ALGÉRIE : LE PROCES DE IHSANE EL KADI FIXE AU 12 MARS PROCHAIN
Le procès du journaliste Ihsane El Kadi, en détention provisoire depuis fin décembre dernier à la prison d’El Harrach, dans la banlieue Est d’Alger, est fixé au 12 mars prochain.
Une instruction chaotique
Selon ses avocats, un seul chef d’inculpation est retenu dans le dossier contre le directeur du pôle éditorial de « Radio M » et « Maghreb Emergent », sur les quatre initialement annoncés par le parquet le jour de son placement en mandat de dépôt. Il est désormais poursuivi sur la base uniquement de l’article 95 bis du code pénal, lequel stipule qu’est puni « d’un emprisonnement de cinq à sept ans et d’une amende de 500.000 DA à 700.000 DA, quiconque reçoit des fonds, un don ou un avantage, par tout moyen, d’un État, d’une institution ou de tout autre organisme public ou privé ou de toute personne morale ou physique, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, pour accomplir ou inciter à accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité́ de l’Etat, à la stabilité́ et au fonctionnement normal de ses institutions, à l’unité́ nationale, à l’intégrité́ territoriale, aux intérêts fondamentaux de l’Algérie ou à la sécurité́ et à l’ordre publics (…) La peine est portée au double, lorsque les fonds sont reçus dans le cadre d’une association, d’un groupe, d’une organisation ou d’une entente, qu’elle qu’en soit la forme ou la dénomination », dispose le même article. Dans le dossier, comprenant également des poursuites contre interface médias, société éditrice de « Radio M » et « Maghreb Emergent », l’autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV) s’est constituée comme partie civile, ont précisé ces sources. Signe de l’aliénation des organes administratifs par l’autorité politico-policière, cette instance n’a pas émis le moindre avertissement ou alerte à l’encontre de Interface-media avant que le parquet ne se soit saisi du dossier suite à l’intervention des services de la direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI.
La programmation de ce procès intervient alors que la chambre d’accusation devait examiner, ce dimanche, l’appel du collectif de défense concernant la demande de liberté provisoire pour Ihsane El Kadi. Aucune décision n’a été prise pour l’heure, le collectif attendant toujours la réponse à la demande de récusation des magistrats composant la chambre d’accusation déposée jeudi dernier auprès du Président de la Cour. « Cette démarche trouve sa motivation sur le fait que cette composante avait déjà changé l’audience précédente du mois de janvier 2023 (fixée initialement au 18 janvier, elle a été avancée au 15 janvier, ndlr) sans avertir ses avocats », avait indiqué Me Zoubida Assoul, membre du collectif. La réponse devrait donc théoriquement intervenir dans les prochaines heures.
Un président contempteur défiant le monde
Très attendu, ce procès ne s’annonce pas cependant sous de meilleurs auspices, particulièrement après la charge au vitriol de Abdelmadjid Tebboune qui semble cibler Ihsane El Kadi. Durant sa rencontre périodique avec des représentants de médias, diffusée vendredi dernier, le chef de l’Etat algérien a accusé, en termes à peine voilés, Ihsane El Kadi de « khabardji » (informateur). « Voyez- vous…un khabardji..On a fermé un truc illégal (média) et des avocats se sont réunis je ne sais pas où. L’Algérie est ciblée », a déclaré Tebboune alors qu’il était interrogé sur les raisons du refus des journaux de s’acquitter de leurs dettes vis-à-vis des imprimeries étatiques. Abdelmadjid Tebboune faisait allusion à la conférence sur les droits de l’Homme organisée à Paris ( voir adn-med du 21 février ) et à laquelle ont participé des membres du collectif international de défense du journaliste. « Un être vous manque et le monde est dépeuplé (…) c’est-à-dire il n’y a plus de presse en Algérie. C’est un manque de respect, une insulte aux 8500 journalistes », a ajouté Tebboune, comme pour répondre à ceux qui ont considéré la fermeture de « Radio M », comme la fermeture du « dernier espace libre en Algérie ». Des accusations en violation de la présomption d’innocence qui ne sont pas sans rappeler celles proférées par le même Tebboune à l’encontre du journaliste Khaled Derarni qui exerçait alors à Rado M avant son procès. Ce dernier passera près d’une année de prison. Tebboune avait aussi accusé, bien avant le procès, le journaliste correspondant du quotidien Liberté à Tamanrasset de « pyromane ».
Encombrante pour les autorités, l’affaire Ihsane El Kadi continue de susciter l’intérêt de nombreuses chancelleries occidentales et de la presse internationale. Vendredi, une page entière de solidarité lui a été consacrée par le quotidien américain le « Washington Post ». Initiée par Reporters sans frontières, la pétition réclamant sa libération a recueilli jusqu’ici plus de 10000 signatures. « La poursuite de la détention arbitraire d’Ihsane El Kadi et la procédure inique dont il fait l’objet sont intolérables. Les voix libres ne doivent pas s’éteindre dans les geôles algériennes », lit-on dans le texte de la pétition. Début janvier, 16 patrons de presse de plusieurs pays, dont un prix Nobel de la paix, ont aussi demandé sa libération.