dimanche, décembre 3, 2023
Politique

Invitation de Poutine à Tebboune

La présidente du Conseil de la Russie, Valentina Matiavenko qui séjournait en Algérie ce jeudi a déclaré à la presse, après l’entrevue que lui a accordée Abdelmadjid Tebboune, qu’elle a transmis une invitation du président russe Vladimir Poutine  à son homologue algérien pour effectuer une visite officielle à Moscou ; visite dont elle n’a pas  précisée la date.  

Fuite en avant du Kremlin

L’information est venue vingt-quatre heures à peine avant une autre qui a secoué toutes les chancelleries. En effet, ce vendredi, la Cour Pénale Internationale, CPI, faisait savoir que le même Vladimir Poutine venait de faire l’objet d’un mandat d’arrêt international pour crimes de guerre concernant notamment des déportations de plusieurs milliers d’enfants commises en Ukraine. L’annonce fut aussitôt saluée par Kiev comme une « décision historique. » 

De son côté, la porte-parole des affaires étrangères russe, Maria Zakharova a dénoncé le jour même « des décisions dénuées de sens », ajoutant que la Russie était certes signataire du statut de Rome à l’origine de la fondation de la CPI mais ne l’avait pas ratifié. En conséquence de quoi, elle considérait cette décision « nulle et non avenue » Pour sa part, le vice-président du conseil de sécurité de la fédération de Russie, l’acariâtre Dimitri Medvedev, a réagi à sa manière. Dans un tweet rédigé en anglais, il écrit que chacun sait où finira ce document, illustrant son message par un bout de papier toilette. Si effectivement la Russie n’est pas contrainte par les décisions de la CPI qui a engagé des poursuites contre son président, cette sanction interdit à ce dernier de se rendre dans tous les pays qui y ont souscrit. Autant de gouvernements qui scruteront à la loupe les faits et gestes des dirigeants qui se commettront à l’avenir avec Poutine, attention qui vaudra aussi pour le chef de l’Etat algérien. 

Tebboune piégé

La position d’Abdelmadjid Tebboune est à tout le moins diplomatiquement délicate. Se rendre en visite officielle chez un hôte qui vient d’être déclaré criminel de guerre par une partie non négligeable de la communauté internationale le placerait dans une posture de défiance envers la Cour de justice de la Haye. « C’est le soutien de la corde au pendu. Et il est difficile de croire que le Kremlin ne connaissait pas les démarches entreprises par la CPI contre Poutine et les conclusions auxquelles elles allaient aboutir au moment où madame Matiavenko remettait son invitation au président Tebboune », analyse à Alger un fonctionnaire du ministère des affaires étrangères, proche de Ramtane Lamamra et qui a échappé à la purge qui a emporté les collaborateurs de l’ancien ministre. « Refuser ou reporter la visite mettrait Alger en situation de tension voire de mésalliance avec son plus important fournisseur d’armes. » Le président algérien est face à un vrai dilemme, précise notre interlocuteur : « honorer l’invitation dans le contexte de relégation internationale auquel est assujetti Poutine serait entendu comme une inféodation à un dirigeant défiant des nations avec lesquelles l’Algérie a de solides intérêts. » 

Auparavant, le ministre des affaires étrangères russe, Serguei Lavrov, avait délivré un satisfécit au partenaire algérien pour la position adoptée après « l’opération spéciale» décidée par le maitre du Kremlin. Le chef de la diplomatie russe avait en effet déclaré que son pays « apprécie la position équilibrée, mesurée prise par l’Algérie sur la question de l’Ukraine dans le cadre des organisations internationales et dans le cadre de sa politique extérieure. »

Risque d’exacerbation des tensions dans le sérail

Or, sur l’Ukraine précisément, la position d’Alger semble de plus en plus difficile à tenir.  D’ailleurs, la précipitation de Tebboune à s’aligner sur le Kremlin après le 24 février 2022 n’a pas été du goût de toutes les sphères décisionnaires algériennes. Certains dirigeants militaires, sensibilisés par Lamamra, recommandaient une meilleure mise en distance de la diplomatie algérienne par rapport à ce conflit. Et ce n’est pas le seul sujet qui fait débat entre la présidence et l’institution militaire. Le rappel de l’ambassadeur d’Algérie à Paris, suite à ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Bouraoui, n’aurait pas été apprécié par Said Chengriha, le chef de l’état-major de l’armée nationale populaire, l’ANP, lequel venait d’effectuer une visite remarquée en France. Du reste, les observateurs ont relevé que la revue mensuelle de l’armée El Djeich qui fixe le cap stratégique sur les grandes options n’a toujours pas commenté l’évènement. Il se dit à Alger que ce silence résulte de l’ordre donné par Said Chengriha en personne pour ne pas communiquer sur une réaction jugée inappropriée et dont les conséquences politiques et diplomatiques sans commune mesure avec ce qui, en définitive, n’est qu’un franchissement illégal des frontières par une citoyenne.

A Alger, des connaisseurs des arcanes du régime considèrent que l’invitation de Poutine résonne comme une convocation qui risque d’élargir un peu plus les failles latentes qui séparent les différents cercles du pouvoir algérien.

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