mardi, novembre 28, 2023
Reportages

Reportage/Algérie : Boulanger, une profession dans le pétrin !

La profession de boulanger vit une grave crise en Algérie et quand on sait l’importance de ces artisans dans la vie quotidienne des citoyens, on est en droit de s’inquiéter sur la dégradation l’état de santé de cette activité qui se s’aggrave de jour en jour. En effet, les professionnels du pain, comme ils aiment se définir, se disent confrontés à une crise sans précédent. Entre manque chronique de matière première, pénurie de mains d’œuvre qualifiée, tarifs en total déphasage avec les différentes inflations, et pour couronner le tout, un syndicat aux abonnés absents, le métier périclite.

« Nous sommes à l’agonie! »

C’est le cri de détresse que nous avons entendu chez nombre de boulangers qui tirent la sonnette d’alarme, à l’image de ce boulanger de la ville de Bejaia ( 220 kilomètres à l’est de la capitale) « J’exerce ce métier depuis près de 20 ans, et je peux vous dire en toute franchise, ce n’est pas un métier que je peux conseiller à mon fils. Travailler à perte, conflits permanents, et abandon total de notre soi-disant syndicat. Voilà ce qu’est notre profession ». Un autre boulanger de la ville de Bouira ( 150 kilomètres à l’est d’Alger) a fait le même constat «  Cela fait 23 ans que je suis au fournil. Je commence le travail à 1h00 du matin afin d’honorer les commandes des cantines scolaires, celles des entreprises, des réfectoires de la police et de la protection civile. À 5h00 du matin, tout est prêt. Ce métier requiert sérieux, passion et sacrifice. Sinon, mieux vaut prendre une autre voie », explique-t-il. En voulant en savoir plus sur ce qu’il en est de leur syndicat, il répond en riant : « Un syndicat ? C’est plutôt une mafia. On est livrés à nous-même, celui qui vous dit le contraire est un menteur ». Un autre boulanger qui vient de terminer sa tournée de livraison ajoute: « Notre profession est malade, gangrenée par des opportunistes, affairistes, bref, des gens qui n’ont rien à avoir avec ce métier. J’étais à deux doigts de mettre la clef sous la porte à cause de cette vermine qui pollue un artisanat aussi noble que celui fabrique le pain, oui le pain quotidien ». Lui aussi déplore, par ailleurs, l’indifférence de l’Union Générale des Commerçants et Artisans Algériens, l’UGCAA à leur égard. « On est des commerçants, ce qui implique que le syndicat doit se plier en quatre pour préserver et défendre notre profession. Eh bien, sachez que ce syndicat se moque éperdument de nous, pis encore, il nous met les bâtons dans les roues. Il sert ses intérêts en se targuant de fédérer les commerçants, mais en réalité c’est tout le contraire ».

Ces avis montrent bien le désarroi et le mal-être que connaît la profession. Du côté du syndicat des boulangers affilés à l’Association nationale des commerçants algériens (ANCA), on assure avoir formulé des propositions concrètes au ministère du Commerce. Ces dernières consistent essentiellement en l’allègement des charges des boulangers, ainsi que la production d’une farine spécifique pour la fabrication du pain exclusivement, avec un prix qui garantit la marge bénéficiaire des professionnels et qui préserve le pouvoir d’achat des consommateurs. 

La menace d’une grève plane 

Toutes ces propositions seront, selon l’ANCA, soumises à la base pour une éventuelle adoption ou clarification. Du coté des boulangers interrogés, on évoque avec insistance l’interdiction de la vente du pain au niveau des magasins d’alimentation générale.  Selon une source proche de ces artisans, cette pratique qui est qualifiée d’illégale et d’anticoncurrentielle, nuirait gravement à la profession de boulangers. « Nous sommes décidés à aller au bout de cette revendication et si les services le du ministère du Commerce ne veulent pas nous prêter une oreille attentive, nous irons vers un débrayage », menace-t-il.

Selon certains boulangers, les magasins d’alimentation générale s’approvisionneraient auprès de « boulangers clandestins » à des prix dérisoires. Selon le président du Club des boulangers, une augmentation légale du prix de la baguette est vitale pour la survie de la profession. « Vue la conjoncture actuelle, où les prix des matières premières augmentent sans cesse, les boulangers ne peuvent éternellement vendre à perte », dira-t-il. A ce sujet, notre interlocuteur indiquera qu’une plateforme revendicative contenant trois points centraux a été exposée au ministère du Commerce. « On s’est entretenu le mois dernier avec le ministre du Commerce, nous lui avons proposé de revoir le prix de la baguette, l’interdiction de vendre du pain dans les magasins d’alimentation générale et nous avons aussi, formulé le vœu de la formation », a-t-il soutenu.  Sur ce chapitre, Faouzi Behiche, président du Club des Boulangers Algériens ( CBA), a tenu à souligner que « Plus de 3000 artisans boulangers ont fermé boutique ces dix derniers mois, c’est un chiffre qui donne froid dans le dos et surtout qui renseigne sur la précarité dans laquelle se débattent ces artisans et leur manque de formation aux nouvelles techniques qui régissent cette profession », a-t-il affirmé.

Expliquant ce marasme, le président de l’Association algérienne de protection et d’orientation du consommateur et de son environnement (APOCE), le Dr Mustapha Zebdi, pointe du doigt les grossistes de blé tendre et les accuse d’être à l’origine de cette pénurie puisque le blé est la matière première de fabrication de la farine panifiable destinée aux boulangers. Le même responsable affirme que certains minotiers exigent des boulangers de payer la farine plus chère que le prix fixé par l’administration pour la leur vendre. « Le tarif officiel du quintal de farine, déterminé par l’État, est de 2 000 DA le quintal mais ils poussent les boulangers à débourser jusqu’à 2 800 DA», s’indigne-t-il. M. Zebdi évoque également un deuxième problème. Selon lui, certains boulangers ont abandonné la vente du pain ordinaire pour s’adonner à la production du pain à base de semoule. Le produit n’est pas mauvais pour la consommation mais ils coûte le double du prix du pain ordinaire. « Beaucoup de boulangeries ne vendent plus le pain à 10 DA. Elles préfèrent mettre en avant le pain amélioré afin de le vendre à 15, voire 20 DA le baguette », ajoute M. Zebdi, qui appelle les autorités à réagir face à « ces pratiques qui portent atteinte à l’intérêt du consommateur ». Le calvaire que vit cette catégorie professionnelle si essentielle au quotidien du citoyen et les lenteurs mises à solutionner des situations identifiées et portées à la connaissance des pouvoirs publics depuis des mois voire pour certains problèmes depuis des années illustre la dégradation du fonctionnement administratif dont l’un des travers se manifeste  par la perturbation de la chaine de commandement qui peine à transmettre dans les délais des données fiables aux organismes chargés de les étudier. Sous le cas du dossier boulangerie couve un mal bien plus général : l’indigence de l’administration  

                                                                     R.B

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