dimanche, décembre 3, 2023
Éditorial

NOUVEL AN AMAZIGH : FERVEUR POPULAIRE ET RETENUE OFFICIELLE

Lors de l’inauguration du stade portant le nom de Nelson Mandela, le chef de l’État algérien, parti après son discours, revint sur ses pas pour dire devant les micros : « Excusez-moi, j’ai oublié quelque chose : Yennayer ameggaz, (bonne année en amazighe) avant de lancer son mot fétiche : Tahya el Djazaïr (vive l’Algérie en arabe). Un peu plus tard, il publia un tweet où l’on pouvait lire “À l’occasion du nouvel an amazigh, je souhaite bonheur et prospérité à notre patrie, ainsi qu’à toutes les Algériennes et tous les Algériens. Assegas Amegaz”. L’oubli est sa réparation en disent long sur les ambiguïtés d’une date portée par la tradition avant de la voir s’incruster progressivement dans les sphères institutionnelles nord-africaines.

En Algérie, sur décision de l’ancien président déchu Abdelaziz Bouteflika, Yennayer est un jour férié depuis la fin 2017. Pourtant, le citoyen qui porte l’emblème amazigh peut se retrouver en prison. Signe d’une dynamique qui caractéristise un profond renouveau, les ambassades des USA et du Canada présentent leurs vœux depuis plusieurs années au peuple algérien, ce qui ne manque pas de provoquer les froncements de sourcils de quelques dirigeants…et des islamistes.

Au Maroc, c’est le chef du gouvernement du Maroc, Aziz Akhannouch, lui-même berbérophone, qui a annoncé à l’occasion de Yennayer l’utilisation de l’amazigh dans l’administration publique. En revanche, le Roi, lui, est demeuré muet donnant à lire une volonté de ne pas conférer sa signification symbolique à un fait sociétal que l’on souhaite, pour l’instant, contenir dans une dimension administrative alors qu’il gagne l’ensemble des catégories sociales. 

Aux Iles Canaries, les autorités locales assument de commémorer Yennayer comme un signifiant participant de la réappropriation de l’identité guanche.

Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, en Tunisie ce sont les jeunes, dont beaucoup n’ont pas un vécu direct de cette festivité, qui réhabilitent la commémoration du nouvel an amazigh. Même chose en Libye où les manifestations les plus massives sont animées par des générations que Kadafi avait tout fait pour les déconnecter de leurs racines.

Prolongeant ce regain d’intérêt populaire, les diasporas se regroupent, selon les pays ou les régions d’origine, pour partager un moment de souvenir et de solidarité. Des retrouvailles que peinent à réussir les représentations diplomatiques.  

La célébration du nouvel an amazigh qui coïncide avec le 12 janvier est le premier mois et le premier jour de l’an du calendrier agraire nord-africain. Les militants se plaisent à lier cet évènement à la commémoration de l’accession au pouvoir du pharaon Sheshnoq 1er. Un prince berbère qui a fondé sa propre dynastie dans l’Egypte antique. Une façon subliminale de compenser les infortunes de l’histoire tourmentée du peuple amazigh qui a rarement pu disposer d’un État central puissant et pérenne.

Longtemps réduit au lendemain des indépendances à la survivance d’une pratique essentiellement commémorée par les populations rurales, l’évènement consistait en la préparation d’un diner qui rassemblait les familles autour d’un plat agrémenté de viande, généralement un volatile sacrifié pour la circonstance.

C’est au cours des années 70 que le nouvel an amazigh connait ses premières manifestations collectives concrétisées par des discussions animées par les étudiants gravitant autour du cours de berbère dispensé par l’écrivain Mouloud Mammeri à Alger. Après le printemps berbère d’avril 80, Yennayer fut l’objet d’un intérêt plus attentionné chez les élites kabyles. Dans les universités, des conférences, des expositions ou des collations furent organisées par des comités de cités qui invitaient des artistes à se produire dans les campus pour porter la parole d’une authenticité niée par un arabo-islamisme négateur d’altérité et ignorée par une administration coloniale jacobine. Des publications rappelant les origines et le sens d’une tradition impensée apparurent et servirent à animer des débats plus larges sur la langue, la culture et l’histoire de Tamazgha. En une vingtaine d’années, un souffle dont nul ne put identifier les causes immédiates et les circuits se répandit par-delà les frontières et les interdits. Des villages puis des quartiers commencèrent à donner un caractère festif plus collectif à cet anniversaire en organisant des processions, avec ou sans déguisements, où l’on voit des populations de tout âge et condition revêtues de leurs plus beaux atours communier pendant toute la journée.

Désormais les personnes s’appellent spontanément pour se souhaiter la bonne année et les journaux ne manquent pas l’occasion d’en faire autant à leurs lecteurs.

La ferveur populaire qui caractérise cette célébration dans les pays d’Afrique du nord contraste avec la façon dont elle est marquée dans les sphères officielles où la décrispation des pouvoirs sur le fait amazigh reste emprunte de retenue voire de gêne.

La célébration de Yennayer est une lame de fond qui, au-delà de ses aspects conviviaux, révèle la quête singulière d’une identité nord-africaine contrariée par l’histoire et qui renait par une volonté populaire qui impose ses codes aux régents. D’habitude, ce sont les décisions des princes qui dictent les paramètres définissant et structurant les destins des peuples.

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