POUVOIR ET DIASPORA EN ALGÉRIE : ENTRE RÉPULSION ET SÉDUCTION
Le chef de l’État algérien a adressé ce lundi un message à la diaspora à l’occasion des tragiques manifestations du 17 octobre 1961. L’appétence pour la multiplication de la célébration des évènements historiques de la guerre de Libération, particulièrement aiguë depuis l’installation d’Abdelmadjid Tebboune au pouvoir, s’est encore vérifiée à l’occasion de la célébration des massacres qui ont sanctionné les manifestations déclenchées par la fédération de France du FLN, FFFLN et qui ont ébranlé l’opinion française et interpellé la communauté internationale.
« Notre diaspora est, évidemment, concernée en cette phase où nous nous attelons à l’édification de l’État des institutions et de droit, et relevons les défis de la construction de l’Algérie nouvelle. Elle est appelée à intensifier sa contribution à l’effort national, d’autant que la révision de la Constitution lui a permis d’adhérer à la dynamique socioéconomique enclenchée dans l’Algérie nouvelle qui mise sur le potentiel de ses enfants, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, une Algérie forte, prospère, altière et ouverte sur le monde » peut-on lire dans le communiqué de la Présidence.
La relation entretenue par le pouvoir algérien avec l’émigration fut de tous temps marquée par l’ambiguïté. Les observateurs qui suivent la scène algérienne savent que cette relation est l’un des indicateurs illustrant le mieux les intentions du régime en matière de démocratisation.
La FFFLN qui prit partie contre le coup de force de l’armée des frontières fut éliminée de la course au pouvoir dès 1962. Pendant le règne de Boumediene, la communauté émigrée, étroitement surveillée par la sulfureuse Amicale des Algériens en Europe, fut considérée comme une cinquième colonne. Bouteflika fit modifier la constitution pour empêcher les binationaux d’accéder à certains postes de responsabilités. Et aujourd’hui, une bonne partie des efforts du département dédié « à la lutte antisubversive » est consacrée au fichage et à l’intimidation des activistes de la diaspora dont beaucoup sont interpellés à l’arrivée ou à la sortie du pays, ce qui conduit un nombre important d’Algériens expatriés à renoncer ou à différer leur voyage vers l’Algérie.
La Tunisie et le Maroc entretiennent des relations plus apaisées avec leurs diasporas qui peuvent, par exemple, transférer leurs devises par des circuits bancaires sans passer par les fourches caudines du change parallèle. « Contrairement à ce que l’on peut penser, ce trafic pénalise beaucoup la diaspora industrieuse qui se voit privée de la moitié de son capital à chaque fois qu’elle envisage de créer une activité en Algérie. La vraie valeur du dinar c’est celle du marché parallèle » explique ce fonctionnaire du ministère des finances qui requiert l’anonymat.
Alger veut attirer les compétences et les capitaux de ses ressortissants installés à l’étranger tout en les invitant à aseptiser leur propos et conduite, c’est-à-dire ce qui fait leur singularité. Le défi est compliqué. Pour la diaspora, le nombre de cadres qui fuient le pays ne constituent pas un facteur d’encouragement au retour ou à l’investissement.
Les soudaines libérations des détenus d’opinion consenties ce mardi (voir chronique de Saïd Chekri) sont-elles une manœuvre conjoncturelle destinée à rassurer une opinion internationale dépitée par les régressions civiques et politiques que connait l’Algérie ou une prise de conscience des limites des fermetures du pays ? Une partie du positionnement de la diaspora par rapport à sa terre d’origine dépend de la suite qui sera réservée à ces élargissements.