TUNISIE-MAROC : LE SAHARA OCCIDENTAL ENVENIME LES RELATIONS
Le feu qui couvait lentement sous le tapis des relations Tuniso-marocaines vient de produire sa première étincelle. Le Maroc a décidé de rappeler son ambassadeur en Tunisie pour consultation et de ne pas participer au 8éme sommet de la TICAD -conférence Internationale de coopération Japon-Afrique- qui se tient en Tunisie les 27 et 28 août. L’ire de la monarchie chérifienne a été provoquée par la présence à cette réunion de la délégation de la République Sahraouie (RASD), et surtout l’accueil, avec tous les honneurs protocolaires, réservé par le président tunisien au président de la RASD, Brahim Ghali.
Le communiqué marocain, diffusé dans la soirée du 26 août, est particulièrement agressif : « Après avoir multiplié les positions et actes négatifs à l’égard du Royaume du Maroc et de ses intérêts supérieurs, l’attitude la Tunisie dans le cadre de la TICAD vient confirmer de manière flagrante son hostilité. En effet, la Tunisie contre l’avis du Japon et en violation du processus de préparation et des règles établies, a décidé unilatéralement d’inviter l’entité séparatiste. L’accueil réservé par le chef de l’Etat tunisien au chef de la milice séparatiste, est un acte grave et inédit, qui heurte profondément les sentiments du peuple marocain et de ses forces vives. »
La réaction du ministère des affaires étrangères tunisien ne se fit pas attendre et le ton du long communiqué, moins belliqueux mais aussi combatif que son homologue marocain, laisse présager une difficile résolution de la crise. Outre la fermeté du texte, la Tunisie a, elle aussi, décidé de rappeler son ambassadeur à Rabat pour consultation. « La Tunisie exprime son fort étonnement face aux déclarations du Royaume du Maroc, notamment l’affront inacceptable à l’encontre de la République tunisienne et les contre-vérités concernant la participation de la délégation de la République sahraouie démocratique à la TICAD. » Tunis qui souligne que « la Tunisie a maintenu sa totale neutralité sur la question du Sahara occidental dans le respect de la légitimité internationale » ajoute que l’invitation de la délégation sahraouie vient « en application des résolutions du Conseil exécutif de l’Union africaine », et rappelle que « la République sahraouie avait précédemment participé à la Ticad 6 tenue au Kenya en 2016 et à la Ticad 7 au Japon en 2019 ainsi qu’à d’autres évènements tel que le sommet Afrique-Europe tenu en février 2022 à Bruxelles. Le Maroc avait pris part à toutes ces rencontres. »
Au-delà des polémiques diplomatique et procédurière sur les mécanismes d’invitation des participants*, cet incident sans précédent entre les deux pays vient conforter la conviction des marocains, et de nombreux observateurs, que la position de neutralité observée de tout temps sur le dossier sahraoui par la Tunisie a connu une sensible inflexion depuis le rapprochement avec Alger entrepris par Kais Saied. Ce qui avait déjà provoqué l’irritation du pouvoir marocain lors de l’adoption de la résolution 2602 du conseil de sécurité sur le Sahara occidental en octobre dernier. Le Palais avait alors confié le soin à la presse, notamment les sites habituellement dédiés aux polémiques, de jouer la partition « Le Maroc n’oublie jamais. » Cette fois c’est le porte-parole du ministère marocain des affaires étrangères qui rappelle, dans une déclaration rapportée par la MAP le 27 août, « l’abstention surprenante et inexpliquée de la Tunisie [lors du vote de la résolution 2602] » et avertit que « la tradition d’hospitalité tunisienne ne peut en aucun cas s’appliquer aux ennemis des frères et amis qui ont toujours été aux côtés de la Tunisie dans les moments difficiles ».
Cette dernière phrase résonne fortement avec la récente interpellation par le souverain marocain des pays partenaires du Maroc qu’il exhortait le 20 août dernier à “clarifier” leur position sur la question du Sahara occidental et à le soutenir ” d’une manière qui ne prête à aucune équivoque”. « C’est clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats », insistait-il. L’injonction faite aux partenaires ne vaut-elle pas d’être adressée avec plus de détermination aux pays « frères » ? Tout indique que c’est la posture privilégiée par le Palais pour consolider par l’intransigeance sa doctrine sur la marocanité du Sahara.
Les deux capitales qui s’accusent mutuellement insistent certes pour dire que cette crise n’affecte en rien « les liens qui lient les deux peuples. » Mais comment la Tunisie qui renouvelle son « attachement à préserver ses relations amicales, fraternelles et historiques” avec le frère marocain résistera-t-elle à la surenchère diplomatique que ce dernier semble décidé à poursuivre? D’autant que Kais Saied ne bénéficie pas sur cette question de soutien populaire affirmé. Les internautes qui se sont exprimés sur les réseaux sociaux dès la soirée du 26 août ont pour une large part dénoncé un nouveau faux pas du pouvoir en place tandis que d’autres invoquaient la souveraineté de la décision tunisienne. L’absence de réaction de la classe politique, opposition comme pro Kais Saied, en dit long sur le malaise que cette crise inattendue suscite chez les Tunisiens. L’incident fera sûrement date et laissera des marques.
Une crise dont se serait certainement volontiers passé Emmanuel Marcon qui, au terme d’une visite à Alger, délicate certes mais qu’il estime prometteuse, devra plancher sur la possibilité de « rabibocher » les 2 voisins de l’Algérie. Laquelle est restée muette jusque-là. L’APS, agence de presse officielle algérienne, habituellement prompte à rebondir sur le moindre évènement concernant le Sahara occidental, n’a pas commenté cet incident diplomatique. Pour l’heure, c’est la RASD qui a réagi par communiqué dénonçant « la mise en œuvre d’agendas étrangers subversifs visant la paix et la stabilité dans la région…»
* Une note verbale de la mission japonaise à l’Union Africaine datée du 19 août informe la commission de l’Union africaine que la lettre d’invitation à la 8ème TICAD cosignée par le Premier ministre du Japon et le président de la république tunisienne est l’unique et authentique invitation sans laquelle aucune délégation ne sera autorisée à participer à la TICAD 8 et que cette invitation n’est pas destinée à l’entité mentionnée dans la note verbale du 10 août 2022 [à laquelle nous n’avons pas eu accès, NDLR]
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