ALGERIE : GRACE DE NEKKAZ : UNE LIBÉRATION QUI INTERROGE
Rachid Nekkaz, un activiste atypique qui s’était distingué en France avant de se faire connaitre en Algérie lors des manifestations de 2019 va quitter la prison après avoir bénéficié d’une grâce présidentielle, pour, dit-on, des raisons humanitaires. L’homme fut condamné en appel en juillet dernier à une peine de 5 ans de prison pour avoir appelé à manifester et déclaré son opposition à l’élection qui a permis l’accès au pouvoir d’Abdelmadjid Tebboune en décembre 2020. Jusque-là, et si l’on oublie les raisons – par ailleurs essentielles, qui ont conduit à l’incarcération d’un homme qui a exprimé pacifiquement ses opinions dans son pays –, il est permis de considérer que la légalité a été respectée dans les procédures qui ont permis cette libération conditionnelle. Du moins en apparence. Car si l’on se plait à expliquer la magnanimité du chef de l’Etat pour des raisons de santé, Rachid Nekkaz serait malade, il est difficile de ne pas faire le lien entre cet élargissement et la lettre que le détenu a adressée au chef de l’Etat le 10 décembre où il déclare « arrêter de faire de la politique ».
D’aucuns n’hésitent pas à considérer cette décision comme un acte répressif indirect qui délivre un message troublant : en Algérie, celui qui veut retrouver ( ou garder ) sa liberté doit en connaitre le prix : renoncer à exercer ses droits politiques.
Rachid Nekkaz est une météorite dans la galaxie politique algérienne. Dans l’émigration où il s’était constitué un matelas financier consistant, il se distingua en offrant de payer les amendes que les services de police français infligeaient aux femmes portant le voile intégral ( le djelbab). Lorsqu’éclatèrent les manifestations de février 2019, il multiplia les sorties sur le terrain et les slogans sur le net, entrainant derrière lui de plus en plus de monde notamment des jeunes qui trouvaient auprès de cet acteur original et imprévisible matière à consommer leurs colères et frustrations.
Dans l’opinion publique l’homme est plutôt controversé. Certains voyaient en lui un provocateur dont l’excentricité contribue au discrédit de l’action politique, d’autres, en revanche, estimaient que dans une situation aussi bloquée que celle qui prévaut en Algérie, toute manifestation hostile au pouvoir était bonne à prendre, indépendamment de la cohérence du propos ou de la crédibilité de son auteur.
Lors de la dernière élection présidentielle, Nekkaz auquel on avait signifié le probable rejet de son dossier, résolut de rester dans la course et continua à collecter les paraphes nécessaires à la validation de sa candidature. Déclaré inéligible, il fit déposer par un de ses parents portant le même nom et prénom que lui les signatures collectées en son nom. La farce irrita quelques-uns et en fit jubiler beaucoup d’autres, ces derniers considérant que les facéties d’un farceur sont des réactions légitimes face à un pouvoir qui manipule sans vergogne le fichier électoral et les résultats des votes. Les plaisanteries de l’ancien émigré n’ont pas été du gout du pouvoir algérien qui lui a fait payer son impertinence par 27 mois de prison et utilise son renoncement à l’action politique pour étouffer la vie publique. La libération de Nekkaz réjouit sa famille et inquiète les militants de l’opposition.