CONTEXTE MONDIAL INÉDIT MAIS SOMMET ARABE TRÉS ORDINAIRE. Par Saïd CHEKRI
Tombée de rideau sur le Sommet de la Ligue arabe d’Alger. Trente-et-unième du genre, il aura été, comme ses précédents, une parfaite réplique de toutes ces kermesses qui, depuis plusieurs décennies et de Rabat à Mascate, ont jalonné ce que les États membres de la Ligue ont convenu d’appeler “l’action arabe commune”. Comme eux, il est sanctionné par un communiqué final qui, comme attendu, donne une impression de… “déjà lu”, mais qui, pour la circonstance, est solennellement baptisé “Déclaration d’Alger” comme on le ferait pour un texte appelé à faire date parce qu’il marque un tournant dans les relations inter-arabes ou une nouvelle approche dans les rapports du monde dit arabe au reste de la planète.
Pour Alger qui avait bataillé dur pour que cette session ne soit ni reportée encore une fois ni délocalisée vers une autre capitale, l’existence désormais acquise d’une “Déclaration d’Alger” adoptée par les participants au Sommet est en elle-même un “succès diplomatique”, donc un bon motif de jubilation. Laquelle jubilation est d’ailleurs si totale qu’à l’issue du conclave, Ramtane Lamamra s’est noyé dans les félicitations et les congratulations appuyées à tous ceux qui ont contribué à la “réussite” de l’événement et n’a pas omis de…remercier les citoyens algériens pour avoir “fait preuve de patience sur les routes en raison des désagréments” qu’ils ont dû subir tout au long du cérémonial. Sans doute ne les a-t-il pas entendus dire toute “l’estime” qu’ils vouent au Sommet et à “l’action arabe commune”, eux qui ont vociféré vertement au volant de leurs voitures coincées pendant des heures dans les embouteillages inextricables. Il y a d’ailleurs des chances qu’ils perçoivent plutôt une petite dose de cynisme que de reconnaissance dans le propos du ministre des Affaires étrangères.
Pour Alger, c’est donc mission accomplie : elle a eu “son sommet” et seul cela compte. Pour les autres, tous les autres, il fallait satisfaire aux formalités telles que définies par le protocole de la Ligue arabe et c’est chose faite.
Mais si Lamamra a ainsi tenu à grossir le trait sur le succès du Sommet, c’est sans doute pour mieux cacher les ratages de celui-ci. Et, d’évidence, il ne les ignore pas. Car l’on sait que tout ne s’est pas déroulé comme souhaité : la défection de sept chefs d’États membres, et pas des moindres, est un flop qu’il est difficile d’occulter. D’autant qu’Alger avait bruyamment misé, directement ou par le biais de médias maison, sur une “participation large et de haut niveau“. S’il est vrai que les absences de présidents et de souverains aux sommets arabes sont plutôt chose courante, le rendez-vous d’Alger avait été longtemps présenté comme particulier, voire historique, et ne pouvait donc s’accommoder de ces “fausses notes” ou manquements protocolaires qui, très souvent par le passé, émaillaient les précédentes réunions des plus hauts dirigeants arabes. Qui plus est, ce Sommet d’Alger allait se tenir dans une conjoncture régionale et internationale, nouvelle et très particulière même, car marquée par la fin d’une pandémie inédite autant par son étendue que par ses effets, suivie de la situation critique dans laquelle est plongé le monde depuis l’invasion de l’Ukraine par l’armée de Vladimir Poutine. Autant de nouvelles donnes qui auraient pu plaider pour une approche totalement rénovée des dossiers qui nécessitent, plus que jamais, la mise en place de nouveaux mécanismes et instruments régionaux comme autant de supports pour des solidarités diplomatiques ou économiques effectives ou encore pour des regroupements ou mutualisations des moyens. Les pays du Golfe vont sans doute le faire plus densément que jamais. Il est vrai qu’ils ont plusieurs longueurs d’avance sur les États d’Afrique du nord, le Conseil de coopération du Golfe n’étant pas dans le même état de “mort clinique” de l’Union du Maghreb… dont on aura relevé, signe des temps, l’absence du secrétaire général au Sommet d’Alger.
C’est donc dans une conjoncture mondiale inédite, voire extraordinaire que le 31ème Sommet arabe vient de se tenir sans pour autant se départir, lui, de l’ordinarité qui a de tout temps caractérisé les précédentes sessions.
Ordinaire dans son déroulement et dans ses conclusions, il ne le sera pas dans ses implications immédiates et ses retombées futures. On voit déjà qu’il a encore creusé le fossé un peu plus entre Alger et Rabat.
Et cela ne s’arrêtera pas là. Si les flops des Sommets passés n’ont prêté qu’à des conséquences supportables et gérables et n’ont pas provoqué un éclatement de la Ligue, ce qui vient de se passer à Alger est peut-être annonciateur de l’apparition prochaine d’une fissure. Silencieuse pour l’heure, elle est pourtant déjà à l’œuvre. Les pays dont les chefs d’État ont boudé la réunion d’Alger ont de toute évidence quelque chose en commun…qu’ils ne partagent pas avec les autres. Et la “ligne de césure” n’est pas strictement géographique : le Royaume du Maroc étant désormais plus proche du Golfe que de l’Algérie…Et Alger plus proche de Damas que de Rabat.