Services de vidéo à la demande et streaming en Algérie
Avec la démocratisation de l’utilisation d’internet en Algérie, la consommation digitale dans le pays connaît une hausse significative et surtout diversifiée. En effet, il est loin le temps où l’algérien se suffisait de consulter sa messagerie électronique, surfer sur les moteurs de recherche ou « scroller » sur les diverses plateformes des réseaux sociaux. D’ailleurs et de l’aveu même du ministre de la Poste et des Télécommunications, l’internet et ses multiples possibilités n’est plus un luxe pour les citoyens, mais une commodité de base au même titre que l’électricité et l’eau courante. Le contexte du Covid-19, marqué par le confinement lié à la crise sanitaire, a permis l’émergence en Algérie d’entreprises de start up spécialisées dans le divertissement digital, et, plus précisément, dans le SVOD (subscription video on demand) ou bien service de vidéo à la demande, proposant films, séries et documentaires à la manière des géants mondiaux du domaine, à l’instar de Netflix, Disney+ ou Amazone Prime. Ceci d’une part. De l’autre, et comme cela se passe souvent les pays à faible performance administrative et fiscale, on retrouve des entreprises avec des capitaux et des effectifs algériens, ayant opté pour le côté obscur de ce créneau désormais des plus lucratifs : le piratage. Deux facettes d’une même pièce qui révèlent une mise à jour radicale de notre mode de consommation numérique.
Magma vidéo ou le Netflix algérien
Magma LTD est l’une de ces starts up algériennes qui a misé sur l’industrie du divertissement numérique et qui a su tirer son épingle du jeu. L’un de ses deux cofondateurs, M. Zaidi Ahmed, revient pour adn-med.com à ce qui s’assimile à une succès story semblable à celle de Reed Hastings et Marc Randolph, les fondateurs de Netflix. « Mon associé et moi, on est tous les deux des cinéphiles avérés », dira d’emblée M. Zaidi pour illustrer la genèse de son entreprise. Et de poursuivre « De ce fait et comme pratiquement tous les cinéphiles, nous écumions les vidéothèques du quartier pour louer ou acheter nos films préférés (…), personnellement je suis arrivé à une collection de 900 DVD, avec tous les désagréments liés à une telle collection », nous explique-t-il. Ce jeune entrepreneur, ainsi que son ami et associé, armés uniquement de leur passion et abnégation, ont entamé l’aventure Magmovie fin 2019, début 2020 en collaboration avec une entreprise Suisse, Oxima, spécialisée dans la communication. « Magmovie comprend deux personnes physiques, mon associé et moi et une personne morale, Oxima », précisera M. Zaidi. Pour notre interlocuteur, le pari était risqué, car même s’il n’était pas insurmontable, le terrain local de cette industrie était relativement vierge. « Je ne dirais pas qu’on s’est lancés dans l’inconnu car nous avions fait une étude en amont, nous savions que ce créneau était des plus porteurs, mais il était tout à fait naturel d’avoir certaines appréhensions », admettra M. Zaidi. Concernant la logistique déployée, notre vis-à-vis nous confie qu’elle est énorme. Puisque selon ses dires, il n’est pas aisé d’acheter les droits de milliers de films et séries proposés sur sa plateforme, les stocker sur des serveurs avec plusieurs formats de résolution allant du 144p ( SD) jusqu’à 1080p ( Full HD). « Pour pouvoir offrir à nos clients le meilleur du cinéma mondial, une qualité irréprochable et dans la plus parfaite légalité, nous avons énormément investi », soutiendra M. Zaidi. Pour ce dernier, sa plateforme offre plus de 3000 titres, entre films, séries, documentaires et mangas, le tout de manière on ne peut plus régulière. « Nous avons des accords avec l’Onda ( Office national des droits d’auteurs, NDLR) qui nous permettent d’agir conformément à la loi, chose qui est assez rare dans notre domaine d’activité », s’est-il réjouit. S’agissant de la grille des abonnements proposés, M. Zaidi expliquera qu’elle a été « parfaitement étudiée », afin de répondre à tous les budgets. Ainsi, Magmovie propose actuellement quatre packs, à savoir : débutants, fans, cinéphile et addict, pour respectivement, 500 DA par mois, 1200 DA sur une période de souscription de trois mois, 2500 DA pour un abonnement de sept mois et 5000 DA pour un abonnement de 15 mois. « Ces packs incluent la possibilité de consommer du contenu sur quatre supports différents, une qualité pouvant aller jusqu’à l’Ultra haute définition (UHD) et un support technique H24 et 7j/7, un service que nous sommes pratiquement les seuls à proposer », se félicitera le co-fondateur de la jeune start up.
L’hébergement, un écueil de taille
La jeune entité économique fait face comme n’importe quelle entreprise à certaines embûches qui freinent son développement. Le contraire aurait été étonnant, notamment dans le segment de la SVOD, lequel est encore à ses balbutiements dans notre pays. Ces obstacles, M. Zaidi les résume en deux principaux points : l’absence de data center à même d’héberger leur contenu digital mais aussi, et surtout, la concurrence déloyale à laquelle cette entreprise fait face de la part d’autres structures recourant au piratage.
Ainsi et s’agissant de l’hébergement du contenu proposé par la plate-forme Magmovie, notre interlocuteur indiquera que son entreprise a conclu un accord avec un hébergeur français, à défaut d’un data center local. Néanmoins, M. Zaidi tiendra à souligner un élément non négligeable à savoir que les données privées des utilisateurs sont hébergées en Algérie. « Il est vrai que notre contenu digital est hébergé au niveau des serveurs d’un partenaire étranger et plus précisément français. Cependant, je tiens à préciser que les noms d’utilisateurs et mots de passe de nos abonnés, sont hébergés en Algérie. Pour nous, c’est une question de principe et de sécurité », soutient-il. Dans la foulée, M. Zaidi, a déploré une quasi absence de data center en Algérie, des structures indispensables pour ce genre d’activité. « Nous aurions aimé héberger notre contenu dans nos propres serveurs, ou encore disposer de serveurs dans des data centers locaux, mais hélas, ils ne sont pas disponibles actuellement (…) si un jour l’opportunité se présente on n’hésitera pas une seule seconde à rapatrier notre contenu en Algérie. Cela nous sera bénéfique sur tous les plans », assure-t-il.
Autre épine dans le pied de ce jeune start uper, et non des moindres : le piratage. « C’est une véritable plaie ! », pestera Zaidi, avant d’égrainer les raisons de son mécontentement. « Nous payons les droits de nos produits rubis sur ongle, nous avons des frais liés à notre activité et des prestataires de service à rétribuer, etc. Bref, le lot quotidien de toute entreprise digne de ce nom. De l’autre côté, vous avez certains concurrents qui piratent du contenu et le revendent pour une bouchée de pain », fera observer notre interlocuteur, non sans amertume. À la question de savoir si les services de l’ONDA ont été interpellés à propos du phénomène du piratage, M. Zaidi répondra par l’affirmative. « Lors de notre dernière entrevue qui remonte à septembre dernier, nous avons soulevé ce problème aux responsables dudit organisme, mais rien de concret. Même si, je tiens le préciser, nous avons perçu une réelle volonté de la part des responsables de l’Onda de tenter d’endiguer ce phénomène », a-t-il conclu.
Toutes les chaines du monde pour une poignée de dinars
Le dernier évènement footballistique qui s’est déroulé au Qatar, a eu l’effet d’un « boost » auprès des revendeurs d’IPTV (télévision par internet). Fini le temps où on emmenait le récepteur satellite chez le « bidouilleur » du coin pour le flasher. Exit les réglages fastidieux de la parabole pour capter le meilleur satellite qui propose le plus de matchs et un contenu varié. Pour s’en convaincre, il suffit de faire un tour auprès des revendeurs de Panel, situés majoritairement au niveau de Belfort (Est d’Alger). Chacun de ces derniers, propose des offres allant de 4000 DA/an jusqu’à 20 000 DA/an, pour le produit dit « premium » incluant près de 9000 chaines de télévision de toute la planète, des séries et des films avec des qualités de résolution allant de la SD (standard) et arrivant jusqu’à la 4K HDR et Dolby Vision, si tant est que le client dispose d’un équipement adéquat et de bonne connexion internet, ce qui est l’autre plaie qui entrave la démocratisation effective de l’internet en Algérie. D’ailleurs et de l’aveu même de certains vendeurs agréés, c’est la relative amélioration du débit proposé par Algérie Telecom, l’opérateur historique et l’unique existant dans le pays, et l’arrivée de la fibre optique ainsi que l’introduction de la VDSL qui a permis un tel engouement auprès du grand public. Ainsi, pour un prix abordable, les consommateurs qui optent pour le piratage bénéficient d’une large gamme de produits. En effet, les bouquets BeIN Sports, RMC et Canal+, dont les abonnements annuels cumulés flirtent avec les 1000 euros, sont accessibles pour… 4000 DA، soit 20 euros. Plus d’un consommateur, aussi scrupuleux et soucieux de la loi soit-il, s’y laisse volontiers tenter.
Dans ce segment, les Algériens ne sont pas en reste, puisqu’on ne dénombre pas moins de trois « entreprises » composées d’équipes d’hackers algériens qui redoublent d’ingéniosité et de tactiques pour contourner, voire « briser » les restrictions mises en place par les diffuseurs. Dans le but d’en savoir davantage sur le sujet, nous avons tenté de prendre attache avec trois « entreprises » algériennes activant dans le domaine du streaming illégal : Arox, Atlas IPTV et Gogo. Cependant, aucune d’elles n’a accepté de s’exprimer publiquement. Un refus en vérité prévisible, car elles opèrent en violation complète des lois en vigueur régissant la propriété artistique et intellectuelle. Néanmoins, une source qui a requis l’anonymat, a accepté de nous livrer certains aspects de ce juteux business.
Pirates ou « Robins des Bois 2.0 » ?
Tout d’abord, comment ces plateformes procèdent-elles ? Eh bien, notre source, un hacker chevronné, nous apprend qu’il exploite une faille liée à la technologie « HDCP », laquelle permet en théorie, de protéger les flux en streaming en provenance des diffuseurs. « Concrètement et sans rentrer dans des techniques, on essaie de créer un pont ou un tunnel caché qui détourne le contenu des diffuseurs vers nos serveurs et qui nous permet de les retravailler et les diffuser sur notre plateforme », avoue-il. Et de poursuivre « Si vous regardez par exemple un match en direct sur BeIN Sport à la source et le même match sur une plateforme de streaming, vous allez remarquer un léger décalage d’environ 20 secondes. C’est le temps que met le piratage pour rédiger le flux de la source vers nos serveurs, les encoder avec les formats adéquats et les diffuser à partir de nos serveurs ». Il est vrai qu’hormis les soirs des grandes messes footballistiques, où des freez et autres baisses de la qualité de l’image dues à la saturation des serveurs, l’image proposée par ces services d’IPTV, n’a rien à envier à celle de Canal Sat, Orange ou encore BeIN Sports.
À la question de savoir où se trouvent lesdits serveurs, notre interlocuteur s’est montré quelque peu hésitant, avant de répondre « essentiellement au Luxembourg et en Belgique puisque ces deux pays ne sont pas très regardants en la matière ».
S’agissant de la domiciliation bancaire de ces plateformes, notre source indiquera qu’elle est basée à Malte, du moins pour la société à laquelle il appartient. Au sujet de l’épineuse question de l’éthique relative à ce qui s’assimile à du vol caractérisé de contenu digital, notre source dit avoir une tout autre conception des choses, une vision proche celle de Robins des Bois. « Il est vrai que du point de vue juridique, nous sommes considérés comme étant des voleurs, néanmoins, personnellement j’estime que nous offrons un service aux abonnés qui en Algérie ne peuvent se le permettre financièrement. Nous nous battont contre les multinationales de la diffusion qui font payer une fortune pour du contenu qui devrait être accessible au plus grand nombre », a-t-il argué.
Mais dans les faits, il ne faut pas non plus oublier qu’Arox TV, Gogo ou Atlas IPTV sont susceptibles de disparaitre du jour au lendemain suite à une opération des forces de l’ordre. Et aussi que dans le même temps, outre la perte de leurs deniers, les abonnés sont susceptibles de faire partie de la liste de clients concoctées par les pirates, et donc d’être eux aussi sanctionnés pénalement. Sous d’autres cieux, le piratage du contenu digital est sévèrement combattu par les autorités concernées. En effet, le 2 décembre 2022, un réseau de pirates belges, composé de six personnes a été condamné à verser plus de 7 millions d’euros de dommages et intérêts aux diffuseurs légitimes de rencontres sportives dont ils détournaient les flux.
L’ONDA préconise le blocage technique
En Algérie, et en l’absence d’organisme dédié à lutter contre ce genre de pratiques comme c’est le cas en France avec la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), le piratage risque d’avoir encore de beaux jours devant lui. Sauf si les autorités mettent en place un mécanisme efficient pour tenter de l’endiguer. Ce qui risque de durer avec des pouvoirs publics qui ne parviennent pas à éradiquer un change parallèle de devises qui si fait publiquement en pleine capitale. Une première évolution apparait cependant. Selon le chargé de communication auprès de l’ONDA, M. Zonter Saïd, l’option du « blocage technique » est sérieusement envisagée. « Récemment, des commissions mixtes incluant le ministère de la culture, celui des Postes et des Télécommunications, ainsi que des services de notre office, ont commencé à plancher sur la question », nous apprend-il.
Selon lui, le blocage technique des adresses IP identifiées à l’étranger, grâce à la restriction géographique, demeure à l’heure actuelle le meilleur moyen de limiter la propagation du piratage et protéger les starts up nationales activant dans la légalité. « L’ONDA n’est pas un service de répression, nous sommes plutôt un intermédiaire entre les entreprises du digital et les ayants droits. Pour ce qui est du streaming, nous aurions souhaité avoir des personnes physiques avec qui nous pourrions trouver un terrain d’entente. Or dans les faits, c’est loin d’être le cas », déplore M. Zonter. Et de détailler : « Nous avons affaire à des nébuleuses, voire des sociétés fictives qui bafouent la propriété intellectuelle protégée par la loi. De ce fait, nous estimons que le blocage technique de ces serveurs est la solution idoine ». Notre vis-à-vis notera également « l’impérieuse nécessité » de mettre à jour l’arsenal juridique existant. « Le streaming et l’IPTV est un phénomène récent en Algérie et, de ce fait, le législateur devra mettre en place de nouveaux mécanismes pour lutter de manière efficiente », a-t-il en outre préconisé. Sur un volet plus global, le chargé de communication auprès de l’Onda, a profité de cette occasion pour exhorter les starts up algériennes à prendre attache avec les producteurs nationaux afin de diffuser leur contenu sur leurs plateformes. « Comme je l’ai déjà souligné, nous sommes un trait d’union entre les producteurs et les diffuseurs. Notre organisme n’est pas une sorte de gendarme, mais un intermédiaire qui protège les intérêts et droits des artistes. D’ailleurs, notre principale activité se concentre actuellement sur les volet lyrique et musical ».
Avec cette plongée dans les méandres de ce nouveau business où cohabitent le bon ( les startupers innovants), la brute ( les multinationales qui abusent de leur positions quasi monopolistiques) et le truand ( les petits brigands qui jouent sur ces mêmes abus pour s’affranchir du minimum éthique), on arrive à un double constat. L’industrie du digital en Algérie va se développer dans les prochaines années. In reste à savoir dans que écosystème général cela sera fera. Un problème qui dépasse les capacités et moyens des jeunes start-upers. D’ailleurs, les autorités publiques viennent se prendre des décisions favorisant les exportations de prestations des services numériques, qui sont désormais exonérées des formalités de la domiciliation bancaire.
Mais comme trop souvent en Algérie, les anticipations arrivent rarement en temps opportun. Le fléau du piratage risque de tuer dans l’œuf toute initiative sérieuse visant à développer des services de SVOD et de télévision via internet. Pourtant le chantier auquel se sont attelés les jeunes associés de Magmovie concerne une industrie d’aujourd’hui et du futur qui traite de la connaissance, de l’information et du divertissement, c’est-à-dire de la culture.
R.B