dimanche, décembre 3, 2023
Politique

PARIS-ALGER : DÉJA DES ÉTINCELLES

C’était annoncé comme une certitude lors de la visite du président Macron du mois d’août. Cette fois, la France et l’Algérie étaient déterminées à enterrer la hache de la guerre mémorielle. Grande preuve d’un consensus longtemps attendu, une commission mixte avait été installée pour s’atteler à la construction d’une improbable « mémoire commune ». Pour prévenir toute réaction de susceptibilité, Paris s’est gardé d’exprimer le moindre avis sur les abus d’autorité quotidiens qui rythment la vie judiciaire algérienne et le très sérieux Figaro qui a interviewé le chef de l’État Abdelmadjid Tebboune a soigneusement évité les sujets qui fâchent (voir Adn-Med du 6 janvier).

Même après l’arrestation du directeur de Radio M et Maghreb émergent, Ihsane El Kadi, dans la nuit du 23 au 24 décembre – un arbitraire de plus qui a vu les condamnations de RSF, de l’ONU, de l’UE et du département d’État américain-, le Quai d’Orsay fait profil bas et se mure dans le silence. 

Finalement, la trêve observée par Alger aura peu duré. Le jour même où fut transmise la liste des historiens algériens devant siéger à la commission algéro-française, un article antisémite d’une rare violence, publié dans Algérie-patriotique – un site électronique réputé proche des cercles militaires – s’en prenait à l’historien français Benjamin Stora renvoyé à ses origines juives qui suffisent à le disqualifier de contribuer à un apaisement des relations entre les deux pays. L’auteur du pamphlet exigeait la dissolution de ladite commission, présentée au mois d’août comme l’instrument de la réconciliation franco-algérienne.  

Le 8 janvier, Xavier Driancourt, ancien ambassadeur qui avait fait deux mandats en Algérie, publiait dans le Figaro une tribune dans laquelle il exprimait son scepticisme sur la volonté de l’Algérie, qu’il dit menacée d’effondrement, de renoncer à sa guérilla anti-française. Le 10 janvier, l’ancien diplomate et ex-ministre de la communication Abdelaziz Rahabi, voix officieuse du pouvoir algérien, notamment sur les questions internationales, publiait dans le journal électronique tsa une tribune accusant son collègue français de se laisser aller à « la voie de l’opportunisme, celle de l’exercice des pulsions au détriment de celui de la raison ». Apostrophe incongrue de la part d’un homme qui assume une fonction d’animateur attitré de diatribes anti-marocaines plus ou moins opportunes. La sortie n’était qu’un avant-gout de ce qui se mijotait dans les sphères dirigeantes puisque le même jour c’est Salah Goujil, président du Conseil de la nation (le sénat algérien), patriarche de l’équipe dirigeante, qui monte au créneau pour dénoncer les « porte-voix des résidus de la colonisation française ». Il accuse explicitement « l’un de ceux qui ont exercé des responsabilités représentatives et diplomatiques de leur pays en Algérie (…) toujours nostalgiques de leur sinistre passé et (qui) tentent désespérément de nous donner des leçons, en remettant en cause les démarches entreprises par l’Algérie ». Salah Goujil en profite pour réitérer le réinvestissement du régime dans du tiers-mondisme et du panarabisme – une antienne algérienne quand le pouvoir doit faire diversion ou compenser son déficit de légitimité – en rappelant « les positions fermes et immuables de la politique étrangère de l’Algérie et son soutien aux justes causes de par le monde, notamment de la Palestine et du Sahara occidental, dernière colonie en Afrique ».

Cette double charge ne peut être anodine. Pour cet ancien membre du secrétariat du gouvernement, bon connaisseur des arcanes du régime algérien , « les polémiques et autres invectives anti-françaises vont probablement se multiplier avec un double objectif : la résolution à torpiller la commission mixte censée purger un lourd passif historique ; Alger ne veut et ne peut abandonner une rancœur politique qui fonde en grande partie la stratégie du conditionnement de son opinion publique et la nécessité de peser sur la visite du président Macron au Maroc prévue pour le premier trimestre 2023 en vue d’avertir Paris contre toute inflexion de la position française dans le dossier du Sahara occidental dans un sens qui serait favorable à Rabat ».    

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