dimanche, décembre 3, 2023
FACE AUX FAITS

DROITS DE L’HOMME : À L’ONU, ON ÉPINGLE ET ON LAISSE FAIRE. Par Saïd CHEKRI

” Plusieurs pays ont épinglé le Maroc lors de l’examen périodique universel de ce pays devant le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU à Genève”, a rapporté ce 9 novembre l’Agence de presse officielle algérienne, l’APS, ainsi que d’autres médias du pays.  Deux jours après, réponse du berger à la bergère. C’était autour de l’Algérie de subir le même test d’évaluation au sein du Conseil onusien et d’essuyer les critiques et désapprobations de ses pairs. Et c’était donc autour de la presse marocaine de jubiler, en usant quasiment des mêmes termes que ceux employés par son homologue algérienne et en soulignant que “le Maroc n’avait pas de leçons à recevoir de l’Algérie” en la matière. Rabat et Alger en sont quitte. Match nul sur toute la ligne, comme l’avaient prévu tous les pronostics. Car, pour le régime de Tebboune comme pour celui de Mohamed VI, depuis la rupture de leurs relations, chaque conclave international est une opportunité à saisir pour une énième passe d’armes, l’essentiel pour l’un étant d’enfoncer l’autre. L’on avait bien assisté à une partie d’escrime assez musclée entre les deux parties lors d’une réunion de l’UNESCO, qui, croyait-on, ne s’y prêtait pas. Cette évaluation de la situation des droits de l’Homme dans chacun des deux pays n’allait donc pas faire exception.

C’est que, pour les dirigeants des pays à gouvernance autoritaire, on va au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU comme on va à son propre parlement-maison. C’est-à-dire pour la forme. Et, si possible, pour en faire une tribune. Au parlement-maison pour accabler “l’ennemi intérieur” et à Genève pour accuser “l’ennemi extérieur”. Avec l’avantage que l’opération est toujours à risque zéro :  vous êtes d’avance assuré que le Parlement vous gratifiera d’un standing-ovation et que le Conseil onusien des droits de l’Homme, quant à lui, vous écoutera puis vous transmettra ses recommandations que vous savez non contraignantes.  Qui ne vous engagent donc à rien. Pas plus, en tous cas, que les traités et conventions internationaux que vous avez ratifiés en bonne et due forme sans jamais vous sentir quelque obligation d’en appliquer les dispositions. Car c’est ainsi au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU : on vous “épingle”, on vous donne rendez-vous dans 4 ou 5 ans et, dans l’intervalle, on vous laisse faire.

Le caractère non contraignant des recommandations émises par le CDH de l’ONU rend ses sessions caduques et fait de la promotion des droits humains dans le monde un slogan, une profession de foi. Les ONG internationales de protection des droits humains tardent pourtant à faire des propositions et à se battre pour rendre le test un peu plus redouté et plus dissuasif devant les velléités d’atteinte à ces droits. La tendance est toujours à miser sur une plus grande implication et un volontarisme accru des États, notamment ceux en mesure d’exercer une influence décisive, voire des pressions, au sein du Conseil onusien. Un vœu pieux, au regard des clivages géostratégiques qui rythment, font et défont les relations internationales depuis des décennies. 

Les espoirs qu’avait fait naître le retour cette année des Etats-Unis au Conseil onusien des droits de l’Homme après l’avoir quitté en 2018 (sous le règne de Donald Trump) s’est vite dissipé. Le poids diplomatique de ce pays et son statut de grande puissance peuvent en effet en faire un acteur majeur dans la protection des droits de l’Homme, mais l’équation n’est pas si simple. Et pas toujours aussi désintéressée. L’approche idéologique et politique de cette question l’en a empêché jusqu’ici. Et les droits de l’Homme, de par leur universalité, ne peuvent être évalués en fonction des alliances ou des divergences. La guerre en Ukraine est venue compliquer la donne et la menace de Pékin d’en engager une autre pour reconquérir Taïwan est de nature à réduire les chances de voir Joe Biden tenir sa promesse de “mettre les droits humains au centre de la politique étrangère des États-Unis”. Un signe qui ne trompe pas, à cet égard :en janvier dernier, l’administration Biden a retenu 130 millions de dollars d’aide militaire à l’Égypte en raison de violations des droits de l’Homme par le régime du maréchal Al-Sissi, avant d’accepter, moins d’une semaine après, de vendre du matériel militaire au Caire pour un montant de plus de 2 milliards de dollars. 

Serait-ce donc pour être dans les bonnes grâces des USA que l’Égypte du Maréchal s’est volontiers prêtée au jeu en exprimant, à la dernière session du Conseil onusien, des “inquiétudes” quant à la situation des droits de l’Homme en Algérie, alors que l’image de l’accolade entre Al-Sissi et Tebboune à Alger, au “Sommet-arabe-du-Rassemblement Réussi”, est encore fraiche ?  Peut-être. 

Mais à coup sûr, le représentant du Caire au Conseil onusien sait que ses pairs d’Alger, de Rabat et d’ailleurs sont eux aussi rompus au jeu : à Genève, comme aux Parlements maison, les discours ne prêtent pas à conséquence. Pourvu que chacun se limite à jouer le rôle que le statut de son pays lui attribue : acteur majeur ou figurant de seconde zone. Et que, jusqu’à la prochaine session, les violations des droits humains peuvent continuer. 

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