

Culture
JOURNÉE CINÉMATOGRAPHIQUE DE CARTHAGE : LA TANZANIE LAURÉATE
Après deux ans de pause pour cause de COVID, la 33ème édition des journées cinématographiques de Carthage, JCC ouverte le 29 octobre a été clôturée ce samedi par la victoire de la Tanzanie qui s’est vue remettre le Tanit d’or pour « Les Révoltés » (Vuta N’Kuvute) d’Amil Shivji coécrit avec Jenna Bass.
Présidé par le cinéaste marocain Mohammed Abderrahman Tazi, le jury a justifié son choix par une œuvre remarquable par sa perfection « cinématographique à tous les niveaux et (…) un propos à la fois politique et intime ».
Fiction de 90’, parlant swahili et anglais, « les Révoltés » sorti en 2021 est le candidat de la Tanzanie aux Oscars 2023.
Le film est une adaptation d’un roman d’Adam Shafi, écrivain tanzanien de langue swahili, qui restitue avec subtilité et densité la ségrégation raciale du régime colonial britannique qui sévissait sur les côtes de Zanzibar dans les années 50.
Il est rare que l’Afrique anglophone soit distinguée dans une manifestation qui a jusque-là consacré les films d’expression francophone ou arabe produits par la Tunisie (neuf Tanit d’or), le Maroc, l’Algérie le Sénégal, l’Égypte ou la Syrie.
Le cinéma tunisien a reçu le Tanit d’Argent pour le film « Sous les Figues », de la franco-tunisienne Erige Sehiri, qui est retenu pour représenter la Tunisie aux Oscars 2023.
Cette rencontre cinématographique qui demeure l’une des plus anciennes et plus connues du continent africain parvient à traverser les temps et les crises et réussi même à s’étoffer – d’autres sections comme « la Semaine de la critique de Carthage » ont connu leur première édition cette année – dans un contexte national soumis à l’instabilité et au verrouillage politiques, un conservatisme sociétal sur lequel souffle un islamisme en recul mais toujours prêt à sévir et des conditions socio-économiques de plus en plus contraignantes.
Culture
Diaspora. Un 8 Mars honoré par Ali Amrane à Poissy
Un kabyle de plus qui illumine les salles parisiennes

A l’occasion de la journée internationale des droits de la femme, le célèbre chanteur algérien d’expression kabyle Ali Amrane – un virtuose de la mélodie et de l’arpège dont la modernité n’altère en rien l’authenticité du chant –, a illuminé samedi dernier, la salle du Forum Armand Peugeot à Poissy, région parisienne..
Avant-première :
Invitées à se produire, les deux étoiles montantes de la chanson kabyle, en l’occurrence Yasmine TALEB et Lycia NABETH, ont brillamment assumé leur rôle de relève en émerveillant le public par leurs voix puissantes et mélodieuses et la maitrise de leur langue maternelle.
Un show mémorable :
La star de la soirée a fait son apparition devant un public manifestant un enthousiame débordant. Il a commencé par interpréter une des chansons de son album réalisé avec le grand Idir en 2018, « ahlil a win ihana w-ulis » avant de poursuivre avec plusieurs titres qui rendent hommage à la femme, notamment « Huriya », « bƔiƔ a-kem hemmala Ɣ» et « anef-as i tuzyint ».
Dans une ambiancefrisant l’ euphorie, les spectateurs, majoritairement, jeunes chantaient avec Ali Amrane les plus belles chansons de sa carrière avant de finir sur son titre fétiche « Tabalizt ».
Surprise de la soirée Ce concert dédié aux droits des citoyennes a connu la présence d’Anissa BELAKASSEM et Sekoura HANNAD, respectivement 1ere et 4éme dauphine de « Miss Amazigh de France 2023 » qui ont tenu à monter sur scène pour exprimer leur hommage à la femme berbère.

Hommage au grand IDIR
Les animateurs de la soirée n’ont pas manqué de rendre hommage à la légende de la chanson kabyle Idir en interprétant ses standards comme « azwaw » ou « avrib », un moment émouvant, applaudi par le public qui a apprécié l’initiative de perpétuer la mémoire de l’artiste disparu en 2020..
Ali Amrane partage avec Idir ce don de transmettre l’âme de la poésie et de la musique amazighes sur des supports modernes qui projettent avec bonheur cette culture dans l’universalité : un talent rare.
S.K
Culture
CREATION DE LA LIGUE DES ECRIVAINES D’AFRIQUE

Une fois n’est pas coutume, le 8 mars accouche d’une initiative concrète à même de valoriser la production intellectuelle des femmes dans le continent africain.
Ce 9 mars se tiendra au siège de la bibliothèque nationale du royaume du Maroc sise à Rabat le congrès constitutif des écrivaines d’Afrique qui rassemble une quarantaine de pays. Selon le texte annonçant l’évènement, cette rencontre a vocation à « renforcer les voies de partenariat culturel africain » pour définir et réaliser « un grand projet intellectuel et culturel, dont la préparation a été assurée par la Ligue des écrivaines du Maroc pendant des mois » ; travail qui a été organisé et supervisé « par la présidente de la Ligue ( marocaine ndlr), Badia Radi, avec un groupe d’écrivaines arabes et africaines, à travers les différentes branches de la Ligue et différents pays du monde ».
A l’issue de ses travaux, le congrès aura à élire la présidente de la Ligue africaine et les présidentes des Ligues nationales qui lui seront affiliées.
L’instance continentale se veut d’ors et déjà un support de « l’africanité en tant que principal levier pour le développement » dont la mission cardinale est d’ assurer « la consolidation des liens de fraternité et tisser des partenariats en matière de développement humain et culturel, au service d’une culture sans frontières. » Une ambition qui passe par la promotion de le diversité culturelle et le multilinguisme dans le continent (…) en vue de construire des passerelles de partage, de solidarité et de coopération Sud-Sud.
Culture
LA FONDATION ARKOUN FAIT DON DE SON FONDS A LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DU MAROC
Exclu de son pays et célébré au Maroc

Le fonds bibliothécaire de la Fondation Mohamed Arkoun pour la paix entre les cultures, gérée par Touria Yacoubi, la veuve du défunt intellectuel a été remis à la bibliothèque nationale du royaume du Maroc, la BNRM ce mercredi ; la décison fut consacrée par la signature d’une convention de donation. C’est ce qu’annonce Mohamed el Ferrane directeur deladite institution.
La cérémonie au cours de laquelle a été projeté un film dédié à la bibliothèque du chercheur disparu fut rehaussée par la présence de membres du gouvernement comme Mohamed Mehdi Bensaid ministre de la jeunesse, de la culture et de la communication, ceux de la société civile dont Driss El Yazami, président du conseil de la communauté marocaine émigrée ainsi que des acteurs de la communauté universitaire parmi lesquels le professeur Mohamed Touazi, ancien élève de Mohamed Arkoun, qui ont salué le geste de la présidente de la Fondation et témoigné sur le parcours et l’œuvre d’un homme dont les travaux furent souvent prémonitoires quant aux problèmes qui ont affecté le monde musulman.
Composé de plus de 5000 ouvrages et 2000 revues, ce patrimoine représente une valeur culturelle, scientifique et intellectuelle inestimable.
Mohamed Arkoun intellectuel laïc, historien, islamologue et philosophe est né en Kabylie en 1928 et mort à Paris en 2010. Il est enterré au Maroc dont est originaire son épouse.
Personnalité reconnue dans le monde entier, il est l’auteur de plusieurs ouvrages qui font référence dans le monde universitaire et les centres de recherche. En dépit d’une notoriété internationale, il n’avait pas pu trouver écoute et considération auprès des dirigeants algériens de son vivant malgré sa volonté à se rendre disponible dans les manifestations organisées par son pays. Lors d’un colloque qui s’était déroulé à Bejaia en juillet 1985, il fut, d’après le témoignage de sa fille Sylvie*, rudoyé par l’égyptien El Ghazali, figure notoire de l’organisation des Frères musulmans, qui l’avait traité d’apostat et contraint à quitter les lieux. Ce fut, selon les proches du penseur, l’incident qui provoqua une rupture irréversible avec sa terre natale et qui le conduisit à choisir d’être enterré au Maroc où il repose désormais.
*Sylvie Arkoun, les vies de Mohamed Arkoun éditions PUF.
Culture
PREMIER SALON DE LA GASTRONOMIE ALGÉRIENNE AU CANADA : UN ENGOUEMENT RECORD

C’est sur Côte-des-Neiges, l’arrondissement le plus populaire de Montréal, que le Salon de la gastronomie algérienne au Canada a jeté son dévolu pour son baptême du feu en ce samedi enneigé du 14 janvier.
Les portes ouvertes à 12 heures, le salon était littéralement pris d’assaut par une foule de visiteurs inattendue de visiteurs, en tout cas inespérée de l’avis même des initiatrices de la manifestation. Une longue file d’attente menant à l’entrée de la salle d’exposition du salon attestait de l’engouement des Montréalais pour la cuisine algérienne.
À l’intérieur du salon, l’affluence était telle qu’il était quasiment impossible de se déplacer. De l’avis de certains observateurs qui suivaient ave une certaine curiosité l’évènement, pas moins de trois mille visiteurs ont franchi le seuil de la salle d’exposition.







« L’idée a commencé à germer dans ma tête en 2018. Avec la rencontre de Sabrina et Hana, le rêve qui a pris forme progressivement s’est enfin réalisé », nous confia Ismahane Dahmane, une des organisatrices. Fille d’Alger et traiteur de son état, elle ne compte pas en rester là. Surmontant difficilement sa timidité, l’entrepreneure, arrivée au Canada en 2014, tient toutefois à nous faire savoir qu’elle aiguise ses ambitions pour prendre un autre élan et ouvrir grands les horizons qui lui permettront de faire découvrir aux Canadiens l’immense richesse de la gastronomie algérienne.
Pour sa première édition, le Salon, qui a réuni 26 exposantes — toutes des femmes —représentant la mosaïque culinaire algérienne, a connu un franc sucès. Les organisatrices et leurs partenaires ne s’attendaient guère à un tel engouement. Par moments, nous les voyions débordées par l’afflux incessant du public venu à la recherche des saveurs algériennes. À telle enseigne que Faïza, une visiteuse impressionnée par la foule « des gourmands » qui se bousculait autour des mets soigneusement mis en valeur, déclara que le Salon est victime de son succès. La générosité des exposantes a permis aux visiteurs curieux ou connaisseurs, issus de toutes origines ethniques composant la métropole québécoise, de déguster et, pour ceux qui le souhaitaient, d’acquérir les délicieux trésors culinaires d’éveiller les papilles des profanes ou de réjouir celles des connaisseurs.
« Le but est atteint. Je dirais même qu’il est dépassé. Nous avions enregistré un record en affluence et fait connaître notre gastronomie », a, pour sa part, souligné la très sympathique et énergique Hana Hamadi, co-organisatrice de l’exposition. Avant de terminer par remercier « Femmes du monde », un organisme montréalais d’aide et de soutien aux femmes, pour son précieux concours financier à ce premier salon de la gastronomie algérienne qui a baissé rideau à 18 heures.
S. Amrane
Culture
YENNAYER AMEGGAZ 2973

Culture
JOURNÉE CINÉMATOGRAPHIQUE DE CARTHAGE : LA TANZANIE LAURÉATE

Après deux ans de pause pour cause de COVID, la 33ème édition des journées cinématographiques de Carthage, JCC ouverte le 29 octobre a été clôturée ce samedi par la victoire de la Tanzanie qui s’est vue remettre le Tanit d’or pour « Les Révoltés » (Vuta N’Kuvute) d’Amil Shivji coécrit avec Jenna Bass.
Présidé par le cinéaste marocain Mohammed Abderrahman Tazi, le jury a justifié son choix par une œuvre remarquable par sa perfection « cinématographique à tous les niveaux et (…) un propos à la fois politique et intime ».
Fiction de 90’, parlant swahili et anglais, « les Révoltés » sorti en 2021 est le candidat de la Tanzanie aux Oscars 2023.
Le film est une adaptation d’un roman d’Adam Shafi, écrivain tanzanien de langue swahili, qui restitue avec subtilité et densité la ségrégation raciale du régime colonial britannique qui sévissait sur les côtes de Zanzibar dans les années 50.
Il est rare que l’Afrique anglophone soit distinguée dans une manifestation qui a jusque-là consacré les films d’expression francophone ou arabe produits par la Tunisie (neuf Tanit d’or), le Maroc, l’Algérie le Sénégal, l’Égypte ou la Syrie.
Le cinéma tunisien a reçu le Tanit d’Argent pour le film « Sous les Figues », de la franco-tunisienne Erige Sehiri, qui est retenu pour représenter la Tunisie aux Oscars 2023.
Cette rencontre cinématographique qui demeure l’une des plus anciennes et plus connues du continent africain parvient à traverser les temps et les crises et réussi même à s’étoffer – d’autres sections comme « la Semaine de la critique de Carthage » ont connu leur première édition cette année – dans un contexte national soumis à l’instabilité et au verrouillage politiques, un conservatisme sociétal sur lequel souffle un islamisme en recul mais toujours prêt à sévir et des conditions socio-économiques de plus en plus contraignantes.
Culture
TOULOUSE HONNORE IDIR

Depuis le mercredi 26 octobre, une place du quartier Victor Hugo, centre de Toulouse, porte désormais le nom du chanteur IDIR, de son vrai nom Hamid Cheriet, disparu le 2 mai 2020 à l’âge de 75 ans. Sur la plaque commémorative, on peut lire : « Place Idir, chanteur, auteur, compositeur, interprète et musicien algérien d’expression kabyle. 1945 -2020 ».
L’inauguration a eu lieu en présence du maire de Toulouse Jean Luc Moudenc et de la fille de l’artiste Tanina qui s’est elle aussi engagée dans la chanson du vivant de son défunt père.
Selon des sources proches de la mairie de Toulouse, cette décision a été prise à la suite de la proposition de Fella Allal, adjointe au maire originaire de la ville algérienne de Tlemcen. Sur la toile, les internautes qui saluent l’évènement ne manquent pas de relever qu’en Algérie, Kabylie comprise, aucun endroit n’a été dédié au célèbre chanteur qui a porté aux quatre coins du monde une image d’authenticité et de modernité de son pays.
Culture
MAROC : LA CENSURE FRAPPE TOUJOURS

Le film du franco-marocain Ismael El Iraki « Zanka contact » sorti au Maroc en septembre 2021 a rencontré un public enthousiaste. Ce jeudi, il vient d’être subitement l’objet d’une suspension de son visa d’exploitation commerciale. Motif de cette ostracisation ? L’introduction dans la bande originale d’un morceau de la chanteuse sahraouie Mariem Hassan décédée en 2015 qui soutenait l’indépendance du Sahara occidental.
Le réalisateur n’avait pas mentionné cette donnée lors de sa demande de subvention et d’exploitation. Après de vives critiques de la presse, le centre cinématographique marocain, CCM qui a contribué à hauteur d’environ 380 000 euros a décidé d’avoir la main lourde : outre la suspension du visa d’exploitation, la société de production est sommée de se conformer au descriptif déposé initialement sous 48 heures, c’est-à-dire de retirer le morceau musical de Mariem Hassan. De plus, le CCM suspend la carte du réalisateur, ce qui l’empêche d’accéder à toute subvention. Dans un communiqué adressé à l’APS, les producteurs et le réalisateur se sont dits désolés de voir un malentendu prendre une telle ampleur. Ils assurent que le morceau musical fut choisi en raison de la voix de la chanteuse et « en aucun cas ce qu’elle représente politiquement ».
Signe de la sensibilité éruptive de tout ce qui concerne la question du Sahara occidental, ce film qui retrace une histoire d’amour crue entre une prostituée à la voix sublime et une rock-star aspirée dans les ravages de la drogue ne fit pas problème au Maroc à sa sortie. Fin septembre, il reçut même le grand prix du fil de Tanger. Il a suffi que la presse signale la séquence musicale de la Sahraouie pour que les structures institutionnelles s’alignent sur la vox populi, toujours conditionnée par les suggestions officielles ou implicites des cercles les plus conservateurs du pouvoir.
Culture
« CITOYEN D’HONNEUR » : UN FILM QUI CHANTE LA VÉRITE ALGÉRIENNE

Samir Amin (Kad Merad) a quitté l’Algérie clandestinement après les émeutes d’octobre 88. 34 ans plus tard, la littérature le conduit au prix Nobel. Sa ville natale, Sidi Mimoun, une agglomération de l’ouest algérien, le prie de revenir pour y être consacré citoyen d’honneur. Il redécouvre une cité où se concentrent tous les spasmes qui minent un pays captif de réseaux occultes qui investissent les institutions et aliènent, à divers degrés, les catégories sociales. Les personnes qu’il retrouve ont en fait inspiré l’essentiel des personnages de ses romans. Puisés dans le quotidien de provinciaux, les comportements individuels, positifs ou péjoratifs, sont subtilement exposés pour apparaitre comme des symptômes de problématiques plus profondes. Les relais du régime côtoient et affrontent une jeunesse vivant et aspirant à un monde parallèle à celui qu’on lui prépare. Le réalisateur souligne sans forcer le trait la duplicité du monde des adultes où chacun tente de survivre dans un univers où l’arbitraire du pouvoir peut se dévoiler aussi bien dans les instances officielles que des sectes informelles dont on laisse deviner connexions et complicités. L’intégrisme y est abordé de façon elliptique. On relève les porosités qui accompagnent un phénomène invoquant la transcendance tout en cultivant des manifestations triviales comme la vénalité qui affleurent au détour d’un mariage où lors d’autres échanges sociaux. L’emphase des locaux, soucieux de séduire l’enfant prodige, ne sombre pas dans la caricature.
Mohamed Hamidi qui déjà signé « la vache », « né quelque part » ou « jusqu’ici tout va bien » nous présente cette fois une fresque citoyenne qui a su échapper au manichéisme et à la tentation du militantisme d’embrigadement. L’exercice était risqué et le pari réussi. Le casting est d’une remarquable justesse ; la générosité des acteurs est crédible ; au point d’avoir fait oublier que nous sommes dans le remake d’un film argentin portant d’ailleurs le même nom sorti en 2016 et réalisé par Mariano Cohn et Gaston Duprat. Belle production qui fait largement oublier l’accent marocain de certains interprètes et l’erreur commise sur la valeur du dinar algérien.
On saura gré à Kad Merad, acteur consacré dans les films dédiés au public français, d’avoir quitté sa zone de confort pour faire vivre une Algérie qui souffre, se bat et espère. La diaspora devrait pouvoir y trouver matière à produire une réflexion donnant du sens à un destin aléatoire mais devant lequel on ne désespère pas.
Culture
« LE FRANÇAIS EST UN HÉRITAGE DE L’HISTOIRE ». Propos recueillis par Mustapha HARZOUNE.

Professeur Agrégée retraitée et Docteur ès-Lettres, Jeanne FOUET est l’auteure d’Écritures de la survie en milieu carcéral. Autobiographie des prisonniers marocains des « années de plomb » (L’Harmattan, 2019). Dans cette étude elle « questionne les limites de ce qu’un être humain peut supporter en termes d’atteinte à ses droits fondamentaux, et présente les ressources mobilisées par des prisonniers marocains durant « les années de plomb ». « Les survivants qui ont rédigé leur autobiographie, quelle que soit leur histoire privée et leur origine sociale, témoignent tous d’une redécouverte intense de leur sentiment d’appartenance à l’espèce humaine et du désir effréné de préserver une dignité mise à rude épreuve » rapporte Jeanne Fouet dans cet entretien qu’elle a accepté de donner au site ADN-MED.
Il y est aussi question de Driss Chraïbi, auquel elle a consacré son sujet de thèse soutenu en 1997 (Aspects du paratexte dans l’œuvre de Driss Chraïbi) ou de « l’héritage » de la langue française aujourd’hui en Afrique du Nord.
Pourquoi ce long et précis travail sur les témoignages des détenus marocains? Qu’est-ce qu’ils nous disent d’eux-mêmes et de la société marocaine des années 70 ?
Jeanne Fouet. Les témoignages des rescapés marocains s’avèrent précieux à plus d’un titre. En ce qui concerne les détenus militaires, ces hommes, jeunes encore, ont subi une détention de très longue durée dans des conditions proprement inhumaines au bagne de Tazmamart et la mortalité y a été très élevée. Les survivants qui ont rédigé les autobiographies que j’ai étudiées témoignent d’une stratégie de mise à mort lente due uniquement aux conditions de leur incarcération: rations de famine comportant des aliments toxiques, eau insuffisante, aucune hygiène dans une cellule constamment obscure, sans aucun ameublement -une dalle de béton, un trou pour les excréments- aucun vêtement de rechange en presque deux décennies, aucun soin médical, aucun courrier, aucune visite; abondance de pathologies physiques et psychiques. Le détenu meurt de faim, paralysé, dévoré par les insectes, piqué par les scorpions, ravagé de diarrhée, progressivement aveugle et édenté.

Trois frères appartenant à la classe affairiste cossue du Maroc, les Bourequat, ont également subi une très longue détention arbitraire de près de 20 ans -dont la dernière moitié à Tazmamart- due à un règlement de compte avec un des hommes les plus puissants du Maroc des années de plomb, Dlimi. Ils ont réussi à survivre mais ont conservé des séquelles graves de leur emprisonnement.
Enfin, mon corpus comporte l’étude de cinq ouvrages rédigés par madame Oufkir et trois de ses enfants (l’aînée, Malika, a écrit deux livres). La mère et ses six enfants dont le dernier n’avait pas trois ans ont été enfermées près de vingt ans également dans des lieux sinistres et ont enduré des souffrances multiples.
En quoi ces textes nous disent-ils quelque chose de la société marocaine du début des années 1970 ? Ils nous montrent déjà que l’appareil judiciaire est totalement défaillant : les militaires déportés à Tazmamart avaient pour certains bénéficié d’un procès au terme duquel diverses peines avaient été prononcées sans condamnation à mort. Les frères Bourequat et la famille Oufkir « disparaissent » du jour au lendemain sans qu’aucune plainte ne puisse être déposée. Les gardiens des détenus présentent des profils trop souvent ahurissants de méchanceté gratuite et de limitation intellectuelle. Par ailleurs, la presse paraît entièrement aux ordres du pouvoir, aucun écho des entraves au droit n’est présent. A cette époque, la terreur règne au Maroc. Hassan II a échappé à deux coups d’Etat et gouverne brutalement. Un autre aspect intéressant, c’est dans cette société le rôle joué par l’armée : beaucoup des militaires incarcérés appartiennent à des classes sociales défavorisées et ont gravi des échelons sociaux grâce à leur réussite aux concours d’entrée en écoles militaires. Plusieurs témoignages montrent l’attachement à cette institution -pas tous ! – et font état de l’inquiétude de l’armée devant les dérives de la politique menée par le roi et son clan. Une autre classe sociale, celles des riches et puissants, est abordée dans le corpus grâce aux ouvrages de la famille Oufkir. On y apprend pas mal de choses sur la vie au Palais et sur les intrigues de Cour.
Les survivants qui ont rédigé leur autobiographie, quelle que soit leur histoire privée et leur origine sociale, témoignent tous d’une redécouverte intense de leur sentiment d’appartenance à l’espèce humaine et du désir effréné de préserver une dignité mise à rude épreuve. Les relations des prisonniers entre eux attestent le plus souvent des sentiments d’empathie envers le sort du voisin. Entraide dans la misère et la mort, et lutte commune contre la folie parviennent à structurer les échanges quand ils peuvent avoir lieu. L’emprisonnement crée des micro-sociétés tentant d’établir des règles communes, et d’instaurer des complémentarités nécessaires. Les bricoleurs sont bienvenus tout autant que les amateurs de littérature et de cinéma capables de raconter des histoires.
Quelle est l’originalité de ces témoignages, de la littérature en général, comparée à la science historique ?
Jeanne Fouet. Le témoignage carcéral participe à la constitution de l’archive d’une période historique. Il offre également une compréhension de la tragédie humaine. La fiction, depuis toujours, permet de transcender les données du réel en apportant du monde au monde, et capture les affects du lecteur. Ce n’est pas la même posture psychique, mais notre humanité comporte toutes ces possibilités de rationalité et d’émois.
Pourquoi avoir choisi de travailler sur l’œuvre de Driss Chraïbi ?
Jeanne Fouet. J’ai choisi de faire de Driss Chraïbi mon sujet de thèse de manière totalement affective. On m’avait proposé Proust ! Mais j’avais lu La Mère du printemps – l’Oum er-Bia et je me suis lancée dans une spécialité universitaire parce que j’ai vécu de 4 à 10 ans tout à côté de l’Oum-er-Bia et que j’y ai lavé ma poupée… Chraïbi est un auteur parfois inégal, mais de grand intérêt. J’ai publié deux ouvrages et de nombreux articles sur son œuvre. Ce romancier évolue du désenchantement au désespoir et propose des fictions qui interrogent -parfois sur un mode facétieux, mais bigrement efficace- les principales structures de la société marocaine du vingtième siècle et leurs changements ou paralysies morbides. Le devenir des sociétés nord-africaines lui semble compromis par la perte des valeurs populaires et leur remplacement par une idéologie de l’arrivisme individuel. Je dis bien « populaires » et non pas « traditionnelles », car pour lui les traditions étouffent la jeunesse et figent le présent des peuples. Ses pseudo-mémoires installent une critique acide du fonctionnement du pouvoir royal, par le biais d’un personnage comique, l’inspecteur Ali, dans les dernières années de publication.
Driss Chraïbi représente encore aujourd’hui un modèle d’intégrité et de l’intellectuel engagé. Qu’en est-il aujourd’hui de la relève – à l’heure parfois des engagements « à bon compte » ?
Jeanne Fouet. En ce qui concerne le Maroc, plusieurs très bons auteurs contemporains méritent l’attention, Mohamed Nedali, Abdellah Taïa, Mahi Binebine, ou Fouad Laroui en particulier, qui est un peu le fils spirituel de Chraïbi. Quant à un auteur comme Tahar Benjelloun – qui a donné lieu à beaucoup de critiques et de jalousies locales ! – un prix Goncourt, ce n’est pas rien…J’ai déjà travaillé sur son œuvre, elle est inégale, mais comporte quelques beaux romans tel Jours de silence à Tanger, trop peu connu.
La langue française serait-elle en danger en AFN ?
Jeanne Fouet. La langue française est en danger partout ; même dans l’hexagone ! La perte de qualité de l’enseignement public y est pour beaucoup, et jouent également des facteurs sociétaux comme l’addiction aux écrans où l’on use d’une orthographe appauvrie, et le monde des images et de la rapidité en général. La place des littératures francophones maghrébines dans l’enseignement français est ridiculement restreinte. Dans les pays du Maghreb, je ne connais pas les programmes, mais je redoute qu’il en soit de même.
Peut-on considérer le français comme constitutif des cultures nord-africaines, revendiquer cette langue comme partie intégrante d’une histoire et d’une identité ?
Jeanne Fouet. A titre personnel autant que professionnel, je considère que la langue française est constitutive du paysage mental des générations ayant connu l’époque coloniale puis l’indépendance ou en étant issues. Pour les très jeunes générations, il n’en est peut-être pas de même… L’histoire est toujours en mouvement, les identités se construisent et/ou se déconstruisent. Le manque d’identité stable empêche de se confronter aux limites identitaires et autorise le refuge dans l’espace religieux intégriste. L’Algérie en sait quelque chose ! C’est un espace où l’on est censé révérer une langue sacrée, donc morte, rassurante, infiniment plus sécurisante que l’emploi d’une langue vivante. Au Maroc, plusieurs langues cohabitent : darija, arabe classique, français berbère, espagnol au nord. Le français permet l’expression de la contestation partageable avec d’autres locuteurs d’autres pays. Il permet aussi de poursuivre des études supérieures car les liens avec l’ancien colonisateur restent solides.
Quel regard portez-vous sur la francophonie : survivance coloniale ou (autre) ouverture au monde ?
Jeanne Fouet. Les deux, bien sûr ! Le français est un héritage de l’histoire violente de la colonisation, mais son usage est multiple, et il y a des héritages qui valent la peine d’être acceptés !
Dans le champs littéraire (et médiatique) national français, quelle place occupe la littérature française issue des différentes migrations, nord-africaines en particulier ? Sont-elles à la marge, voire marginalisées ?
Jeanne Fouet. La littérature francophone maghrébine occupe une place non négligeable dans le paysage éditorial français. Elle reste à la marge dans l’enseignement, mais certains écrivains obtiennent lectorat et notoriété. Pour une fois je vais citer une écrivaine originaire d’Algérie : Alice Zeniter, dont L’art de perdre m’a fortement impressionnée par la qualité de l’écriture, de la composition, et des thématiques traitées.
Que pensez-vous de la création du site ADN-MED ? Le fait qu’il s’agisse d’un site d’expression française peut-il constituer un obstacle par rapport à sa raison d’être ?
Jeanne Fouet. Franchement je ne vois pas en quoi cela pourrait constituer un obstacle ! Mais je suis peut-être partiale !
Bibliographie :
· Jeanne Fouet, Écritures de la survie en milieu carcéral : autobiographies de prisonniers marocains des « années de plomb », L’Harmattan, 2019
· Jeanne Fouet, La mère du printemps (L’Oum-er-Bia) de Driss Chraïbi : étude pédagogique, L’Harmattan 2008
· Jeanne Fouet, Driss Chraïbi en marges, L’Harmattan, 1999
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