elle se trouvait. Quand on se sait que Kaïs Saïed s’est fâché avec Rabat suite à l’abandon de la position de neutralité affichée par son pays sur le dossier du Sahara occidental, il est difficile de deviner chez lui une ligne stratégique cohérente, la seule qu’il offre étant son imprévisibilité.
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