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TRIBUNE : « ON VOUDRAIT NOUS FAIRE CROIRE QUE LE MAGHREB N’EST QU’UNE UTOPIE». Par Sana Ben Achour, Kamel Daoud et Leïla Slimani
La charte éditoriale de ADN-Med déclare dans son introduction que ce média est « initié par des patriotes démocrates tunisiens, algériens et marocains convaincus que l’heure est venue de doter l’Afrique du nord d’un espace d’information, d’expression et de débat libre affranchi de tout tabou. Ancré dans sa profondeur historique, assumant son environnement géopolitique, il veut s’inscrire dans le devenir démocratique commun de nos peuples ».
Une tribune publiée dans le Monde du 17 octobre, appel pressant à la construction citoyenne d’une « maison commune » des pays d’Afrique du Nord, nous semble converger pleinement avec les objectifs d’ADN-Med qui conclut sa charte éditoriale ainsi : » Notre droit et notre devoir en tant qu’élites nord-africaines est d’accueillir les voix de la raison et d’ouvrir les pistes qui conduisent à la fraternité, la paix et au développement démocratique. C’est ainsi que les sacrifices consentis par nos ainés pour la libération de nos territoires produiront enfin la liberté citoyenne sans laquelle nul combat ne vaut d’être engagé. » C’est pourquoi nous avons voulu relayer cette tribune signée Sana Ben Achour (Juriste), Kamel Daoud (Écrivain) et Leïla Slimani (Autrice), qui est ouverte à tous :
« On voudrait nous faire croire que le Maghreb n’est qu’une utopie »
De quoi seront faits nos lendemains ? Nous vivons dans un monde en crise. Un monde fracturé, piégé entre les radicalités, les populismes et les désespérances. Un monde où l’impensable, la guerre aux portes de l’Europe, est pourtant arrivé, rappelant la fragilité de la paix et des nations. Les générations futures vont devoir relever des défis que nous ne pouvons même pas imaginer : réchauffement climatique, immigration massive, crise démographique, effondrements populistes. Nous vivons des temps dangereux. Et c’est dans ce contexte anxiogène que nous percevons plus que jamais le gâchis que représente la non-intégration des pays du Maghreb, le risque faramineux et invisible que cela fait peser sur cette région.
Depuis quelques années, nous voyons les tensions grandir. Pas une semaine ne passe sans qu’un nouvel incident, une nouvelle polémique, ne vienne assombrir les relations entre nos pays. Nous nous désolons à l’idée que les futures générations de Marocains, d’Algériens, de Tunisiens, de Libyens, vivent en se tournant le dos, sans se connaître, sans se rencontrer, victimes de propagandes ou de préjugés. Ces générations sont prises en otage des différends politiques, ceux de l’histoire ou des géographies. On voudrait nous faire croire que le Maghreb n’est qu’une utopie, un horizon abandonné et que nous devrions accepter de vivre comme des îlots isolés, des tranchées d’indifférences.
Nous le savons tous, la non-intégration coûte cher à nos pays. La Commission économique pour l’Afrique des Nations unies considère qu’une union du Maghreb ferait gagner aux pays l’équivalent de 5 % de leurs produits intérieurs bruts cumulés. Mais, au-delà des chiffres, c’est une inquiétude bien plus large et profonde qui nous taraude. Celle de la violence, des conflits hérités et nourris. Celle de l’étincelle qui nous entraînerait dans un engrenage de destruction.
Prendre les mains qui se tendent
Nous avons pourtant beaucoup de choses en partage qui peuvent atténuer nos orages : des langues, une religion, notre histoire, des paysages, des combats et des solidarités ancestrales, et même un certain art de vivre. Nous ne sommes pas naïfs et nous savons aussi que nous avons nos spécificités, nos caractères propres et que des conflits longs et douloureux nous opposent. Mais il nous semble qu’il faut prendre toutes les mains qui se tendent et soutenir toutes les initiatives en faveur d’une meilleure intégration, d’une construction réaliste et lucide. Aujourd’hui, les irresponsabilités et les imprudences, les vanités et les désinformations ne font qu’attiser les tensions. On nous fabrique des guerres et nous sentons qu’il y a urgence à alerter, à donner voix à l’espoir et à la maturité. A se désolidariser du désastre. Aurons-nous le courage d’assumer nos erreurs et nos égoïsmes face aux générations à naître ?
De nombreux exemples, et l’Union européenne en est un, prouvent qu’aucun conflit n’est indépassable. Il y a tant à imaginer, tant à rêver pour les jeunesses du Maghreb ! Nous avons mieux à leur offrir que la mer pour cercueil. Imaginez qu’ils puissent exprimer ensemble les rêves qui les animent, et qu’ils puissent trouver des solutions communes aux préoccupations qui les touchent. Ce rêve maghrébin nous l’avons pour la culture, le sport, l’agriculture, les échanges commerciaux, les liens de sang…
Est-il si absurde, six décennies après les indépendances, de rêver d’une Coupe du monde au Maghreb, d’un TGV transmaghrébin, d’un Erasmus maghrébin ? Nos dirigeants ont une responsabilité historique, et ils se doivent de tout faire pour que les générations qui suivent vivent dans la paix et la prospérité, qu’elles ne soient plus prisonnières des rancunes d’autrefois. Cela ne pourra se faire sans avancer dans la voie de la démocratisation, sur les chemins des acceptations mutuelles et du dialogue. Nous nous devons, dans un monde de plus en plus concurrentiel, de retrouver un poids face à une Europe qui se referme. Nous devons nous protéger face à des menaces qui grossissent, notamment au Sahel. Dans nos propres pays, en crise de confiance et d’imaginaires, comment justifier ce non-Maghreb qui va appauvrir plus encore nos enfants ?
Alors que des voix appellent à la division, nous, premiers signataires de ce texte ouvert à tous, appelons à la raison, à la responsabilité et à la maturité. Cessons de cultiver nos haines plutôt que nos terres pour que ce Maghreb qu’ont rêvé nos ancêtres redevienne un horizon pour tous, au-delà des doutes de chacun.
Sana Ben Achour est professeure de droit public à la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis ; Kamel Daoud est écrivain et journaliste ; Leïla Slimani est autrice, prix Goncourt 2016 pour « Chanson douce » (Gallimard, 2016).
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UKRAINE : LA COUILLONNE, LE COUILLON ET LES COUILLONNÉS Par Mohamed BENHADDADI
Scientifique de réputation établie, Mohamed Benhaddadi installé au Québec s’exprime régulièrement sur les enjeux géopolitiques qui agitent notre monde.

Quand j’ai entendu le mot couillonné il y a quelques jours, j’étais interloqué que l’on puisse utiliser ce grossier terme, qui plus est, usité par une femme diplomate russe, maîtrisant parfaitement la langue de Molière. Vérification faite, c’est moi qui étais dans le champ, apparemment le mot n’est pas aussi vulgaire que ce que je pensais. D’ailleurs, Le Robert, Larousse et Google lui attribuent une multitude de synonymes : berner, duper, feinter, tromper, leurrer, mystifier, piéger, induire en erreur, rouler dans la farine, etc.
La diplomate en question parlait de son pays couillonné, roulé dans la farine par les Accords de Minsk, signés par Kiev et les républiques sécessionnistes de Donetsk et Louhansk et parrainés par la Russie, la France et l’Allemagne. Même s’ils sont désormais devenus caducs, je me fais toujours un vilain plaisir de rappeler en toute circonstance que l’essentiel des 12 points de l’accord de Minsk peut être résumé en une seule phrase idyllique : Kiev aurait pu retrouver le contrôle intégral de sa frontière avec la Russie, moyennant l’attribution d’une plus grande autonomie de gestion à la région du Donbass.
Normalement, il faut être un couillon pour être couillonné, ce qui n’est pas automatiquement le cas dans le présent conflit. En fait, les Russes sont connus pour leur excentricité légendaire avérée, mais ceux qui les dépeignent sous cet angle unique sont de mauvaise foi. Pour preuve, on a les défaites cuisantes qu’ils ont infligé à l’Allemagne hitlérienne, la France napoléonienne, la Turquie ottomane, la Suède et la Pologne qui, aujourd’hui encore, leur voue une animosité viscérale. Une lecture cohérente est que, si la Russie s’est fait couillonner à Minsk, cela veut dire implicitement qu’elle croyait à la solution politique, qu’elle n’avait pas en première intention l’objectif d’intervenir militairement, que les colonnes de chars à l’entrée de Kiev sont surtout la conséquence de l’absence d’un plan initial d’occupation, ce que conforte d’ailleurs leurs victoires historiques ci-dessus mentionnées, basées d’abord et avant tout sur la rationalité militaire et le peu d’improvisation en temps de guerre.
… Or, quelle ne fut la surprise d’apprendre le 7 décembre 2022 par la bouche de l’ancienne chancelière allemande, dans une interview au Die Zeit que « Les accords ont servi à…donner du temps précieux à l’Ukraine » pour se réarmer et se préparer à de nouvelles offensives au Donbass, suite aux déroutes subies tout au long de 2014. Ces propos ont été corroborés le même mois par son acolyte, le président français de l’époque qui, dans une interview au Kiev Independant a déclaré que les accords avaient « amené la Russie sur le terrain diplomatique, laissant à l’armée de Kiev le temps de se renforcer« . Même s’il n’est pas évident de distinguer qui est le maître d’œuvre de cette démarche machiavélique, cela n’a pas d’incidence sur les propos qui vont suivre.
Soucieuse essentiellement de son développement économique, l’Allemagne a créé elle-même, sur plusieurs décennies, son extrême dépendance vis-à-vis du gaz russe bon marché et disponible à grande échelle. Elle a grandement favorisé la construction de Nord Stream 1, avec un trajet via la mer Baltique qui contourne l’Ukraine dont les bisbilles avec la Russie ont commencé à apparaître bien avant1. Idem pour Nord Stream 2, sensé doubler les fournitures. Au Québec, l’image première que l’on se projette de l’Allemagne est la perfection de son ingénierie, symbolisée par sa machinerie et ses constructeurs automobiles. C’est aux antipodes de ses politiciens car, en plus des belligérants, s’il y a un pays qui avait un intérêt stratégique à faire respecter les Accords de Minsk, c’est l’Allemagne, ce qui semble ne pas avoir été suffisamment compris par ses décideurs. Dans les faits, ce géant économique aux pieds d’argile en politique s’est contenté de faire semblant, au lieu de montrer via ses Lander, les bienfaits de la décentralisation. En s’abstenant d’accompagner effectivement l’implémentation de cet Accord, Berlin a ainsi plus ou moins volontairement scié la branche sur laquelle elle était assise, un comportement de…couillonne.
Au Québec, l’image première que l’on se projette sur ceux avec lesquels nous partageons l’amour pour la langue de Molière est « grands parleurs, petits faiseurs ». Que de chemin parcouru entre « Les accords de Minsk sont la meilleure chance de protection de l’Ukraine » prononcé quelques jours avant la guerre et l’actuel « il ne faut pas humilier la Russie« . Comment un pays de 3e division, en termes d’armes nucléaires, peut-il dire à celui de 1ère division qu’il va le battre sans l’humilier, alors que l’arsenal nucléaire français (290 ogives) représente moins de 5 % de celui de la Russie (5 977 ogives). Eu égard à cette différence abyssale, il y a quelque part tromperie, à moins que l’on veuille juste blesser l’ours russe, tout en l’implorant de ne pas réagir. C’est burlesque de bâtir un narratif de victoire sur cette hypothèse, plus qu’improbable. Ceci dit, jusqu’à preuve du contraire, il y a lieu de donner le bénéfice du doute à l’actuel locataire de l’Élysée qui s’est démené les derniers jours pour « sauver » désespérément Minsk, signé par son prédécesseur. C’est ce dernier qui est probablement le plus faiblard président que son pays a connu car, avec son aveu sur Minsk, il confirme qu’il est davantage un amateur avéré de cour de filles, que de celui qui est capable de jouer dans la cour des grands, un comportement de…couillon
Pourtant, ensembles, la France et l’Allemagne auraient pu peser davantage sur l’Histoire en général et celle de l’Ukraine en particulier, en incitant cette dernière à faire sa part du chemin, ce qui aurait probablement évité la guerre actuelle et l’apocalypse de guerre nucléaire qui se dessine. En revanche, cela aurait occasionné une collision frontale avec les alliés Washington et Londres, comme au bon vieux temps de la guerre II en Irak. À Minsk, La France et l’Allemagne ont trichés, tout comme Washington et Londres ont trichés deux décennies en arrière sur les armes de destruction massive, avérées être un mensonge. Un peu partout, on sait désormais qui tire les ficelles, et l’histoire est en train de se répéter avec cette nuance de taille que la Russie ne peut pas être comparée à l’Irak.
La doctrine nucléaire russe « escalade pour une désescalade », rendue publique plusieurs années en arrière au grand courroux de Washington, consiste à faire usage en premier d’une arme nucléaire tactique de faible puissance pour reprendre l’avantage, en cas de conflit conventionnel avec les occidentaux. De toute évidence, cette doctrine prévoit la possibilité de recourir à des frappes nucléaires préventives si des territoires considérés comme russes sont attaqués, ce qui pourrait être le cas du Donbass (territoires de Donetsk et de Lougansk) et des zones occupées de Kherson et de Zaporijjia… En ces temps d’escalade dont on est au seuil de perdre le contrôle, en Occident, on ne peut pas invoquer qu’on ne le savait pas.
1M. Benhaddadi Crise énergétique Russie-Ukraine, Acte II, Journal Le Devoir, 13 janvier 2009
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OPINION : TUNISIE, L’ABSTENTION – SANCTION. Par Sana BEN ACHOUR*

Si l’abstention à 91.2 % n’est pas une sanction, de quoi donc est-elle le nom ?
Appelé à élire ses nouveaux députés à la nouvelle Assemblée des représentants du peuple (ARP), le peuple tunisien a boudé les urnes, en désertant massivement le scrutin avec une participation quasi nulle de 8.8%, soit, une abstention de 91,2% à la fermeture des bureaux de vote, le soir du 17 décembre 2022.
Menées tambour battant, depuis le coup de force de Kaïs Saïed du 25 juillet 2021, les élections ont tourné court. Seuls 803 638 votant-e- s (66% hommes, 34% femmes, à peine 5, 8% de jeunes de 18 à 25 ans et 26.7% de 26-60 ans) ont choisi de voter. L’échec était annoncé et la déconfiture fut cuisante. Ce taux à nul autre équivalent dans le monde est en vérité le résultat logique et prévisible d’un processus conduit de bout en bout par le pouvoir d’un seul, sans droit ou légitimité, contre les institutions démocratiques de l’Etat au prétexte de la nécessité.
Rien depuis n’a été épargné à une Tunisie exsangue et à un peuple frappé du deuil de ses 22000 morts au soir du coup d’Etat du 25 juillet 2021: ni la rhétorique complotiste, ni le culte de soi de « l’homme- peuple », ni le pathos sur l’égalité formelle et l’équité substantielle en direction des Tunisiennes, ni l’outrance sur la vraie et fausse démocratie, ni les falsifications de l’histoire et l’artifice des guerres de mémoires, ni les ambiguïtés sur « l’islam sa religion », ni le rejet du droit à l’égalité des femmes à l’héritage, ni la mise en scène de la pauvreté des femmes rurales, ni la haine des élites et des féministes, ni la violence du verbe, ni le silence complice sur la pandémie du COVID-19. Toutes les affres se sont conjuguées pour aboutir au naufrage : le blocage du serment, la non promulgation de loi sur la cour constitutionnelle, l’usage abusif de l’article 80 de la constitution sur l’état d’exception, la révocation du gouvernement et de son chef, le gel puis la dissolution de l’Assemblée élue des représentant-e-s du peuple, la levée de l’immunité parlementaire, la dissolution intempestive de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUC), les assignations à résidence surveillée, le décret 2021-117 relatif à l’innomée petite constitution sur les pouvoirs d’exception, la dissolution de l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de lois ( ISPCCL), l’interdiction du recours pour excès de pouvoirs contre les décrets-lois, la dissolution orchestrée du Conseil supérieur de la magistratures (CSM), la révocation des magistrat-e-s jeté-e-s en pâture à la vindicte populaire, la non-exécution des sursis à exécution juridictionnel.
Aucun effort n’a été ménagé pour mettre le pays dos au mur : passer outre les avertissements, subtiliser les institutions démocratiques, dont la constitution pour laquelle les martyrs ont versé leur sang, passer en force à la Nouvelle République fantasmée, constitutionnaliser par un tour de passe-passe et volte- face « maqassid al charia », s’arroger le statut incarné du chef- suprême-inspiré-et-bien-guidé placé au- dessus des lois. Qui ne se souvient du fiasco de la consultation électronique qui n’a recueilli que 500 000 voix, malgré son ouverture aux jeunes de 16 ans (soit à peine 4,4% du total de la population), du signal envoyé par la faible participation des femmes (à peine plus de 30% des inscrit·es), de la défection de la
Commission nationale consultative pour une Nouvelle République de ses principaux protagonistes, du camouflet des 70% de non-participation au référendum constitutionnel. Rien de ces rendez-vous ratés, dont on a ignoré les messages et les leçons, n’a arrêté la marche forcée vers une Assemblée parlementaire plus proche d’une chambre d’enregistrement et d’un lieu de la fragmentation communautaire de la souveraineté, que de la représentation de l’intérêt général de la Nation, de la citoyenneté et de ce qui fait sens de société ». Le scrutin uninominal et individuel à deux tours, les revirements sur la parité de candidatures, le fractionnement des circonscriptions électorales à l’échelle des délégations territoriales, l’éviction délibérée des partis politiques de la compétition, l’arrogante mise à l’écart des binationaux, la réduction de la parité entre les femmes et les hommes au parrainage des candidat-e-s, le chiffre immodéré des 400 parrainages, l’excentricité des campagnes individuelles, laprivatisation du financement, tout cela a anéanti l’espoir et a mené vers la vacance des sièges et l’abstention.
Comment dans ces conditions ne pas s’attendre à ce que le peuple tunisien résilient pourtant, mais fatiguée par les promesses trahies de bien-être économique et social, les surenchères sur la lutte contre la corruption, la prétendue maîtrise des prix des denrées, les négociations stériles avec le FMI, les finances publiques au plus bas, les descentes punitives contre les entreprises, les solutions arrêtées au défis des partenaires sociaux, les visites inopinées bien planifiées, les harangues à partir des locaux duministère de l’intérieur, les fausses annonces sur la restitution de l’argent volé, les chimères de l’appât de la conciliation pénale, les bains de foule d’un chef toujours en campagne, les guerres de clans et de sérail autour du pouvoir, la féroce répression des jeunes et des personnes discriminées par la pauvreté et les statuts minorés, se détourne en masse d’un scrutin en trompe-l’œil. Comment ne pas s’y attendre ?
Est-ce prendre les peuples pour ce qu’ils ne sont pas, des figurines dont on peut se jouer? Est-ce donc un non-évènement tel qu’il expliquerait le silence dans lequel se barricadent et se terrent les responsables ? Est-ce plutôt leur cécité ? N’a-t-on pas conscience de la régression du pays, de la misère qui plane et assombrit l’horizon, du désarroi d’un peuple mal gouverné, livré à la volonté impérieuse et au diktat d’un seul ?
Tunis, le 20/12/2022
* Sana BEN ACHOUR est professeure de droit public et militante féministe et des droits humains.
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TRIBUNE : « ON VOUDRAIT NOUS FAIRE CROIRE QUE LE MAGHREB N’EST QU’UNE UTOPIE». Par Sana Ben Achour, Kamel Daoud et Leïla Slimani

La charte éditoriale de ADN-Med déclare dans son introduction que ce média est « initié par des patriotes démocrates tunisiens, algériens et marocains convaincus que l’heure est venue de doter l’Afrique du nord d’un espace d’information, d’expression et de débat libre affranchi de tout tabou. Ancré dans sa profondeur historique, assumant son environnement géopolitique, il veut s’inscrire dans le devenir démocratique commun de nos peuples ».
Une tribune publiée dans le Monde du 17 octobre, appel pressant à la construction citoyenne d’une « maison commune » des pays d’Afrique du Nord, nous semble converger pleinement avec les objectifs d’ADN-Med qui conclut sa charte éditoriale ainsi : » Notre droit et notre devoir en tant qu’élites nord-africaines est d’accueillir les voix de la raison et d’ouvrir les pistes qui conduisent à la fraternité, la paix et au développement démocratique. C’est ainsi que les sacrifices consentis par nos ainés pour la libération de nos territoires produiront enfin la liberté citoyenne sans laquelle nul combat ne vaut d’être engagé. » C’est pourquoi nous avons voulu relayer cette tribune signée Sana Ben Achour (Juriste), Kamel Daoud (Écrivain) et Leïla Slimani (Autrice), qui est ouverte à tous :
« On voudrait nous faire croire que le Maghreb n’est qu’une utopie »
De quoi seront faits nos lendemains ? Nous vivons dans un monde en crise. Un monde fracturé, piégé entre les radicalités, les populismes et les désespérances. Un monde où l’impensable, la guerre aux portes de l’Europe, est pourtant arrivé, rappelant la fragilité de la paix et des nations. Les générations futures vont devoir relever des défis que nous ne pouvons même pas imaginer : réchauffement climatique, immigration massive, crise démographique, effondrements populistes. Nous vivons des temps dangereux. Et c’est dans ce contexte anxiogène que nous percevons plus que jamais le gâchis que représente la non-intégration des pays du Maghreb, le risque faramineux et invisible que cela fait peser sur cette région.
Depuis quelques années, nous voyons les tensions grandir. Pas une semaine ne passe sans qu’un nouvel incident, une nouvelle polémique, ne vienne assombrir les relations entre nos pays. Nous nous désolons à l’idée que les futures générations de Marocains, d’Algériens, de Tunisiens, de Libyens, vivent en se tournant le dos, sans se connaître, sans se rencontrer, victimes de propagandes ou de préjugés. Ces générations sont prises en otage des différends politiques, ceux de l’histoire ou des géographies. On voudrait nous faire croire que le Maghreb n’est qu’une utopie, un horizon abandonné et que nous devrions accepter de vivre comme des îlots isolés, des tranchées d’indifférences.
Nous le savons tous, la non-intégration coûte cher à nos pays. La Commission économique pour l’Afrique des Nations unies considère qu’une union du Maghreb ferait gagner aux pays l’équivalent de 5 % de leurs produits intérieurs bruts cumulés. Mais, au-delà des chiffres, c’est une inquiétude bien plus large et profonde qui nous taraude. Celle de la violence, des conflits hérités et nourris. Celle de l’étincelle qui nous entraînerait dans un engrenage de destruction.
Prendre les mains qui se tendent
Nous avons pourtant beaucoup de choses en partage qui peuvent atténuer nos orages : des langues, une religion, notre histoire, des paysages, des combats et des solidarités ancestrales, et même un certain art de vivre. Nous ne sommes pas naïfs et nous savons aussi que nous avons nos spécificités, nos caractères propres et que des conflits longs et douloureux nous opposent. Mais il nous semble qu’il faut prendre toutes les mains qui se tendent et soutenir toutes les initiatives en faveur d’une meilleure intégration, d’une construction réaliste et lucide. Aujourd’hui, les irresponsabilités et les imprudences, les vanités et les désinformations ne font qu’attiser les tensions. On nous fabrique des guerres et nous sentons qu’il y a urgence à alerter, à donner voix à l’espoir et à la maturité. A se désolidariser du désastre. Aurons-nous le courage d’assumer nos erreurs et nos égoïsmes face aux générations à naître ?
De nombreux exemples, et l’Union européenne en est un, prouvent qu’aucun conflit n’est indépassable. Il y a tant à imaginer, tant à rêver pour les jeunesses du Maghreb ! Nous avons mieux à leur offrir que la mer pour cercueil. Imaginez qu’ils puissent exprimer ensemble les rêves qui les animent, et qu’ils puissent trouver des solutions communes aux préoccupations qui les touchent. Ce rêve maghrébin nous l’avons pour la culture, le sport, l’agriculture, les échanges commerciaux, les liens de sang…
Est-il si absurde, six décennies après les indépendances, de rêver d’une Coupe du monde au Maghreb, d’un TGV transmaghrébin, d’un Erasmus maghrébin ? Nos dirigeants ont une responsabilité historique, et ils se doivent de tout faire pour que les générations qui suivent vivent dans la paix et la prospérité, qu’elles ne soient plus prisonnières des rancunes d’autrefois. Cela ne pourra se faire sans avancer dans la voie de la démocratisation, sur les chemins des acceptations mutuelles et du dialogue. Nous nous devons, dans un monde de plus en plus concurrentiel, de retrouver un poids face à une Europe qui se referme. Nous devons nous protéger face à des menaces qui grossissent, notamment au Sahel. Dans nos propres pays, en crise de confiance et d’imaginaires, comment justifier ce non-Maghreb qui va appauvrir plus encore nos enfants ?
Alors que des voix appellent à la division, nous, premiers signataires de ce texte ouvert à tous, appelons à la raison, à la responsabilité et à la maturité. Cessons de cultiver nos haines plutôt que nos terres pour que ce Maghreb qu’ont rêvé nos ancêtres redevienne un horizon pour tous, au-delà des doutes de chacun.
Sana Ben Achour est professeure de droit public à la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis ; Kamel Daoud est écrivain et journaliste ; Leïla Slimani est autrice, prix Goncourt 2016 pour « Chanson douce » (Gallimard, 2016).
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NUCLÉAIRE IRANIEN : ACCORD OU PAS D’ACCORD ? Par Mohamed BENHADDADI

Scientifique de réputation établie, Mohamed Benhaddadi installé au Québec s’exprime régulièrement sur les enjeux géopolitiques qui agitent notre monde.
Rétrospective : L’accord-cadre sur le nucléaire iranien signé à Vienne en 2015 avait pour but ultime de garantir le caractère civil du programme nucléaire iranien, en échange de la levée des sanctions économiques qui frappent ce pays. Il a été signé par l’Iran et les membres permanents du Conseil de sécurité (États-Unis, Chine, Russie, France et Royaume-Uni), en plus de l’Allemagne et de l’Union Européenne (UE).
En 2017, après les vérifications convenues, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) valide le respect par l’Iran de ses engagements, donnant ainsi son feu vert à la levée des sanctions. C’est ainsi que cet accord a induit un réchauffement des relations diplomatiques de l’Iran avec de nombreux pays occidentaux qui ont débloqué ses avoirs, alors que des dizaines d’entreprises se sont bousculées aux portes de Téhéran pour signer de juteux contrats, en particulier dans le domaine de l’énergie.
Cette embellie fut de courte durée car, dès mai 2018, D. Trump a annoncé le retrait unilatéral des États-Unis de cet accord et fait de la surenchère en augmentant le niveau des sanctions économiques contre l’Iran. La Russie et la Chine ont dénoncé cette violation du droit international alors que, par mesure de rétorsion, l’Iran s’est progressivement affranchi de ses obligations en reprenant, en 2019, l’enrichissement de l’uranium bien au-delà des limites fixées par l’accord et en réduisant, en 2021, l’accès de l’AIEA à ses sites.
Le point sur la situation actuelle et les points d’achoppement : Les États-Unis ont clairement manifesté leur disposition à réintégrer l’accord de 2015 dès l’élection de J. Biden et la nomination de Robert Malley comme chef de la délégation américaine aux négociations était un gage de bonne volonté, car c’est lui qui était le principal négociateur de l’accord de 2015. C’est ainsi qu’en 2021, de nouvelles négociations sont organisées entre les signataires, visant à remettre le processus sur les rails et un retour de l’ensemble des parties aux conditions de l’accord de Vienne. Lors de ces négociations, les Européens ont joué le rôle de médiateurs, puisque les Iraniens ont refusé tout échange direct avec les Américains, considérant que ces derniers sont sortis de l’accord et ne peuvent pas être présents à la table des négociations.
Certaines questions ont fait l’objet d’âpres négociations. Du côté de l’Iran, l’une des principales demandes a été la mise en place de garanties politiques du futur, dans la perspective de voir arriver en 2024 une nouvelle administration républicaine défavorable à tout accord. L’Iran souhaite s’assurer qu’advenant le cas, l’accord ne sera pas de nouveau unilatéralement dénoncé et que de nouvelles sanctions ne soient appliquées. Aussi, L’Iran a réclamé de l’AIEA la clôture de la question des sites non déclarés où, parait-il, des traces d’uranium enrichi avaient été trouvées car, pour ce pays, cette question dont elle fait une ligne rouge est purement technique et n’a pas de lien avec l’accord de 2015.
Selon les Américains, Téhéran a fait d’importantes concessions sur des points clés, ravivant ainsi les espoirs d’un retour à l’accord de 2015. L’Iran a, en effet, abandonné ses deux exigences relatives (i) à la levée de la désignation des Gardiens de la Révolution en tant qu’organisation terroriste, d’une part, et (ii) au blocage de certaines inspections de l’AIEA, d’autre part. Ce dernier sujet étant particulièrement sensible de part et d’autre, aucune information n’a filtré sur les sites en question. Par contre, les Américains conditionnent tout accord à ce que les inspections de l’AIEA restent en place « pour une durée indéterminée ».
Toujours est-il que les négociations ont progressé, probablement parce que les États-Unis et l’Iran ont dû se montrer flexibles pour avancer, en cherchant le compromis, tout en faisant de sorte que cela apparaisse comme une concession arrachée à l’autre. C’est grâce à cela que le 8 août 2022, l’UE a mis sur la table un document, arguant que « C’est le texte final… et il ne sera pas renégocié », espérant même son acceptation « dans les prochaines semaines », même si l’UE sait pertinemment qu’il sera passé au peigne fin car « derrière chaque question technique et chaque paragraphe se cache une décision politique qui doit être prise… » au plus haut sommet des deux pays qui négocient indirectement.
Sitôt ce document mis sur la table, l’Iran a demandé « quelques ajustements« non dévoilés à la proposition d’accord final de l’UE, ce que les autres participants avaient rapidement et globalement accepté, incluant dans un 1er temps l’UE. Les États-Unis ont également répondu aux ajustements réclamés par l’Iran au texte final soumis par l’UE qui en a informé Téhéran. L’Iran a examiné l’avis des États-Unis sur ses ajustements et a transmis son opinion au coordinateur de l’UE.
Accord ou pas d’accord ? Selon le représentant de l’UE aux négociations, « il existe un terrain d’entente…qui tient compte…des préoccupations de chacun« . Mais, cela n’empêche pas certains de voir la perspective d’un prochain retour à l’accord de 2015 s’éloigner, ce qui est alimenté par la proximité des élections de mi-mandat, avec un président américain soumis à une forte pression du parti républicain, de certains élus démocrates, du lobby juif AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) et d’Israël, tous hostiles à tout accord avec l’Iran. Après le chaud, les États-Unis soufflent désormais le froid, en parlant fin août de « questions en suspens« , puis en jugeant le 1er septembre que la réponse iranienne n’est « pas constructive« . Aussi, ces jours-ci, la presse occidentale fait un plus large écho aux rapports qui mentionnent que l’Iran dépasse la limite autorisée de son stock d’uranium faiblement enrichi, tout en accumulant de l’uranium enrichi jusqu’à 60 % et en réduisant l’accès de l’AIEA a ses sites. Toutefois, en fouinant, on constate que la double information sur les dépassements de la limite autorisée du stock d’uranium faiblement enrichi, tout comme l’enrichissement au-delà du niveau limite autorisé, n’est pas récente mais contenue dans deux rapports publiés, respectivement, le 1er et 8 juillet 2019 ! Aussi, le directeur de la CIA, tout comme l’ex-chef du renseignement militaire israélien, avaient publiquement déclaré dans un passé récent qu’il n’y avait aucune preuve que Téhéran envisagerait de développer des armements nucléaires, malgré le processus d’enrichissement d’uranium.
Par ailleurs, il faut savoir que les réticences de certains cercles ne sont pas récentes, puisque la droite républicaine et l’AIPAC sont montés aux barricades dès 2021, lors de la nomination de Robert Malley, nonobstant qu’avec lui, le monde était au moins rassuré qu’on n’allait pas refaire le coup des armes de destruction massive qui s’est avéré être un mensonge entretenu….
Ce qui est récent, c’est l’ampleur et la mobilisation de ces derniers jours, initiée par Israël, opposé à cet accord, tout comme il l’est à tout accord quel qu’il soit avec l’Iran qu’il menace même avec son sempiternel « Israël ne restera pas les bras croisés« . D’ailleurs, cette fin de semaine, la tension est montée d’un cran puisque les États-Unis parlent désormais le 9 septembre de « pas en arrière » de Téhéran, alors que le département d’État refuse toujours de répondre à la question de savoir si les Etats-Unis étaient prêts à approuver le plan final de l’UE. Il faut dire que l’AIEA est venue à bon escient à la rescousse des américains, en déclarant le 7 septembre qu’elle n’est « pas en mesure de garantir que le programme nucléaire iranien est exclusivement pacifique« , à cause probablement de la question des sites non déclarés. L’UE a tourné casaque le 10 septembre avec le communiqué conjoint fort peu diplomatique de Paris-Londres-Bonn, exprimant leur exaspération avec les « doutes » sur l’engagement de Téhéran à parvenir à un « résultat positif » dans les négociations pour relancer l’accord de 2015. L’expression tourner casaque dérive de l’italien voltare casacca, qui signifie changer d’uniforme et s’applique bien aux européens qui renient leur position médiane du mois d’août pour s’aligner sur celle des Américains en septembre, au grand bonheur des…israéliens qui s’en réjouissent publiquement en attribuant le mérite à leur pression. Ce comportement du couple franco-allemand n’a rien d’inédit puisqu’à Minsk aussi, ils étaient médiateurs avant de devenir des protagonistes de la guerre, en fournissant massivement les armes à l’Ukraine.
Comme quoi, l’Occident n’a jamais été aussi uni non seulement dans la guerre en Ukraine, mais aussi dans le dossier nucléaire iranien. À moins d’être un observateur dépourvu de bonne foi, force est de convenir que dans le cas de la guerre en Ukraine, l’occident n’a jamais été aussi seul devant le reste du monde. Dans le cas du dossier nucléaire iranien, même si c’est prématuré de faire un bilan, il est loin d’être exclu que l’on puisse assister de nouveau à un bis repetita de l’Occident versus le reste du monde.
Vienne, bis repetita de Minsk ? Quand les États-Unis se sont retirés de l’accord de Vienne, l’Iran s’est tourné vers les pays de l’UE pour s’assurer de la garantie de ses intérêts. C’est un euphémisme que de rappeler que le retrait des États-Unis de l’accord fut mal perçu par les Européens qui voulaient continuer à l’appliquer. D’ailleurs, ils ont même mis en place un instrument financier de créances visant à honorer les contrats conclus avec l’Iran hors de la zone dollar. Mais, comme d’habitude, la France et l’Allemagne se sont rapidement rendu compte de leur impuissance devant l’Amérique, déterminée à sanctionner toute entreprise occidentale qui fait affaire avec l’Iran. Ironie du sort, cet accord de 2015 rappelle à bien des égards celui signé la même année à Minsk et parrainé par la France-Allemagne. La guerre actuelle en Ukraine tire son essence du non-respect de l’accord de Minsk, auquel les États-Unis étaient plus que réticents…
Depuis que les États-Unis sont sortis de l’accord de Vienne et imposé de nouvelles sanctions à l’Iran, ce dernier pays aurait pu faire de même, sans qu’un observateur neutre ne trouve à redire. Mais, même s’il ne l’a pas fait, l’Iran a tout de même pris plusieurs mesures, depuis 2019, en violation de ses engagements de l’accord de 2015. Il n’est pas exclu que cela a été fait pour négocier en position de force, le moment venu.
Cette fin de semaine, l’Occident a décrété la mobilisation générale pour mettre l’Iran au pied du mur, en le rendant responsable unique de l’absence d’accord. Il n’est pas exclu que cela a été fait pour négocier en position de force les dernières concessions car le moment de vérité est arrivé.
Ce qui précède ressemble à une partie de poker menteur, ce jeu de dés fondé sur le bluff et la surenchère qui se joue entre l’Iran et les États-Unis, auxquels trois pays de l’UE viennent de se joindre. On dit du poker menteur qu’il trouve son piment à partir de cinq joueurs… Pourtant, s’il y a une leçon à tirer de la guerre actuelle en Ukraine à l’issue incertaine mais aux dégâts immenses, c’est qu’une entente, aussi imparfaite qu’elle puisse être, est bien meilleure que la belligérance qui pourrait enflammer et dégénérer, pas seulement cette région névralgique.
Débats
PÉTITION : SOLIDARITÉ AVEC SALMAN RUSHDIE

Plusieurs intellectuels et militants de la société civile tunisiens, algériens, marocains et de la diaspora nord africaine en Europe ont signé une pétition dénonçant la tentative d’assassinat dont a été victime l’écrivain Salman Rushdie.
Le 15 Août 2022
PETITION
NOUS REFUSONS QU’EN NOTRE NOM SOIT COMMIS LE CRIME
Nous, organisations, associations et personnalités indépendantes ayant en partage avec l’humanité toute entière les valeurs universelles de vie, d’égalité entre les êtres humains, de libertés fondamentales des peuples, des groupes et des individus sans discrimination ou exclusive ;
Face à la barbarie qui s’est abattue sur l’écrivain Salman Rushdie, le 12 août 2022, trente ans après sa mise à mort par ordre du guide l’ayatollah Khomeiny, au motif du blasphème et d’atteinte au sacré ;
Nous faisons des vœux pour qu’il vive et pour que sa plume ne tarisse pas.
Nous considérons de notre devoir de dénoncer l’odieuse agression commise contre lui au nom d’un islam défiguré, qui ne peut assouvir ses adeptes sanguinaires que par la haine, le sang, la mort et le chaos.
Nous refusons de garder le silence sur ces infamies commises au nom de l’Islam, patrimoine civilisationnel commun à l’humanité, qui n’admet pourtant ni médiateur, ni église. Nous refusons de mêler notre culture, nos valeurs humaines et nos noms à ces furieux qui sèment l’effroi et le déshonneur, en faisant taire par l’épée et le crime toute voix discordante, toute pensée libre, toute création culturelle, tout souffle novateur, toute différence et diversité.
Nous avons mené ce même combat dans nos pays pour que les libertés de conscience, de pensée, de religion, de culte, d’expression, de création littéraire, culturelle et artistique soient reconnues et respectées. Nous continuerons de le mener partout et ne céderons pas à la régression qui guette et au discours de haine qui se répand.
لن نسمح بأن تُرتكب الجريمة باسمنا
نحن، الجمعيات والمنظمات والشخصيات المستقلة، المؤمنة بالقيم الكونية كقيم مشتركة بين الانسانية جمعاء، قيم الحياة والسلام
والحرية والمساواة بين البشر والحريات الأساسية للشعوب والمجموعات والأفراد بلا تمييز ولا استثناء،
إثر جريمة الطعن التي استهدفت الروائي سلمان رشدي يوم 12 اوت 2022، بعد أكثر من ثلاثين سنة من اهدار دمه بفتوى من
الإمام آية الله الخميني بدعوى الكفر والمس من المقدسات،
– لا يسعنا إلا التنديد بهذه الجريمة البشعة التي ارتكبت باسم إسلام محرَّف ومشوّه من اجل تلبية شهوات بعض
المتعصبين العدوانيين الذين يحاولون شفاء غليل الحقد والكراهية الكامنة في عقيدتهم الفاسدة بسفك الدماء وإشاعة
الموت والإفساد في الأرض،
– نشجب حالة الصمت المخيّمة على الساحة السياسية والدينية والثقافية والإعلامية إزاء هذه الافعال المشينة التي ترتكب
باسم الدين الإسلامي، ونعتبر الاسلام تراثا مشتركا بين الإنسانية قاطبة، لا وصاية لأيِّ كان عليه ضرورة أنه لا
رهبانية فيه، دين لا وسائط فيه ولا إكليروس يحتكر قول الحقيقة
– نرفض إقحام ثقافتنا وقيمنا الانسانية وأسمائنا مع ما يشيعه هؤلاء المجرمين من إرهاب وبثّ الرعب والخوف والذعر
في النفوس التواقة للحرية، في محاولة يائسة لإخراس كل صوت مخالف وفكر حرّ، وإطفاء كل شمعة إبداع ثقافي
وخلق فني وابتكار علمي، ووأد بذور الاختلاف والتنوع ، وذلك بحدّ السيف وامتهان الجريمة،
– كما نذكّر اننا خضنا نضالات في بلادنا حتى تكون حرية الضمير والفكر والدين والعبادة والرأي والتعبير والإبداع
الفني والثقافي محلّ اعتراف واحترام الجميع.
نتعهّد بأننا على العهد مواصلون، النضال نهجنا، والعزيمة والإصرار للروح التي تحرّكنا، حتى لا يقع نكوص ولا تراجع، حتى
لا يسود خطاب الكراهية والعنف،
LISTE DES SIGNATAIRES
- Hela ABDELJAOUAD, Médecin, Militante des droits humains, Féministe.
- Maha ABDELHAMID, militante des droits humains.
- Adel ABDERAZAK, Universitaire et militant algérien du Hirak et des droits humains.
- Hicham ABDESSAMAD, Historien, militant des droits humains
- Soukeina ABDESSAMAD, Journaliste, militante des droits humains.
- Abderrahim AFARKI, Bibliothécaire, Paris.
- Hafedh AFFES, Militant associatif – Lille.
- Nadia AIT ZAI, Avocate, militante.
- Sanhaja AKROUF, Féministe, Militante associative.
- Mehdi Thomas ALLAL, cadre administratif
- Mourad ALLAL, Directeur de centre de formation, militant associatif.
- Tewfik ALLAL, Militant des droits humains et de l’immigration.
- Donia ALLANI, Défenseure des droits humains.
- Thouraya ANNABI, Médecin experte santé publique, militante associative.
- Hassan ARFAOUI, Journaliste, fondateur et ancien rédacteur en chef de la revue scientifique
de L’Institut du Monde Arabe à Paris (MARS). - Moez ATTIA, Ingénieur, journaliste, militant associatif des droits.
- Mohamed AYARI, Médecin, activiste société civile.
- Mehdi BACCOUCHE, Militant des droits humains.
- Naji BACCOUCHE, Universitaire juriste, ancien doyen de la faculté de Sfax.
- Brigitte BARDET-ALLAL, professeur de lettres.
- Aziz BARKAOUI, Ingénieur, militant des droits humains
- Anissa BARRAQ, Experte en Communication.
- Yagoutha BELGACEM, directrice artistique.
- Emna BEL HAJ YAHYA, Romancière.
- Fathi BEL HAJ YAHYA, Militant associatif, défenseur des droits.
- Ahlem BELHADJ, Pédopsychiatre, cheffe de service santé publique, féministe.
- Hedia BELHAJ, Médecin MPH, Présidente du Groupe Tawhida Ben Cheikh.
- Bochra BELHAJ HMIDA, Avocate, Présidente de la COLIBE, féministe, ancienne députée.
- Basset BELHASSEN, Militant des droits humains.
- Souhair BELHASSEN, Militante des droits, Présidente d’honneur de la FIDH.
- Farouk BELKEDDAR, Cadre retraité.
- Hédi BEN ABBES, Universitaire.
- Fayçal BEN ABDELLAH, Président de la Fédération tunisienne pour une citoyenneté des 2
rives (FTCR) - Slim BEN ABDESSALEM, Activiste politique et associatif.
- Sana BEN ACHOUR, Juriste universitaire, Présidente Association BEITY.
- Yadh BEN ACHOUR, Universitaire juriste, ancien doyen, membre du Comité des Nations
Unies des Droits civils et politiques - Rabâa BEN ACHOUR-ABDELKEFI, Universitaire, Romancière.
- Nihel BEN AMAR, professeur activiste
- Ali BEN AMEUR, Universitaire et militant des droits humains.
- Slim BEN ARFA, Militant politique et associatif.
- Bachir BEN BARKA, universitaire
- Madjid BENCHIKH, ancien doyen de la Faculté de droit d’Alger.
- Khalil BEN CHRIF, Cadre ONG.
- Kmar BEN DANA, Historienne.
- Monia BEN DJEMIA, Universitaire, professeure de droit, féministe.
- Hechmi BEN FRAJ, Militant, Perspectives El Amel Ettounsi.
- Taoufik BEN HADID, Architecte.
- Mouna BEN HALIMA, Activiste associative.
- Essma BEN HAMIDA, Cofondatrice Enda- interarabe.
- Mohsen BEN HENDA, Militant des droits humains.
- Jawhar BEN MBAREK, Universitaire juriste, militant des droits humains.
- Dalila BEN MBAREK-MSADDEK, Avocate, journaliste.
- Kamel BEN MESSAOUD, Professeur de droit, avocet.
- Ali BENSAAD, Professeur des Universités
- Mohamed BEN SAID, Médecin, militant des droits humains
- Souheila BEN SAID, Militante des droits humains.
- Sihem BEN SEDRINE, Militante, présidente Instance Vérité et Dignité.
- Raja BEN SLAMA, Universitaire spécialiste de la civilisation arabe.
- Karim BEN SMAIL, Editeur, Cérès Edition.
- Nedra BEN SMAIL, Psychologue clinicienne, militante associative.
- Rym BEN SMAIL, Universitaire, présidente Psychologue du monde Tunisie.
- Farhat BEN YOUNESS, Inspecteur de l’éducation civique.
- Sophie BESSIS, Historienne, auteure.
- Dorra BOUCHOUCHA, Productrice Cinéma.
- Taoufik BOUDERBALA, Ancien président du Comité national tunisien des droits de l’homme.
- Bouchra BOULOUIZ, Écrivaine marocaine.
- Soukeina BOURAOUI, Juriste, présidente de CAWTAR (Centre de la femme Arabe) .
- Anouar BRAHEM, Compositeur.
- Nadia CHAABANE, Militante politique, ancienne députée.
- Alia CHAMMARI, Avocate, militante féministe.
- Khémais CHAMMARI, Ancien ambassadeur, militant pour les droits humains.
- Taoufik CHAMMARI, Militant associatif.
- Hedi CHANCHABI, Directeur de centre de formation, militant associatif.
- Mounira CHAPOUTOT-REMADI, Universitaire historienne.
- Faouzia CHARFI, Universitaire physicienne, auteure.
- Fatma CHARFI, Pédopsychiatre, santé publique.
- Mounir CHARFI, Journaliste, politologue, Président de l’Observatoire National pour la
défense du caractère civil de l’Etat. - Hafedh CHEKIR, Démographe.
- Mohieddine CHERBIB, Défenseur des droits humains.
- Khadija CHERIF, Militante des droits humains, féministe.
- Moez CHERIF, médecin, Président de l’association Tunisienne de défense des droits des
enfants. - Alice CHERKI, Psychanalyste.
- Hazem CHIKHAOUI, militant des droits humains.
- Bachir DAHAK, Juriste.
- Ahmed DAHMANI, Universitaire.
- Frida DAHMANI, Journaliste.
- Nacer DJABI, Sociologue.
- Habiba DJAHNINE, réalisatrice.
- Lyès DJEBAÏLI, ingénieur.
- Mohsen DRIDI, Militant associatif.
- Mouna DRIDI, Universitaire juriste.
- Ali EL BAZ, Militant de l’immigration.
- Nadia EL FANI, Cinéaste.
- Fethi EL HADJALI, Militant des droits.
- Naceur EL IDRISSI, militant associatif
- Ihsane EL KADI, Journaliste.
- Driss EL KORCHI, Ingénieur, militant associatif (Belgique- Maroc) .
- Driss EL YAZAMI, Président de la Fondation euro-méditerranéenne de soutien aux défenseurs
des droits de l’Homme. - Mohamed ELLOUZE, militant.
- Ahmed ESSOUSI, Professeur de droit, Université de Sousse.
- Mohamed FELLAG, Comédien.
- Wahid FERCICHI, Professeur de droit, Université de Carthage, Président de l’ADLI.
- Claudette FERJANI, Retraitée
- Mohamed Chérif FERJANI, Universitaire
- Samia FRAOUES, Militante féministe
- Yosra FRAOUES, Avocate féministe, responsable MENA FIDH.
- Souad FRIKECH, présidente de l’Association des Marocains en France.
- Henda GAFSI, Urbaniste démocrate laïque.
- Ahmed GALAÏ, Militant des droits, président solidarité laïque méditerranée Tunisie.
- Mouldi GASSOUMI, Sociologue Université de Tunis.
- Asma GHACHEM, Juriste universitaire, vice doyenne.
- Ikbal GHARBI, Universitaire civilisation islamique.
- Najla GHARBI, Universitaire,
- Nasreddine GHOZALI, Professeur des Universités.
- Saloua GHRISSA, Universitaire-chercheure.
- Amel GRAMI, Universitaire.
- Zeineb GUEHISS, Militante féministe.
- Saloua GUIGA, Militante FemWise-Africa.
- Amel HADJADJ, présidente-fondatrice du journal féministe algérien.
- Salma HAJRI, Médecin.
- Mohamed-Ali HALOUANI, Philosophe, Militant associatif et politique.
- Saloua HAMROUNI, Juriste universitaire.
- Maher HANINE, Enseignant, militant associatif.
- Mohamed HARBI, Historien
- Miled HASSINI, Cadre retraité.
- Abderrahmane HAYANE, Réalisateur.
- Abdelkrim HIZAOUI, Professeur d’université
- Fathia HIZEM, Militante féministe.
- Chaïma ISSA, Universitaire, activiste.
- Saoussan JAADI, Militante féministe
- Afif JAÏDI, Magistrat.
- Emna JEBLAOUI, Militante associative.
- Narjes JEDIDI, Universitaire.
- Kamel JENDOUBI, ancien ministre des droits humains, militant des droits.
- Noureddine JOUINI, Professeur émérite.
- Zahia JOUIROU, Universitaire civilisation islamique.
- Hédia JRAD, Militante et féministe.
- Neyla JRAD, Militante féministe.
- Meryem KALLAL, Artiste peintre.
- Mohamed KANDRICHE, Sociologue, militant associatif.
- Raoudha KARAFI, Défenseure des droits humains.
- Abdessalam KEKLI, Universitaire
- Myriam KENDSI, artiste peintre.
- Mongi KHADROUI, Journaliste.
- Tahar KHALFOUNE, juriste, universitaire
- Mohamed KHANDRICHE, Sociologue.
- Mohamed KHENISSI, Défenseur des droits humains.
- Ramy KHOUILI, Militant associatif.
- Hatem KOTRANE, Professeur émérite
- Zied KRICHEN, Journaliste.
- Abdellatif LAABI, Poète
- Kamel LAABIDI, Militant, président de l’association vigilance pour la démocratie et
l’état civique. - Saïd LAAYARI, militant associatif.
- Souad LABBIZE, autrice algéro-tuniso-française
- Kamel LAHBIB, Défenseur droits de l’homme Maroc.
- Latifa LAKHDAR, Universitaire, historienne, ancienne ministre de la culture.
- Djaafar LAKHDARI, Consultant.
- Walid LARBI, Juriste universitaire, militant des droits humains.
- Abdelhamid LARGUECHE, Universitaire historien.
- Dalenda LARGUECHE, universitaire historienne, féministe.
- Edith LHOMEL: S.G du CRLDHT (Comité pour le respect des libertés et des droits de
l’homme en Tunisie) - Ali LMRABET, Journaliste.
- Adel LTIFI, Historien, militant associatif et politique.
- Latifa MADANI, Journaliste.
- Lotfi MADANI, Consultant, expert en communication.
- Ahmed MAHIOU, Professeur de Droit
- Dorra MAHFOUDH-DRAOUI, Universitaire Sociologue, militante des droits humains,
féministe. - Rym MAHJOUB, Militante, ancienne députée.
- Mustapha MANGOUCHI, Réalisateur.
- Zahra MARRAKCHI, universitaire, médecin, féministe et militante des droits humains.
- Benamar MEDIENE, Sociologue, Ecrivain.
- Habib MELLAKH, Universitaire et militant associatif.
- Imed MELLITI, Universitaire anthropologue.
- Abdou MENEBHI, Activiste associatif, Président emcemo Pays -Bas.
- Samira MERAI, Ancienne ministre.
- Ali MEZGHANI, Professeur de droit.
- Najet MIZOUNI-LIENDERBERG, Universitaire.
- Aziz MKECHERI, Enseignant, militant associatif (Belgique- Maroc).
- Emna MNIF, Médecin.
- Khadija MOHSEN-FINAN, Politologue- chercheure.
- Abdellatif MORTAJINE, enseignant-chercheur, militant associatif
- Cherif MSADDEK, militant associatif.
- Jamel MSALLEM, Militant, président LTDH.
- Rabea NACIRI, Sociologue, Militante des droits humains, féministe.
- Lamia NAJI, Universitaire Juriste.
- Okba NATAHI, Psychanalyste.
- Jabeur OUAJEH, Militant des droits humains.
- Salah OUDAHAR, poète, directeur du_ festival Strasbourg-Méditerranée.
- Ramzi OUESLATI, Militant associatif France.
- Soufiane OUISSI, Militant des droits humains, président l’art-rue.
- Fatma OUSSEDIK, Sociologue.
- Hamadi RDISSI, Politologue
- Lilia REBAÏ, Militante associative.
- Hassan REMAOUN, historien.
- Boujemaa RMILI, Economiste, militant politique.
- Messaoud ROMDHANI, Militant associatif.
- Kathy SAADA, Psychanalyste.
- Said SADI, Médecin-psychiatre, Auteur.
- Fethia SAIDI, Sociologue-universitaire.
- Ramy SALHI, Militant des droits humains.
- Chafik SARSAR, Universitaire, ancien président de l’ISIE.
- Meriem SELLAMI, Universitaire anthropologue.
- Mohamed SMIDA, Militant politique et associatif.
- Chawki TABIB, avocat, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats tunisiens
- Khaoula TALEB-IBRAHIMI, Professeure des universités.
- Wassyla TAMZALI, essayiste
- Hocine TANJAOUI, Ecrivain.
- Nadia TAZI, philosophe
- Ridha TLILI, Historien, militant des droits humains.
- Mokhtar TRIFI, Avocat, militant des droits humain.
- Souad TRIKI, Economiste, Militante des droits humains, féministe.
- Khayem TURKI, Economiste, militant des droits humains.
- Najet ZAMMOURI, Militante des droits humains.
- Abdallah ZNIBER, Militant des droits humains et de l’immigration.
- Neïla ZOGHLEMI-TLILI, Militante féministe, présidente Association Tunisienne des
femmes démocrates. - Imed ZOUARI, Militant des droits humains.
LISTE DES ASSOCIATIONS SIGNATAIRES - AGIR POUR LE CHANGEMENT ET LA DÉMOCRATIE EN ALGÉRIE (ACDA)
- ASSOCIATION FEMMES ET CITOYENNETÉ DU KEF
- ASSOCIATION L’ART-RUE
- ASSOCIATION NACHAZ
- ASSOCIATION N’AOURA DE Belgique
- ASSOCIATION « NOUS TOUS »
- ASSOCIATION TUNISIENNE DE DÉFENSE DES LIBERTÉS INDIVIDUELLES (ADLI)
- ASSOCIATION TUNISIENNE DE DÉFENSE DES VALEURS UNIVERSITAIRES (ATDV)
- ASSOCIATION TUNISIENNE DES FEMMES DÉMOCRATES (ATFD)
- ASSOCIATION VIGILANCE POUR LA DÉMOCRATIE ET L’ÉTAT CIVIQUE
- BEITY POUR LES FEMMES
- CENTRE EURO-MEDITERRANEEN MIGRATION ET DEVELOPPEMENT (EMCEMO, PAYS-BAS)
- CÉRÈS EDITIONS
- COALITION MAROCAINE POUR LA JUSTICE CLIMATIQUE
- COLLECTIF ASSOCIATIF POUR L’OBSERVATION DES ELECTIONS
- COMITÉ DE VIGILANCE POUR LA DÉMOCRATIE EN TUNISIE – BELGIQUE
- COMITÉ POUR LE RESPECT DES LIBERTÉS ET DES DROITS DE L’HOMME EN TUNISIE (CRLDHT)
- E-JOUSSOUR MAGHREB-MACHREK
- FÉDÉRATION DES ÉDITEURS TUNISIENS
- FÉDÉRATION DES TUNISIENS CITOYENS DES DEUX RIVES (FTCR)
- FESTIVAL STRASBOURG-MÉDITERRANÉE
- FORUM DES ALTERNATIVES MAROC
- FORUM DE SOLIDARITÉ EURO-MÉDITERRANÉENNE (FORSEM)
- FREE SIGHT ASSOCIATION TUNISIE
- GROUPE TAWHIDA BEN SHEIKH
- JOUSSOUR TUNISIE
- LIGUE TUNISIENNE DE DÉFENSE DESS DROITS DE L’HOMME (LTDH)
- OBSERVATOIRE MAROCAIN DES LIBERTES PUBLIQUES
- OBSERVATOIRE NATIONAL POUR LA DÉFENSE DU CARACTÈRE CIVIL DE L’ÉTAT
- PERSPECTIVES EL AMEL ETTOUNSI
- PSYCHOLOGUE DU MONDE TUNISIE
- SHAMS
- SOS MIGRANTS – BELGIQUE
Débats
TUNISIE. POURQUOI IL FAUT VOTER NON AU RÉFÉRENDUM DU 25 JUILLET. Par Aziz KRICHEN

Opposant sous Bourguiba et Ben Ali (Mouvement Perspectives), Aziz Krichen a été ministre-conseiller à la présidence de la République de 2012 à 2014. Economiste de formation, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont notamment « Le Syndrome Bourguiba » et « La Promesse du printemps ». Dernier titre paru (2021) : « La Gauche et son grand récit. Comprendre le système rentier ».
Je voterai non au référendum du 25 juillet. Pas par nostalgie à l’égard du système politique mis en place après les élections de l’ANC en 2011. Encore moins pour aider à le restaurer. Et pas non plus parce que je me désolidariserais des manifestations de masses du 25 juillet 2021, qui avaient provoqué sa chute. Au contraire : je voterai non parce que je reste fidèle à l’espérance formidable que ces manifestations avaient soulevées. Et parce que le projet de nouvelle constitution présenté par Kaïs Saïd est une véritable provocation et une insulte à notre dignité d’êtres libres et de citoyens[1].
Les régimes démocratiques modernes relèvent de deux traditions principales, la tradition parlementaire et la tradition présidentielle, selon que le centre de gravité du pouvoir se situe dans la sphère législative ou dans celle de l’exécutif. Malgré des différences sensibles d’organisation, ces traditions respectent des règles communes, sans lesquelles il n’y a pas de vie démocratique possible. Les principes suivants sont au cœur de ces règles de base universelles :
Le principe de la séparation des pouvoirs
Ceux-ci étant au nombre de trois – le législatif, l’exécutif et le judiciaire –, aucun ne doit être mis en position d’empiéter sur les prérogatives des deux autres ;
Le principe de l’équilibre des pouvoirs
L’idée cardinale ici est que les trois pouvoirs doivent avoir chacun suffisamment de compétences propres et être suffisamment consistants par eux-mêmes pour se contenir et s’équilibrer mutuellement ;
Le principe du contrôle réciproque des pouvoirs
Conséquence des précédents, ce dernier principe signifie qu’en cas de dérive arbitraire de l’un des pouvoirs, les autres ont la capacité légale de l’arrêter. Sous certaines conditions, le président peut ainsi dissoudre le parlement et appeler à de nouvelles élections ; inversement, en cas d’abus graves, le parlement (ou une cour de justice spécifique) peut engager une procédure de destitution du président.
Ces trois axiomes sont essentiels à la marche ordonnée du système démocratique. Ce sont eux, expressément, qui permettent de trouver une issue légale, donc pacifique, aux contextes de crise que pareil système peut connaître.
Considéré sous ce prisme, le régime échafaudé en 2011 et codifié après l’adoption de la constitution de 2014 n’avait de démocratique que l’apparence. Présenté par ses artisans comme parlementaire, il instituait en réalité une insupportable dictature d’assemblée : la dictature des partis dominants. Pourtant élu au suffrage universel, le chef de l’Etat n’avait que des compétences honorifiques et formelles ; le parlement pouvait le destituer (article 88), mais lui-même était dans l’impossibilité pratique de le dissoudre (article 99). Pendant ce temps, les députés faisaient et défaisaient les gouvernements, et la justice, gangrénée par la corruption, était totalement aux ordres, malgré les efforts d’une poignée de juges intègres.
Centrée sur les seuls intérêts particuliers des partis, semblable construction ne pouvait rien apporter de bon à la population. Loin d’être corrigés, les vices de l’ancien régime Ben Ali – dépendance à l’égard de l’étranger, prépondérance des grandes familles rentières, impunité des barons de l’import-export clandestin, clientélisme, corruption… –, ces tares ont été aggravées, plongeant le pays dans un climat de crise permanente, à tous les niveaux et notamment sur le plan social et économique.
Ce système n’était pas seulement pervers, il était aussi verrouillé et installé pour durer[2], malgré le caractère toujours plus minoritaire des partis qui en profitaient. (A titre d’exemple : 1 500 000 électeurs pour Ennahdha en 2011, 1 000 000 en 2014, 500 000 en 2019, soit une assise électorale amputée des deux-tiers en huit ans). La situation étant bloquée, le choc du changement ne pouvait venir que du dehors. C’est ce qui s’est passé le 25 juillet 2021, sous l’effet conjugué de la pression de la rue et du coup de force du président de la République, en violation de l’article 80 de la constitution.
Les mesures prises par Kaïs Saïd au soir du 25 juillet dernier (suspension du parlement ; renvoi du gouvernement Mechichi ; auto-attribution des pleins pouvoirs) ont été accueillies par les Tunisiens avec soulagement et parfois avec ferveur. Abusée par sa rhétorique populiste, une majorité de nos compatriotes – spécialement parmi les jeunes générations – a cru de bonne foi qu’il allait s’employer à redresser le pays et remettre le train de la révolution sur les rails.
Mais penser que l’on peut être sauvé par un « homme providentiel » est une erreur, le plus souvent suivie de cruelles déconvenues. Pour qui avait des yeux pour voir, l’image du président austère, jaloux de l’indépendance de son pays, attentif aux aspirations de son peuple et aux besoins des plus défavorisés, cette image idéalisée a commencé à se fissurer dès le mois d’octobre, sitôt après l’entrée en fonction du gouvernement Bouden, le premier choisi entièrement par Kaïs Saïd en vertu des nouvelles lois d’exception.
On s’est alors rendu compte que son gouvernement n’envisageait pas un seul instant de rompre avec les anciennes politiques économiques. Qu’il était au contraire déterminé à continuer sur la même pente, en s’aplatissant encore plus devant les injonctions des bailleurs de fonds, en amplifiant le démantèlement de notre appareil de production et en radicalisant les choix antisociaux et antinationaux des gouvernements précédents – tout en reconnaissant par ailleurs, de façon démagogique, que le vieux « modèle de développement » qui inspirait ces choix était néfaste et qu’il fallait en changer !
Le gouvernement Bouden a avalisé, sans rechigner, l’ensemble du programme de « réformes » imposé par le FMI, en contrepartie d’une nouvelle spirale d’endettement :
– Suppression des ultimes barrières douanières protégeant un marché intérieur déjà submergé de toutes parts ;
– Plan de privatisation d’un nouveau quota d’entreprises publiques, qui seront reprises, pour l’essentiel, par des investisseurs étrangers, comme cela s’est produit lors des opérations de privatisation antérieures ;
– Cession des terres domaniales aux firmes de l’agrobusiness mondial, malgré la ruine de notre agriculture vivrière et le chômage massif qui frappe la paysannerie et la jeunesse rurale ;
– Dérogations supplémentaires sur la fiscalité des sociétés, qui bénéficieront d’abord, comme d’habitude, aux entreprises délocalisées et aux grands groupes rentiers ;
– Levée de la compensation sur les hydrocarbures et les denrées alimentaires, ce qui a immédiatement provoqué une flambée des prix au niveau de ces produits de première nécessité ;
– Gel des salaires et des pensions de retraite ; etc.
L’impact de ces mesures – pourtant pas encore pleinement déployées – a été d’une brutalité inouïe : l’inflation a atteint des pics inédits, le volume des sans-emploi a explosé, tandis que la réduction drastique du pouvoir d’achat affectait aussi bien les milieux les plus modestes que les salariés et les classes moyennes.
De fait, le but réel des politiques appliquées par le gouvernement Bouden est de faire payer, par la population, le prix d’une prétendue stratégie de sortie de crise – sauf qu’il ne peut y avoir aucune sortie de crise de cette manière. Certes, les intérêts des multinationales et ceux de l’oligarchie locale seront préservés et confortés, mais cela ne générera aucune relance économique effective. On ne ranime pas un système à l’agonie en exacerbant ses fragilités structurelles et en augmentant la pauvreté et le déclassement du plus grand nombre.
Est-ce ainsi que le chef de l’Etat entendait servir la cause du peuple et celle de la souveraineté nationale ?
Avec le projet de nouvelle constitution, l’image qu’il donne de lui n’est plus seulement fissurée, elle vole littéralement en éclats, révélant la nature profonde du personnage et son inquiétante démesure. Désormais, le roi est nu. Et le spectacle offert au regard n’est pas beau à voir.
Désavoué par les membres de la Commission Belaïd, le texte sur lequel les électeurs sont appelés à se prononcer ce 25 juillet est l’œuvre personnelle de Kaïs Saïd. Ecrit par un homme jouissant des pleins pouvoirs du fait de l’état d’exception, on réalise à sa lecture qu’il ne vise, en réalité, qu’à instituer un régime politique où ces pleins pouvoirs présidentiels seraient gravés dans le marbre, rendus définitifs, grâce à la transformation de l’état d’exception, par définition provisoire, en état régulier et permanent.
En d’autres mots, Kaïs Saïd a rédigé, seul, une constitution pour le servir lui-même et ses ambitions ; il a cousu de ses mains l’habit dont il veut se revêtir. Du point de vue des normes les plus élémentaires du droit et de la démocratie, cette démarche constitue un scandale absolu. Dans un contexte normal, cela suffirait à disqualifier et annuler toute son entreprise.
Mais examinons le projet plus en détail et regardons jusqu’où peut aller l’autoritarisme compulsif de son auteur. Pour nous guider, reprenons les trois critères mentionnés plus haut : séparation des pouvoirs, équilibre des pouvoirs, contrôle réciproque des pouvoirs. On se focalisera sur les relations entre les instances exécutive et législative.
AU LIEU DE LA SEPARATION DES POUVOIRS,
LEUR CONFUSION DELIBEREE
Pour le chef de l’Etat – pourtant longtemps professeur de droit constitutionnel –, le principe de la séparation des pouvoirs n’a pas lieu d’être. Il le remplace par une invention de son cru, une sorte d’amalgame révoltant de ce qu’il appelle les « fonctions ». (Kaïs Saïd ne parle jamais de pouvoirs, mais uniquement de fonctions, comme pour signifier que l’exercice autorisé des premier relève exclusivement de lui et du statut prééminent qui est le sien[3]. Ce qui indique d’emblée que son univers mental est resté imperméable aux valeurs de la démocratie et du pluralisme.)
L’article 114 du nouveau projet de constitution stipule textuellement ceci : « Les membres du gouvernement ont le droit d’assister aux travaux de l’Assemblée des représentants du peuple et de l’Assemblée nationale des régions et des districts[4], cela aussi bien lors des séances plénières qu’à l’occasion des réunions des commissions. » Il convient de relire attentivement la phrase. Il ne s’agit pas ici de la procédure habituelle des questions au gouvernement ; il est question, plus gravement, d’une intrusion – constante, systématique, délibérée et usurpatoire – du pouvoir exécutif dans le fonctionnement courant du pouvoir législatif.
Pour saisir le caractère proprement hallucinant de pareille disposition, il faut visualiser un moment la situation inverse : des députés, en nombre indéterminé, assistant, à leur convenance, aux conseils des ministres et aux réunions des comités interministériels. Ce serait la foire d’empoigne en continu. Sauf que l’affaire n’a rien d’amusant et dépasse de très loin le simple mélange des genres.
En niant son autonomie et son indépendance, l’article 114 dépouille le pouvoir législatif de toute réalité intrinsèque. S’il était mis en application, il placerait le parlement et les élus sous l’observation, sous la surveillance, sous le contrôle perpétuel du pouvoir exécutif et de son premier chef, le président de la République. Comme Big Brother, Kaïs Saïd voudrait avoir des yeux et des oreilles partout, y compris là où le droit et la décence devraient impérativement le lui interdire.
A LA PLACE DE L’EQUILIBRE DES POUVOIRS,
UNE COMPLETE INEGALITE
Dans la constitution de 2014, le parlement était tout et le chef de l’Etat presque rien. Dans celle soumise au référendum, Kaïs Saïd veut entraîner le pays dans l’impasse inverse. Son projet prive l’ARP de l’ensemble de ses attributs, pour les transférer à la présidence de la République, réduisant ainsi l’Assemblée à n’être plus qu’une coquille vide, une vulgaire chambre d’enregistrement. L’ancien déséquilibre des pouvoirs bafouait la démocratie ; le nouveau l’assassine.
Le texte de 2022 enlève au parlement les deux prérogatives décisives qui sont la substance même de son existence dans un régime pluraliste : sa capacité à légiférer (élaborer les lois et les voter) et son influence politique (qui englobe la capacité à contrôler le pouvoir exécutif).
► Suppression de la capacité de l’ARP à légiférer. Dans les constitutions modernes, l’initiative des lois appartient simultanément (pour des raisons de nécessité pratique) aux parlementaires et au gouvernement. On appelle propositions de lois les textes présentés par les députés et projets de lois ceux émanant du pouvoir exécutif. Du fait de leur importance spécifique, certains projets de lois gouvernementaux sont déclarés prioritaires, ce qui commande leur examen immédiat par le parlement. Tel est le cas, par exemple, des projets de lois de finance, qui sont discutés et votés par l’Assemblée toutes affaires cessantes.
Le partage entre propositions et projets de lois n’est pas toujours équitable. En règle générale, on estime qu’il y a atteinte à l’équilibre des pouvoirs – et donc à la démocratie – lorsque le nombre de projets de lois se met à dépasser celui des propositions de lois.
Kaïs Saïd est sans états d’âme à cet égard. Il aborde le problème de l’initiative des lois dans l’article 68 de son projet de constitution et le règle de la façon la plus cavalière qui soit. S’il commence par admettre formellement la possibilité, pour les parlementaires, de présenter des propositions de lois, c’est pour ajouter aussitôt que les projets de loi présentés par lui-même doivent bénéficier, tous sans exception, d’un traitement prioritaire[5].
Le lecteur doit comprendre que cette question n’est pas simplement technique et qu’elle a des conséquences politiques de grande portée. Si les projets de lois présentés par le président sont tous définis comme prioritaires, cela signifie concrètement – étant donné la disproportion des moyens logistiques dont disposent la présidence (et le gouvernement à son service) et le flux continuel de textes législatifs qu’ils produisent –, cela signifie concrètement que le parlement ne disposera jamais du temps matériel nécessaire pour examiner d’éventuelles propositions de lois émanant de députés.
La clause du caractère prioritaire accolée à tous les projets de lois prive l’Assemblée de la moindre capacité d’initiative législative autonome et la transforme, de facto, en chambre asservie, dont l’unique fonction est d’enregistrer et valider les lois décidées par l’exécutif. Ce qui nous ramène au mode de fonctionnement qui prévalait sous Bourguiba et Ben Ali (et qui n’avait été que très peu corrigé entre 2011 et 2021). Un mode de fonctionnement non démocratique, refusant les principes de séparation et d’équilibre des pouvoirs, que Kaïs Saïd n’avait jamais dénoncé avant 2011 et auquel, manifestement, il est resté viscéralement attaché.
► Suppression de la capacité politique de l’ARP. Après avoir dessaisi la représentation nationale de son pouvoir législatif, le texte soumis au référendum s’est méthodiquement employé à la déposséder de son rôle et de ses attributions directement politiques.
En démocratie, l’influence politique du parlement s’exerce de multiples façons :
1) A travers sa participation dans la formation du gouvernement et la désignation de son chef ;
2) A travers son contrôle continu de l’activité de l’exécutif (par le biais, entre autres, de la création de commissions d’enquête parlementaires ou de la procédure des questions au gouvernement) ;
3) Enfin, et c’est le plus important, à travers le fait que le gouvernement est responsable devant le parlement, qui peut le renverser en votant une motion de censure.
Ces dispositions disparaissent entièrement dans le système de pouvoir personnel que veut instituer Kaïs Saïd. Qu’on en juge :
→ La finalité du premier point est évidente : l’exécutif ne peut pas gouverner sans s’appuyer sur une majorité parlementaire. C’est la raison pour laquelle les constitutions démocratiques stipulent toujours explicitement que le chef de gouvernement doit être choisi parmi le parti (ou la coalition) arrivé en tête aux élections législatives[6]. C’était d’ailleurs spécifié dans la constitution de 2014.
Kaïs Saïd ne s’embarrasse pas de cette contrainte. Dans son projet de nouvelle constitution, il s’affranchit de toute obligation en la matière et se comporte comme s’il était seul à décider. C’est lui qui nomme le Premier ministre : « Le président de la République désigne le chef de gouvernement, ainsi que les membres du gouvernement, sur proposition du Premier ministre. » (Art. 101). Et c’est lui qui le renvoie : « Le président de la République met fin aux fonctions du gouvernement ou à l’un de ses membres, soit sur décision propre, soit sur proposition du Premier ministre. » (Art. 102).
Dans les deux cas – désignation et révocation –, il n’est nulle part fait référence au parlement ni à une éventuelle majorité. Kaïs Saïd est seul souverain et ne partage pas le pouvoir. Quelques articles plus bas, le doute n’est plus permis à ce propos : le gouvernement n’a de comptes à rendre qu’à lui et à lui uniquement. (Art. 112 : « Le gouvernement est responsable de sa gestion devant le président. »)
→ Le deuxième levier d’influence politique du parlement est liquidé avec une égale désinvolture, ce qui ne saurait étonner après ce qui précède. La question du contrôle des députés sur l’action gouvernementale est totalement absente. La possibilité de créer des commissions d’enquête n’est jamais abordée. Quant à la pratique routinière des questions au gouvernement, elle n’est évoquée que pour la forme. Dans les parlements modernes, l’exercice est hebdomadaire ; dans le projet de Kaïs Saïd (art. 114, alinéas 2 et 3), la périodicité n’est pas précisée, ce qui le laisse maître de fixer le délai à sa guise. Une fois par mois ? Une fois par trimestre ? Qui sait ce que réservera l’avenir !
→ Dernier point. Puisque le gouvernement n’est responsable que devant le président et non devant le parlement, ce dernier peut-il néanmoins le faire tomber en adoptant une motion de censure ? Kaïs Saïd ne pouvait pas éluder le problème. Mais la solution qu’il lui apporte est tellement extravagante qu’elle ne laisse plus planer la moindre incertitude sur le caractère maladivement despotique du personnage. Dans son texte, le parlement peut censurer et renverser le gouvernement – à une réserve près, cependant : que la défiance soit votée par les deux-tiers de l’ensemble des parlementaires. (Art. 115, alinéa 3 : « Le président de la République accepte la démission du gouvernement… si la motion de censure est votée par les deux-tiers des membres des deux chambres réunies. »)
Politiquement parlant, cette condition des deux-tiers n’est pas seulement antidémocratique, elle est également déshonorante pour son auteur. Même lorsque le gouvernement est désavoué et doit démissionner, le président reste en place, comme si l’événement ne le concernait en rien, comme si le désaveu infligé au Premier ministre ne pouvait pas ne pas rejaillir sur celui qui l’avait investi et le délégitimer.
En recourant à la manipulation frauduleuse de la majorité renforcée – alors que la majorité simple est la seule admise en pareille situation par les Etats de droit –, Kaïs Saïd indique qu’il envisage, sans scrupules superflus, la possibilité de continuer à gouverner en n’étant plus soutenu que par une minorité au sein de la représentation nationale.
Mais le dévoiement ne s’arrête pas là. La manigance minoritaire exigeait une suite. Que fait le président de la République dans l’hypothèse où son gouvernement est malgré tout renversé, qu’il le remplace par un nouveau gouvernement et que celui-ci tombe à son tour après avoir été lui aussi censuré par les deux-tiers des parlementaires ? Que fait Kaïs Saïd dans cette hypothèse ?
Il se réserve l’une des deux options suivantes :
– Il peut, toute honte bue, accepter le départ de son second gouvernement et s’atteler à la formation d’un troisième ;
– Il peut aussi, plus arbitrairement, dissoudre le parlement, dans l’espoir que des élections législatives anticipées lui apporteront une représentation nationale plus docile ! (Art. 116, alinéa 1 : « Si une deuxième motion de censure est votée durant la même législature, le président de la République peut, soit accepter la démission du gouvernement, soit dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et l’Assemblée nationale des régions et districts ou l’une des deux chambres. »)
Dans tous les cas de figure, ce n’est jamais lui qui s’en va, ce sont toujours les autres qui partent et paient pour son obstination. Lui est au-dessus des votes et au-dessus de ce que les votes impliquent, spécialement quand ils sont négatifs et qu’ils expriment un mouvement majoritaire de refus et de rejet.
EN GUISE DE CONTROLE MUTUEL DES POUVOIRS,
LA MONOCRATIE, L’ABSOLUTISME FORCENE D’UN SEUL HOMME
L’ordre constitutionnel souhaité par Kaïs Saïd est radicalement étranger aux normes de la démocratie moderne ; il s’écarte de bout en bout des règles élémentaires de séparation, d’équilibre et de contrôle mutuel des pouvoirs. Son projet dessine une construction où toute l’autorité serait concentrée entre ses mains, une sorte de pyramide creuse, vide de matérialité, sans institutions autonomes capables de la soutenir, et dont il croit naïvement qu’elle resterait debout uniquement par la grâce de son envie de puissance.
On n’imagine pas la patience retorse, en même temps que l’insondable immaturité, qu’il a fallu pour mettre au point une architecture aussi invraisemblable et aussi précautionneusement attentive à la sauvegarde des intérêts de son bénéficiaire. Plaçant partout des garde-fous pseudo-légaux, Kaïs Saïd s’est en effet arrangé pour ne jamais se retrouver en position de rendre compte de ses actes. Il aspire à monopoliser toutes les responsabilités, sans être obligé par aucune. On touche là sans doute au fantasme le plus secret hantant, depuis que le monde est monde, chaque dictateur, en place ou en devenir : tout avoir, mais ne rien devoir.
Tel qu’il vient d’être décrit, le régime politique que le chef de l’Etat veut faire plébisciter ne peut être qualifié de républicain. Il n’est évidemment pas parlementaire, mais n’est pas non plus présidentiel, ni même présidentialiste. Camouflé derrière l’emploi de concepts de droit constitutionnel détournées de leur sens, c’est un régime monocratique, de tyrannie personnelle, lourdement marqué par les stigmates des modes de gouvernement du passé, un modèle historiquement révolu, mais pleinement conforme à l’idéologie populiste archaïque de Kaïs Saïd.
En vérité, ce dernier ne veut pas corriger le système de la décennie 2011-2021, il veut revenir au système précédent, celui de Ben Ali et de Bourguiba, auquel il ne s’était d’ailleurs jamais opposé auparavant. En prétendant amender la constitution de 2014, c’est en fait celle de 1959 qu’il réintroduit en fraude, en accentuant même sa tonalité liberticide.
En évinçant Bourguiba du palais de Carthage, Ben Ali avait déclaré que la Tunisie était trop évoluée pour accepter des chefs d’Etat à vie. Il avait alors modifié l’ancienne loi et limité l’exercice présidentiel à deux mandats de 5 ans chacun. Plus tard, installé au pouvoir et ne voulant plus le quitter à son tour, il avait fait adopter de nouvelles dispositions pour supprimer cette limitation devenue insupportable à ses yeux. Au total, son règne avait duré 23 ans et s’était achevé par sa fuite en Arabie saoudite.
Dans son projet, Kaïs Saïd s’en tient lui aussi à la règle des deux mandats. Mais, en homme prévoyant, il ajoute de suite une clause qui permet de les prolonger de manière indéterminée. Cette clause spécieuse, c’est le recours au prétexte du « péril imminent », celui-là même dont il s’était servi pour s’emparer des pleins pouvoirs voilà un an. « S’il n’est pas possible de tenir les élections dans les délais prévus, pour cause de guerre ou de péril imminent, le mandat présidentiel est prolongé par une loi, jusqu’à la disparition des motifs ayant provoqué la prolongation. » (Art. 90, alinéa 5).
De prime abord, la formulation paraît anodine, et le prétexte de la guerre peut même faire sourire. On se dit qu’il s’agit d’une simple hypothèse d’école, rappelée pour indiquer une éventualité lointaine, qu’il faut néanmoins envisager pour lui donner une base légale. L’inquiétude, cependant, provient de ce que cette notion de péril imminent n’est définie nulle part avec précision et qu’on la retrouve insérée dans tous les articles traitant de processus électoraux. Cette répétition systématique – sept mentions au total – ne peut que susciter méfiance et suspicion.
Le caractère récurrent de l’argument du péril imminent conduit à penser que le projet de Kaïs Saïd est tout entier orienté vers une perspective de recours constant à l’état d’exception. Et ce n’est pas l’usage qu’il en a déjà fait qui peut inciter à raisonner différemment. L’homme veut être partout, il se veut au-dessus des lois, intouchable et probablement aussi inamovible. Bref : il veut régner en maître omnipotent, comme Bourguiba et Ben Ali avant lui.
Pour certains, le jugement pourrait paraître abrupt et fondé uniquement sur une forme unilatérale de réquisitoire à charge. Ce n’est pas le cas. Dans les analyses développées jusqu’ici, je m’en suis strictement tenu au texte présidentiel et à son sens explicite, sans extrapolation ni spéculation de ma part. Mais oublions cela provisoirement et essayons, pour faire équilibre, d’endosser un instant le rôle de l’avocat de la défense.
Posons la question suivante : y a-t-il, dans le projet qui nous préoccupe, une quelconque disposition, une quelconque indication, dont on pourrait dire qu’elle limite – borne, s’oppose, freine, modère, contrecarre… – cette volonté de domination exclusive qui s’exprime à travers l’ensemble du document ? Le seul endroit possible dans cette optique ne pourrait se trouver que dans la Section VI, consacrée à la formation et aux attributions de la cour constitutionnelle.
Comme son nom l’indique, cette instance a pour mission de statuer sur la constitutionnalité des lois, autrement dit sur leur conformité à la lettre et à l’esprit du texte constitutionnel. En théorie, elle est le dernier gardien du droit, son ultime rempart, capable de stopper tous les abus et toutes les violations de légalité, y compris celles en provenance des plus hautes autorités de l’Etat.
En régime démocratique, le tribunal constitutionnel parvient à assurer ses missions grâce au respect d’un principe sacré : sa totale indépendance vis-à-vis du pouvoir en place. Cette indépendance s’obtient généralement à travers deux procédures parallèles :
Primo. Les magistrats appelés à siéger en pareil tribunal sont nommés pour un mandat de longue durée (mandat à vie pour les juges de la Cour suprême aux Etats-Unis, mandat de 9 ans pour les membres de la Cour constitutionnelle en France, etc.), et ne peuvent être révoqués durant l’exécution de leur mandat. La longévité et l’irrévocabilité sont conçues pour les mettre – autant que possible – à l’abri des pressions. Autre objectif visé par ces mesures : garantir la stabilité et la continuité de leur activité, que les juristes placent au sommet de la hiérarchie des normes.
Deuxio. Le tribunal n’a pas pour unique fonction l’examen des textes de lois que l’exécutif (ou le parlement) lui soumet. La saisine peut être effectuée par d’autres instances : les pouvoirs locaux, les autres cours de justice, voire les simples citoyens. Et elle peut aussi – et surtout – être automatique et spontanée. Dans ce dernier cas, le tribunal constitutionnel se saisit lui-même directement, sans sollicitation extérieure, de l’examen de lois jugées particulièrement sensibles (lois organiques, traités internationaux, etc.). Selon qu’elles sont ou non prévues, ces dernières prérogatives constituent d’ailleurs un critère essentiel pour juger du degré de son indépendance effective.
L’organisation du tribunal constitutionnel décrite par Kaïs Saïd dans son projet est à mille lieues d’un tel modèle, dont il bafoue toutes les règles et toutes les conventions :
Des mandats de type CDD, ne pouvant pas excéder 12 mois en pratique
La structure en trompe-l’œil qu’il compte mettre en place se compose de neuf juges, choisis parmi les plus anciens dans les corps existants : trois de la cour de cassation, trois du tribunal administratif et trois de la cour des comptes (art. 125, alinéa 1). Ces magistrats partent dès qu’ils atteignent l’âge de la retraite – 62 ans pour eux – et sont remplacés, toujours par ordre d’ancienneté, par des collègues en activité dans leurs corps respectifs, à condition que ceux-ci disposent encore d’au moins une année avant d’atteindre à leur tour l’âge du départ à la retraite (art. 125, alinéa 3). Et ainsi de suite… dans un turn-over incessant.
On peut se frotter les yeux d’incrédulité, c’est cela le mécanisme prévu par Kaïs Saïd. Représentons-nous la scène. Avec l’âge moyen plus que vénérable de nos magistrats, le tribunal constitutionnel se transformerait en une sorte de « vestibule de hammam » (skifet hammam), où les partants et les entrants se croiseraient dans un carrousel effréné, sans que personne n’ait eu matériellement le temps de maîtriser les dossiers ni de réchauffer son propre siège !
Une instance passive, sans capacité d’initiative
Le tribunal constitutionnel ne peut être saisi que par le président de la République ou des parlementaires[7]. (Pour ceux-ci, les conditions sont, comme d’habitude, draconiennes : la saisine ne peut être acceptée que si elle est engagée par les deux-tiers des députés, pour l’ARP, et par la moitié de ses membres, pour l’ANRD ; art. 127, alinéa 1).
Le droit d’examen du tribunal ne s’applique qu’aux textes de lois qu’on lui soumet. Dépourvu de l’instrument de la saisine automatique, il n’a aucun droit de regard sur les textes qu’on ne lui soumet pas. Concrètement, cela signifie qu’il n’a pas la faculté d’agir en dehors du périmètre étroit qui lui est assigné. Combinées avec son instabilité structurelle préméditée (point précédent), ces restrictions font du tribunal constitutionnel un organisme complètement ligoté, sans poids ni pouvoir réel. Kaïs Saïd lui fait subir le même traitement qu’au parlement : il garde la forme de l’institution, mais la vide de son contenu. Machiavélisme ? Non, le machiavélisme suppose un minimum de classe. Disons plutôt misérable supercherie.
On a beau scruter le projet présidentiel sous tous les angles, rien n’y fait : ce projet est dangereux et l’apprenti sorcier qui le porte encore plus dangereux, étant donné l’absence totale de retenue dont il fait preuve. Le texte soumis au référendum vise clairement à ériger un régime de dictature implacable, qui apparaît comme la copie conforme de ce que les manuels de sciences politiques qualifient d’autocratie ou de monocratie : le pouvoir d’un homme seul.
Il ne faut cependant pas se tromper sur le sens réel de l’expression « pouvoir d’un homme seul ». Même dotés des prérogatives les plus exorbitantes, les dictateurs n’agissent jamais au service de leurs seuls intérêts ; ils agissent aussi – et c’est plus fondamental – au service des intérêts des groupes économiques dominants dans leurs pays. En Tunisie, ces groupes dominants sont constitués par l’alliance du capital étranger et de l’oligarchie rentière locale. Et nous avons noté plus haut combien le gouvernement Bouden, choisi par Kaïs Saïd, faisait ce qu’il fallait pour les protéger et les conforter, en multipliant les mesures antipopulaires et antinationales.
Le danger des régimes de pouvoir personnel provient en grande partie des privilèges de classe qu’ils défendent, mais tient également aux particularités de leur mode de fonctionnement. Plus précisément, la grande menace qu’ils font planer ne réside pas tant dans ce qu’ils peuvent faire au départ, au moment de leur mise en place, la vraie menace, c’est ce qu’il se passe ensuite, lorsqu’ils deviennent le jouet aveugle de leurs propres déterminations internes.
L’autocratie est un système clos, entièrement verrouillé sur lui-même. Dire cela, c’est dire qu’il est organiquement fermé au dialogue, organiquement fermé au compromis et aux concessions, incapable par conséquent de s’adapter, incapable d’évoluer et de s’autocorriger. Contrairement au système démocratique qui prévoit des procédures légales, donc pacifiques, pour gérer les crises et les conflits, lui n’a rien de tel à sa disposition et ne sait réagir que par l’emploi de la force et de la violence.
Bourguiba et Ben Ali étaient à la tête de régimes monolithiques de ce genre. Le premier a été démis par un coup d’Etat, le second chassé par un soulèvement populaire. Les dernières années des deux règnes ont été épouvantables en matière de répression – des centaines de morts et des milliers de blessés dans les deux cas, sans parler des arrestations en séries et de la pratique systématique de la torture.
Le régime que Kaïs Saïd veut installer plongerait inévitablement la Tunisie dans un engrenage de même nature. S’il fait passer son référendum, les événements risqueraient d’ailleurs de se précipiter très vite. Pour assurer son pouvoir, il commencerait sans doute par frapper durement ses opposants politiques, avant d’envoyer sa police écraser les manifestations de colère populaire. Dans l’état d’extrême vulnérabilité qui caractérise aujourd’hui notre pays, nul ne sait jusqu’où cela pourrait dégénérer.
Pour empêcher pareil scénario de malheur – inscrit dans la logique même du projet de nouvelle constitution – les citoyens n’ont qu’une seule arme : le 25 juillet prochain, voter massivement non.
J’ai annoncé ma décision de voter non aussitôt après la lecture du texte publié par le JORT le 30 juin[8]. Des amis m’ont alors demandé : voter non, c’est d’accord, mais ensuite, que fait-on ? Ma réponse a été de dire que c’était bien de se préoccuper de l’après, mais qu’il était plus utile de commencer par s’occuper d’abord du maintenant. D’ici au 25 juillet, il y a en effet un énorme travail de pédagogie et de mobilisation à produire, en direction de deux grands groupes d’électeurs en particulier.
Le premier groupe est composé de citoyens appartenant à des milieux sociaux divers, qui vont voter « oui » – non par adhésion au contenu du projet de nouvelle constitution, loin de là –, mais parce qu’ils sont littéralement affolés à l’idée qu’un échec de Kaïs Saïd au référendum puisse entraîner le retour d’Ennahdha au pouvoir. Provoqué par une espèce de répulsion idéologique incontrôlée, leur affolement n’est pas justifié.
Je ne sais pas ce que Kaïs Saïd ferait s’il était battu, mais je sais ce qu’il ne fera pas : il ne démissionnera pas et ne rétablira pas l’ancienne ARP dans ses droits. Le retour de Rached Ghannouchi aux commandes est absolument exclu.
De surcroît, après avoir sévi dix longues années durant, le mouvement islamiste n’est plus que l’ombre de lui-même. Largement discrédité, il a perdu l’essentiel de son assise populaire tandis que ses dirigeants se livrent à une guerre des chefs sans merci, qui accélère sa dislocation et son effondrement. Son avenir est désormais derrière lui. Et ce constat ne vaut pas que pour la Tunisie, il est valable pour l’ensemble des pays arabes.
Continuer à être obsédé par les Frères musulmans est irrationnel. Et irresponsable. Cela revient à se laisser conditionner par un vieux danger, en voie de disparition, et à négliger le danger actuel, qui grandit de jour en jour, dont la menace n’est pas simplement hypothétique, mais de plus en plus réelle et effective.
Le positionnement du deuxième groupe est différent. Ses membres n’adhèrent pas, eux non plus, au projet présidentiel. Mieux : ils le dénoncent et affirment vouloir le combattre. Comment ? En prônant le boycottage de l’élection, c’est-à-dire l’abstention. Leur argumentation peut être résumée de la manière suivante : un taux d’abstention élevé lors du référendum priverait Kaïs Saïd de légitimité en cas de victoire, ce qui le fragiliserait dans tout ce qu’il entreprendrait ensuite…
La bonne foi de beaucoup de partisans du boycott ne fait pas de doute. Sauf que la bonne foi, seule, ne suffit pas. Ce qui importe, en politique, ce sont les faits, pas les intentions. Les prochaines élections seront l’occasion d’une bataille entre deux camps – et de deux camps uniquement –, celui du « oui » et celui du « non ». Toutes les voix qui ne se reporteront sur le « non » seront perdues et renforceront indirectement le « oui ». On peut le regretter, mais c’est ainsi.
Le poids électoral de ces deux groupes est conséquent. S’ils basculaient, même partiellement, dans le camp du « non », cela changerait considérablement la donne. Quoi qu’il en soit, il y a trop d’impondérables en jeu pour se hasarder à émettre un pronostic. Par rapport aux résultats éventuels du 25 juillet, on ne peut être sûr d’avance que d’une chose : dans la continuité des élections précédentes, une forte majorité de Tunisiens ne s’estimera toujours pas concernée et ne se déplacera pas pour aller voter.
Kaïs Saïd sortira-t-il vainqueur de l’épreuve ? Subira-t-il son premier échec ? Personnellement, je n’en sais rien. En tout état de cause – pour les démocrates, pour les patriotes, pour les militantes et les militants de gauche – la lutte pour le changement devra se poursuivre, quelle que soit l’issue du scrutin.
Le combat devra se poursuivre en corrigeant ce qui l’a gravement handicapé jusqu’à présent : le décalage séparant la lutte politique des « élites » de la lutte sociale des « masses », la première restant sans profondeur populaire, la seconde restant sans représentation nationale au niveau des « élites » politiques et civiques. Cette division affaiblit tout le monde, alors que l’ennemi est commun et qu’il frappe les uns et les autres sans distinction.
La liberté d’un pays exige un prix élevé. Un prix que l’on n’acquitte pas en une fois, mais par une série de paiements – en sang, en larmes, en courage, en sacrifices, en volonté, en abnégation, en persévérance… –, que des générations successives versent à tour de rôle, sur une séquence historique plus ou moins longue.
En dépit des apparences, nous ne sommes peut-être pas loin du terme du chemin. Il faut donc continuer. C’est notre destin et c’est notre honneur.
Aziz Krichen
Juillet 2022
[1] – Je ne traite dans ce texte que des questions liées au type de régime politique que Kaïs Saïd veut mettre en place. Mais il y aurait quantité d’autres points pour justifier le rejet de son projet de nouvelle constitution : la suppression du caractère civil de l’Etat, la disparition de la section sur les droits économiques et sociaux, la définition rétrograde de notre identité nationale, l’insupportable mégalomanie qui s’exprime dans le préambule, etc.. Le fait que je ne les aborde pas ici ne signifie ni que je les ignore ni que je les sous-estime. Ce n’était simplement pas mon propos.
[2] – https://www.leaders.com.tn/article/32789-aziz-krichen-comprendre-le-moment-present
[3] – De manière similaire, Bourguiba, en son temps, avait voulu interdire l’emploi du terme « président » pour désigner un autre que lui. Les présidents de conseils d’administration ou de clubs de foot devaient se chercher une appellation plus conforme à leur état subalterne… Devant les difficultés de la besogne – et les ricanements des intéressés –, le « Combattant suprême » avait fini par abandonner.
[4] – Le projet de nouvelle constitution crée une deuxième chambre parlementaire aux côtés de l’ARP. On passe d’un système monocaméral à un système bicaméral, ce qui constitue un changement institutionnel important. Mais Kaïs Saïd ne dit rien de précis sur cette Assemblée nationale des régions et des districts, rien sur son mode d’élection, rien sur sa composition, rien sur ses compétences, rien sur la nature de ses relations avec l’ARP (qui aura le statut de chambre haute et qui celui de chambre basse ?). Voter en faveur de son projet reviendrait, dans ses conditions, à signer un chèque en blanc sur un sujet particulièrement sensible.
[5] – Alinéa 2 de l’art. 68 : « Les députés ont le droit de présenter des propositions de lois… », la seule restriction à ce niveau étant qu’ils doivent être au minimum 10 élus dans chaque cas. Alinéa 4 de l’art. 68 : « L’examen des projets de lois du président de la République est prioritaire ».
[6] – Aux Etats-Unis, où le président élu cumule les titres de chef de l’Etat et de chef du gouvernement, le scénario se déroule autrement, mais avec le même résultat, puisque le président ne peut rien décider sans l’aval des deux assemblées, la Chambre des Représentants et le Sénat.
[7] – Dans des circonstances non précisées, d’autres cours de justice peuvent également saisir le tribunal constitutionnel (art. 127, alinéa 3).
[8] – J’ai étudié les deux versions du projet (JORT n° 74 du 30 juin 2022 et JORT n° 77 du 8 juillet 2022). Il n’y a aucune différence de fond entre les deux, malgré ce qu’a laissé entendre le chef de l’Etat. Tous les extraits d’articles de lois cités ici proviennent de la seconde version.
Débats
L’EUROPE OTANISÉE Par Mohamed BENHADDADI

Scientifique de renommée mondiale, Mohamed Benhaddadi installé au Quebec s’exprime régulièrement sur les enjeux géopolitiques qui agitent notre monde. Il livre pour adn-med sa propre vision sur les origines, les manifestations et les conséquences de la guerre qui se déroule en Ukraine.
Depuis l’hiver 1984 ou mon appareil a failli cracher sur le brumeux aéroport d’Odessa, j’ai une peur bleue des avions ou je ne ferme presque jamais l’œil, quelle que soit la durée du vol. En revanche, je ne sais pas si c’est la peur qui inspire, mais je dois dire que l’avion m’a permis d’écrire plusieurs articles, voici le dernier…
La construction de l’Union Européenne (UE) a toujours été un souhait, tout comme l’a été son élargissement, car sensé lui donner encore plus de puissance pour constituer un pôle et peser davantage sur une future scène internationale multipolaire. Dans les faits, l’Europe a été et demeure encore un bar ouvert, où on se sert sans obligation, la note est refilée aux contribuables des pays nantis, auxquels on fait miroiter un semblant de puissance rêvassée. Cette vision ne découle pas de la guerre actuelle, par contre cette dernière a suscité la réflexion pour comprendre un peu mieux quelques antagonismes, avec des perspectives futures pas forcément reluisantes, à moins d’un coup de barre somme toute improbable.
J’ai toujours pensé, au passé comme au présent, que la guerre actuelle était amplement évitable si, entre autres, l’Europe s’était davantage tenue debout, en temps et lieu. Quand le président français a pris son bâton de pèlerin pour sauver les Accords de Minsk, parrainés par la Russie et le couple franco-allemand, il n’ignorait probablement pas à quel point les américains étaient réticents à cet accord, et surtout à quel point l’esprit américain dominait le régime ukrainien, requinqué pour en découdre plus que jamais avec la rébellion du Donbass. Ceci dit, l’échec de Minsk n’est aucunement imputable à ce président qui a eu le mérite d’avoir tenté une médiation désespérée de dernière minute, même si des arrières pensés électoralistes n’étaient pas absentes. Dans le même temps, il faut bien convenir que c’est l’Europe tout entière qui ne s’est pas tenue debout devant deux des trois protagonistes de la guerre actuelle.
L’Europe aurait pu clairement montrer à l’Ukraine la porte verrouillée de l’OTAN et celle, grande ouverte, de l’UE. La meilleure façon de le faire aurait été de promouvoir la désescalade au Donbass, en accompagnant Kiev dans le respect de ses obligations vis-à-vis des accords signés. Quoique caducs et désormais enterrés, ces accords en 12 points méritent d’être revisités en les résumant en une seule phrase : Kiev aurait pu retrouver le contrôle de l’intégralité de ses frontières, en échange de la décentralisation des pouvoirs, allouant au Donbass l’autonomie pour autogérer son éducation, sa culture, etc. Mais, refroidi par sa base ultra nationaliste et soutenu de plus en plus ouvertement par l’Amérique calculatrice, Kiev de Zelenski n’a, à aucun moment, entrepris une quelconque démarche en vue de réviser la constitution du pays, prélude à une plus grande décentralisation du pouvoir qu’implique les accords. Bien plus, aujourd’hui, on voit bien plus clairement que Kiev préparait une solution militaire au soulèvement du Donbass. Incapable de permettre l’application des accords de Minsk qu’ils ont contribué notablement à mettre en place et en ne faisant pas le suivi requis dans leur implémentation, l’Europe n’a pas suffisamment fait pour que cette guerre n’arrive pas. Bien plus, Scholz-Macron sont rapidement rentrés dans les rangs, n’ayant pas eu le courage d’admettre publiquement, ne serait-ce que sur le bout des lèvres, que l’Ukraine de Zelenski n’a pas fait sa part du chemin pour respecter les accords de Minsk, signés pas l’Ukraine de Iouchtchenko et parrainés par le non-couple Hollande-Merkel.
Présentement, l’Europe ne fait rien pour que cette guerre cesse, sous prétexte que c’est aux ukrainiens de décider, oubliant que ces derniers sont principalement adossés aux anglo-américains qui les arment massivement, jusqu’au dernier soldat ukrainien, comme le dit désormais l’expression consacrée. Dans le même temps, La guerre Russie-Ukraine est devenue de facto une guerre Russie-OTAN/UE, avec la mâchoire russe qui se referme de plus en plus sur les forces ukrainiennes au Donbass et au Sud du pays, ce qui implique qu’une la défaite de l’Ukraine va signifier la défaite de l’OTAN/UE. La partition de l’Ukraine semble même inéluctable et, à l’arrivée, l’Europe peut se retrouver comme le dindon de cette farce guerrière.
L’Europe aurait pu également se faire davantage respecter en montrant clairement aux États-Unis, que l’application des accords de Minsk était d’un intérêt stratégique de premier plan. C’est un secret de polichinelle que de réaffirmer que Washington était, dans le meilleur des cas, froid vis-à-vis de Minsk et qu’ils ont travaillé Zelenski au corps à corps pour l’aligner sur leur vision. Sans préjuger le côté calculateur de la démarche des uns et des autres, il est clair que les intérêts politico-économiques de l’UE versus l’Amérique n’étaient pas forcément convergents. Mais, les promoteurs de l’accord de Minsk (Merkel-Hollande) n’étant plus en place, leurs successeurs (Scholz-Macron) semblent beaucoup moins proactifs et/ou ont franchement subi la situation. Comme quoi, même au sein des démocraties occidentales, la continuité politique peut vaciller lors de l’alternance au pouvoir.
Par ailleurs, il revenait à l’Europe de calmer depuis belle lurette le jusqu’auboutisme de la Pologne et des trois républiques baltes (Estonie-Lettonie-Lituanie). Ces quatre pays qui ont connu la cuisine et le joug soviétique considèrent que la guerre froide n’est pas finie, histoire de régler quelques comptes avec leur histoire passée. Pourtant, il faut être de mauvaise foi, comme le sont beaucoup d’experts bellicistes ou/et malavisés qui défilent sur les plateaux TV, pour croire que la Russie allait envahir ces 4 pays, juste après l’Ukraine. C’est de la propagande digne de l’époque soviétique que ces 4 pays ont dû subir à leur corps défendant dans un passé récent, ce qui ne leur donne pas le droit de la faire subir à d’autres. Au-delà de leur appartenance à l’UE, ces pays ne jurent que par l’Amérique, seule garante à leurs yeux du non-retour à la domination russe. À tort ou à raison, ces pays sont encore dans la lutte idéologique et considèrent la Russie comme dépositaire de l’URSS. Ils sont arrivés à aligner quelque peu toute l’Europe sur leur vision passéiste.
Si l’Europe n’arrive pas à émerger, cela est surtout dû au manque de leadership du couple fondateur franco-allemand qui détient les cordons de la bourse. On dit que la force d’un couple se manifeste lors des vents contraires, celle de l’alliance franco-allemande est sensée l’être sur les sujets majeurs et dans les moments névralgiques de leur histoire commune. Ce n’est pas remuer le couteau dans la plaie que de rappeler que l’Allemagne se souvient probablement encore de la froideur et des réticences françaises, à leur tête l’ex-président F. Mitterrand, lors de la réunification de leur pays, en 1989. Le fait est que, avant même la réunification, l’Allemagne disposait d’une assise économique sans commune mesure avec celle de la France, facilitant la résurgence de vieilles hantises et suscitant des craintes nouvelles. Pourtant, on a fait longtemps croire aux populations que le couple est intime, alors qu’il n’a pas été en mesure de supporter cette mise à l’épreuve. Plus récemment, avec la guerre en Ukraine, c’est l’Amérique qui a ramassé la mise avec le doublement du budget militaire allemand, laissant en rade le Rafale et autres fleurons de la technologie européenne. L’Europe de la défense n’existe pas, il y a juste l’OTAN comme instrument au service des États-Unis où presque tous les pays de l’UE font leurs emplettes.
Que dire aussi du secteur névralgique de l’énergie, où l’Allemagne s’est engagée à fond dans le renouvelable tout en se retirant du nucléaire, alors que la France continue à privilégier cette dernière filière. Le fameux couple franco-allemand, locomotive de l’Europe, est en réalité très divisé et se comporte davantage en concurrents qu’en alliés, ce qu’illustre particulièrement bien les secteurs névralgiques de la défense et de l’énergie ci-dessus mentionnés. Malgré les apparences, ce vieux couple fait bien plus que ne pas coucher ensemble, il fait chambre à part. En conséquence, les deux pays sont en train de pâtir de cet état de fait et, ironie du sort, ce n’est pas le rouble mais leur monnaie commune qui est au plus bas. Une éventuelle décision de Moscou de couper les livraisons de gaz les ferait plonger dans la récession et ferait dégringoler l’Euro à des niveaux encore plus bas, ce que les centrales thermiques au charbon rouvertes ne peuvent empêcher. Ce qui est étonnant, c’est de voir l’Europe jouer la vierge offensée : il est pour le moins étonnant que l’Europe s’étonne que la Russie l’empêche de reconstituer ses réserves hivernales de gaz, en restreignant son débit.
On dit que Gouverner, c’est prévoir et les États-Unis n’ont jamais caché que leur vrai défi s’appelle la Chine contre laquelle ils essayent de créer différentes coalitions, dont celle impliquant l’OTAN/UE, même si entretemps ils essayent d’affaiblir au maximum la Russie. Incapable de s’affirmer comme entité, l’Europe risque de nouveau de se retrouver à l’avant-scène de ce nouveau défi à venir, du fait du couplage intime UE-OTAN. Comme l’écrivent en chœur nos journaux, l’Occident n’a jamais été aussi uni, on peut y ajouter : avec l’Europe, dindon de la farce devant l’éternel.
M. Benhaddadi détient un Ph D en génie électrique et a contribué à former plus 4 000 ingénieurs à l’École Polytechnique de Montréal et aux universités de Bab-Ezzouar et Blida. Il est un expert reconnu dans le domaine de l’énergie, impliqué dans le débat public et régulièrement sollicité à titre de conférencier sur les enjeux énergétiques par les collèges et universités du pays et à l’étranger. Pour contribution dans la société, il a reçu de nombreux prix et distinctions, dont l’Ordre national du Québec (2016) et l’Ordre de l’excellence en éducation du Québec (2018).
Débats
Ukraine-Russie : Appel d’intellectuels du « Sud » à soutenir les Ukrainiens

90 intellectuels et activistes, issus majoritairement de pays du « sud » -notamment d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient- où une partie importante des opinions publiques se range du côté de Vladimir Poutine, ont publié le 19 avril un appel à « se tenir aux côtés des Ukrainiens ». Parmi les signataires de l’appel, on retrouve des noms célèbres comme le nigérian Wole Soyinka, les Marocains Abdellatif Laabi et Tahar Benjelloun, le sénégalais Mohammed Mbougar-Sarr, l’indienne Arundhati Roy, la palestinienne Leila Shahid, l’afghan Atiq Rahimi, et l’américain Noam Chomsky.
Malgré les fautes de l’Occident, il faut soutenir sans réserve les Ukrainiens
Depuis le 24 février, Vladimir Poutine mène une guerre de conquête contre l’Ukraine. Son armée bombarde et détruit les villes, tue des civils par milliers, comme elle l’a fait en Tchétchénie et en Syrie. Les Ukrainiens résistent. Il faut les soutenir sans calculs ni réserves.
Dans la plupart de nos pays pourtant, une trop grande partie de l’opinion s’est rangée du côté du dictateur russe. Au nom d’un anti-impérialisme qui s’est mué au fil des ans en haine passionnelle, elle applaudit quiconque s’oppose à l’Occident.
Nous mesurons l’écrasante responsabilité des puissances occidentales, petites et grandes, dans la dévastation de notre monde. Nous avons dénoncé les guerres qu’elles ont menées pour assurer la pérennité de leur domination sur de vastes régions, dont les nôtres, et condamné leur défense de dictatures indéfendables pour protéger leurs intérêts. Nous savons leur usage sélectif des valeurs dont elles se réclament, laissant mourir à leurs portes les réfugiés venant des Suds et accueillant les « leurs » à bras ouverts. Mais ne nous trompons pas de combat. Tous ceux et celles qui réclament pour eux la liberté, qui croient dans le droit des citoyens à choisir leurs dirigeants et à refuser la tyrannie doivent se tenir aujourd’hui aux côtés des Ukrainiens. La liberté doit être défendue partout.
Pour notre part, nous refusons de soutenir quelque dictature que ce soit au prétexte que ses adversaires seraient nos ennemis. A défendre la guerre de Poutine, nous nous privons de notre propre droit à être libres.
1. Dima Abdallah, écrivaine, Liban-France
2. Gilbert Achcar, politiste, Liban-Royaune-Uni
3. Mario I. Aguilar, islamologue, Royaume-Uni
4. Nadia Aïssaoui, sociologue, Algérie-France
5. Younès Ajarraï, conseiller culturel, Maroc
6. Sanhadja Akhrouf, militante féministe, Algérie-France
7. Cengiz Aktar, politiste, Turquie
8. Hala Alabdala, cinéaste, Syrie
9. Tewfik Allal, militant associatif, Algérie-France
10. Chawki Azouri, psychiatre, Liban
11. Malika Bakhti, ingénieure d’études, Algérie-France
12. Brigitte Bardet-Allal, professeure de lettres, France
13. Ali Bayramoglu, journaliste, Turquie
14. Yagoutha Belgacem, directrice artistique, Tunisie-France
15. Souhayr Belhassen, présidente d’honneur de la FIDH, Tunisie
16. Akram Belkaïd, journaliste, écrivain, Algérie-France
17. Rabaa Ben Achour, universitaire, Tunisie
18. Sana Ben Achour, professeure de droit, Tunisie
19. Raymond Benhaïm, économiste, Maroc-France
20. Tahar Ben Jelloun, écrivain, Maroc-France
21. Ali Bensaad, géographe, Algérie-France
22. Raja Benslama, directrice de la Bibliothèque nationale, Tunisie
23. Karima Berger, écrivaine, Algérie-France
24. Mohamed Berrada, écrivain, Maroc
25. Sophie Bessis, historienne, Tunisie-France
26. Karim Emile Bitar, professeur de relations internationales, Liban
27. Antoine Boulad, écrivain, Liban
28. Rafic Boustani, démographe, Liban
29. Nora Boustany, journaliste, Liban-Etats-unis
30. Soha Bsat-Boustani, consultante, Liban
31. Elham Bussière, psychologue, Tunisie-France
32. Abdallah Cheikh-Moussa, universitaire, Tunisie-France
33. Khadija Chérif, sociologue, Tunisie
34. Alice Cherki, psychanalyste, Algérie-France
35. Noam Chomsky, linguiste, Etats-Unis
36. Ahmed Dahmani, universitaire, Algérie-France
37. Kamel Daoud, écrivain, Algérie
38. Godofredo De Oliveira-Neto, écrivain, Brésil
39. Alber Dichy, directeur littéraire, Liban-France
40. Karima Dirèche, anthropologue, Algérie-France
41. Nacer Djabi, sociologue, Algérie
42. Alicia Dujovne-Ortiz, écrivaine, Argentine
43. Anne-Marie Eddé, universitaire, Liban-France
44. Dominique Eddé, écrivaine, Liban
45. Hanane El Chikh, écrivaine, Liban
46. Abbas Fahdel, cinéaste, Irak
47. El Hadj Souleymane Gassama (Elgas), écrivain, Sénégal
48. Amira Hass, journaliste, Israël-Palestine
49. Milton Hatoum, écrivain, Brésil
50. Ahmet Insel, politiste, Turquie
51. Hana Jaber, Lokman Slim Foundation (Beyrouth), Liban-France
52. Ramin Jahanbegloo, philosophe, Iran
53. Kamel Jendoubi, militant des droits humains, Tunisie-France
54. Salam Kawakibi, politologue, Syrie-France
55. Tahar Khalfoune, universitaire, Algérie-France
56. Elias Khoury, écrivain, Liban
57. Driss Ksikes, écrivain, Maroc
58. Abdellatif Laabi, poète, Maroc
59. Smaïn Laacher, sociologue, France
60. Kamal Lahbib, militant des droits humains, Maroc
61. Jaffar Lakhdari, entrepreneur, Algérie
62. Lotfi Madani, consultant, Algérie-France
63. Ahmed Mahiou, juriste, Algérie
64. Charif Majdalani, écrivain, Liban
65. Ziad Majed, politiste, Liban-France
66. Georgia Makhlouf, écrivaine, Liban
67. Farouk Mardam-Bey, éditeur, Syrie-France
68. Mohammed Mbougar-Sarr, écrivain, Sénégal
69. Fatéma Meziane, professeure agrégée d’arabe, Maroc
70. Khadija Mohsen-Finan, universitaire, Tunisie-France
71. Célestin Monga, économiste, Cameroun
72. Boniface Mongo-Mboussa, écrivain, Congo Brazza-France
73. Wajdi Mouawwad, metteur en scène, Liban-France
74. Nabil Mouline, historien, Maroc
75. Madeleine Mukamabano, journaliste, Rwanda-France
76. Lamia Oualalou, journaliste, Maroc-France
77. Salah Oudahar, poète, directeur de festival, Algérie-France
78. Cécile Oumhani, écrivaine, France
79. Atiq Rahimi, écrivain, Afghanistan
80. Michèle Rakotoson, écrivaine, Madagascar
81. Arundhati Roy, écrivaine, Inde
82. Lamine Sagna, universitaire, Sénégal-Etats-Unis
83. Antonio Carlos Secchine, écrivain, Brésil
84. Nada Sehnaoui, artiste plasticienne, Liban
85. Leïla Shahid, ancienne ambassadrice, Palestine
86. Muzna Shihabi-Barthe, militante des droits humains, Palestine
87. Wole Soyinka, écrivain, Nigeria
88. Wassyla Tamzali, essayiste, Algérie-France
89. Nadia Tazi, écrivaine, Maroc-France
90. Hyam Yared, écrivaine, Liban
Débats
LA RÉVOLUTION TUNISIENNE EN PANNE. ENTRETIEN AVEC L’ÉMINENT JURISTE YADH BEN ACHOUR*.

* Le Pr Yadh BEN ACHOUR est né en 1945 dans une famille de lettrés issus de l’université historique de la Zaytouna de Tunis. Docteur d’Etat en Droit Public, il a poursuivi depuis le début des années 70 une longue carrière universitaire et a occupé, entre 1993 et 1999, le poste de doyen de la faculté des sciences juridiques à l’université de Carthage. Désigné membre du Conseil constitutionnel tunisien en 1988, il en démissionne en 1992 pour protester contre la tentative des autorités de liquider la Ligue tunisienne des droits de l’homme, par l’intermédiaire d’une réforme de la loi sur les associations. Après la Révolution de janvier 2011, il est désigné président de la Haute Instance de réalisation des objectifs de la révolution, dont la mission essentielle consistait à mettre en place l’arsenal juridique et institutionnel nécessaire à la tenue d’élections véritablement démocratique de l’Assemblée nationale constituante. Yadh Ben Achour est également membre du Comité des droits de l’Homme des Nations unies. Il a été titulaire de la chaire annuelle Mondes Francophones au Collège de France de 2019 à 2021.
Débats
GUERRE DES RÉGIMES EN UKRAINE. QUID DE L’ALGÉRIE ? par Kamel AMARI*

La guerre déclenchée en Ukraine avec l’invasion russe est une opération qui offre une cartographie politique précise de la nature des régimes qui siègent à l’ONU.
Si on essaye d’étudier de près le vote effectué le 2 mars dans l’enceinte onusienne, on note que chaque positionnement révèle les types de systèmes de gouvernance qui déterminent les relations que plusieurs pouvoirs nouent avec la Russie.
En dehors de l’Afrique du Sud et de la Namibie qui sont considérées comme des démocraties imparfaites, les autres pays qui se sont abstenus sont répertoriés comme des régimes hybrides ou autoritaires. La fidélité témoignée aujourd’hui par l’Afrique du Sud aux Russes remonte au soutien apporté par l’URSS à l’ANC en lutte contre l’Apartheid.
Les quatre pays (Corée du Nord, Syrie, Érythrée, Biélorussie) qui ont soutenu directement le maître du Kremlin sont sous l’emprise de régimes autoritaires. Par ailleurs, parmi les 35 pays qui se sont abstenus, 16 se trouvent en Afrique, ce qui donne une idée de la force de pénétration de Moscou ces dernières années sur le continent noir. Beaucoup de ces régimes ont d’ailleurs apporté par le passé un soutien indirect mais constant sur d’autres dossiers à l’autocrate russe. C’est le cas de l’Algérie.
Parmi les pays du BRICS, seul le Brésil, ‘’ démocratie imparfaite ‘’ a condamné l’invasion russe en exigeant que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine. Pour le continent latino-américain, la plupart des pays ont voté la résolution de l’ONU à l’exception de la Bolivie, du Nicaragua et de Cuba qui se sont abstenus. Par contre, le Venezuela a pris la même position que le Maroc en quittant l’hémicycle des Nations Unies.
Nombreux sont les analystes qui considèrent déjà que la guerre en Ukraine offre une grille de classification des systèmes de gouvernance qui se répartissent en deux grands groupes : les régimes démocratiques et les pouvoirs autocratiques voire dictatoriaux. Les militants de l’orthodoxie tiers-mondiste le contestent, mais nous sommes bien dans une conjoncture historique qui dévoile un monde oscillant entre aspiration à la liberté et soumission à l’oppression.
Si l’on fait l’effort de s’extraire des caricatures avancées par les uns et les autres – l’OTAN expansionniste d’un côté et la guerre contre la démocratie de l’autre -, une réalité prosaïque expose une situation implacable : un État asservi par une autocratie fait toujours subir les affres de l’autoritarisme à son peuple. On peut d’ailleurs supposer que l’invasion de l’Ukraine sera mise à profit par les despotes pour exercer leur diktat dans le silence et l’indifférence. L’Algérie compte des centaines de détenus d’opinion qui croupissent dans les geôles du régime sans pour autant susciter de condamnations à la mesure des abus commis par une justice instrumentalisée comme jamais.
L’institut V-Dem, un observatoire lié à l’université de Göteborg en Suède évoque la notion de ‘’viralité autocratique’’. La répression, devenue transnationale, lèse dans l’impunité de plus en plus de citoyens du monde dans leurs droits fondamentaux.
Une autre source, le rapport de l’Economist Intelligence Unit (EIU) de 2021 traitant de l’indice de démocratie, rapporte que près de 40 % de la population mondiale subit les outrages des régimes autoritaires.
Essayons de voir ce qu’il en est des trois régimes nord-africains, en l’occurrence l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. L’Algérie qui est classée à la 113 éme position est identifiée comme un régime autoritaire avec une note de 3,77/10. Les arrestations arbitraires, la criminalisation de l’acte politique inscrit dans l’article 87 bis et la liberté de conscience abolie par la constitution algérienne de 2020 ont été sans aucun doute déterminants dans la qualification de la nature du régime du FLN. En revanche, les deux autres pays de la région sont répertoriés comme régimes hybrides.
Ce classement est déterminé selon 60 critères regroupés dans cinq grandes catégories :’’ le processus électoral et le pluralisme, les libertés civiles, le fonctionnement du gouvernement, la participation politique et la culture politique’’. Cette catégorisation distingue quatre types de régimes : la démocratie pleine, la démocratie imparfaite, le régime hybride et le régime autoritaire. On notera que l’Algérie appartient au dernier groupe.
Cette méthode qui évalue l’indice de démocratie à travers le monde est utilisée depuis 2006.
Observons maintenant ce qu’il en est des nations qui se sont émancipées de l’ex-union soviétiques ? Les trois pays baltes, anciennes républiques de l’URSS, qui ont obtenu leur indépendance en 1991, notamment la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie et qui ont fait le choix de l’Occident, sont comptabilisées comme des démocraties imparfaites. En se libérant de la domination communiste, ces nations, à l’inverse de la Biélorussie, ont investi dans la consolidation du processus démocratique en travaillant à la construction d’institutions légitimes qui s’accompagnent d’une qualité de vie vers laquelle regardent aussi les citoyens russes. C’est moins le danger militaire que le risque de la contagion démocratique qui a fait intervenir Poutine en Ukraine.
Il y a donc lieu de toujours inscrire l’analyse de l’invasion ukrainienne par rapport à la nature du régime qui cherche à imposer son mode de gouvernance à Kiev. C’est, pour une bonne partie, la peur de retomber dans les griffes du grand frère qui motive la résistance ukrainienne. Et cet aspect est souvent occulté dans nombre d’analyses, y compris dans la contribution de Mohamed Benhaddadi, publiée par adn-med le 18 mars; intervention dont l’approche humanitaire est, par ailleurs, remarquable.
Pour autant, l’argument qui consiste à dire que l’autocrate russe s’est attaqué à une démocratie accomplie en envahissant l’Ukraine est -il justifié ? Pas tout à fait si on se fie au classement de cet observatoire britannique qui considère que l’Ukraine est un régime hybride.
De façon générale, on remarque que l’essentiel des positionnements dans ce conflit est d’abord dicté par les intérêts des régimes et donc leur degré d’inféodation (dépendance militaire et sécuritaire, de formation, proximité historique ou géographique…) à Moscou. De cet état de fait découle une donnée : la quasi-totalité des soutiens directs ou indirects à l’invasion russe sont des autocraties voire des dictatures. Alger n’échappe pas à la règle. Se pose alors une autre question ; décisive pour l’avenir de l’Algérie. Les dirigeants de ce pays, militaires et civils, ont-ils apprécié à sa juste mesure le coût d’une trop grande proximité avec Moscou ? Le pays peut-il perpétuer l’alignement qu’il a choisi en 1962 dans un environnement mondial qui n’a plus rien à voir avec celui d’aujourd’hui ? Il suffit de regarder le statut de Damas, Bangui, Benghazi et Bamako pour voir que Moscou n’est plus dans une géostratégie d’influence mais de conquête.
En guise de conclusion, on peut estimer que la guerre en Ukraine dessinera rapidement de nouvelles règles dans la scène internationale. Se dirige-t-on vers un monde multipolaire où va-t-on revenir au bipolarisme né de la seconde guerre mondiale avec la guerre froide qui a opposé les États-Unis et l’URSS ? Peut-on négliger la montée en puissance de la Chine dans ce nouvel ordre mondial ? Le niveau de la connexion que Pékin accepte ou refuse à Moscou pèsera lourd dans l’équilibre des forces.
Quel avenir pour les régimes autoritaires ou hybrides de l’Afrique du Nord dans ce rééquilibrage ?
Un rappel. Seule 6.4% de la population mondiale profite de ‘’ la démocratie complète ‘’. La crise ukrainienne souligne une donnée géopolitique plusieurs fois constatée dans l’Histoire. C’est moins la taille d’un pays que le niveau de son développement démocratique qui détermine l’autonomie de décision des nations.
L’heure est à l’audace. Pour les petites et moyennes puissances, une pédagogie s’inspirant de la gouvernance des sociétés scandinaves n’est-elle pas un exemple à méditer par les peuples d’Afrique du Nord ?
* Kamel AMARI, journaliste.
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