dimanche, décembre 3, 2023
Économie

Algérie. Un Aïd sous le signe de la paupérisation

Le mois de carême tire à sa fin, laissant place aux incontournables achats de l’Aïd El-Fitr.  Cette année, le rituel dévoile une crise financière qui atteint de larges couches de la population. Selon certains experts, l’inflation devrait atteindre, les 10%. Et comme pour ajouter à une situation des plus inextricables, les ménages éprouvent les pires difficultés à retirer leurs maigres mandats au niveau des bureaux de postes. Tous les ingrédients d’une paupérisation de la société se vérifient aussi bien dans les comportements du consommateur que celui du commerçant. Le premier fait la tournée des magasins avant un achat hypothétique et le second tente vaille que vaille d’écouler ses marchandises malgré le déficit du choix limité par une réduction drastique des importations.  Comme d’autres villes, Alger atteint de sinistrose.

Se vêtir dignement devient un luxe 

Contrairement aux années précédentes, la « fièvre acheteuse » est peu visible. Les magasins d’habillement pour enfants, mais aussi ceux spécialisés dans la vente d’ingrédients pour les gâteaux, sont certes visités par les familles, mais aucune frénésie n’est constatée. Il est difficile de trouver un jean à moins de 4500 DA, les baskets tournent autour de 8000 DA et les ensembles frôlent les 10 000DA. Une véritable saignée pour les familles. « Pour habiller mon enfant j’ai déjà déboursé 18 000 DA. Ce n’est pas normal. Les vêtements sont chers, trop chers », constate un père de famille croisé aux abords du si mal nommé marché « Er-Rahma ». Même scénario à proximité de la Place des Martyrs, envahie par une foule en quête d’articles à des prix abordables.

Les magasins spécialisés dans l’habillement rivalisent de « ventes promotionnelles » et autres prix « soldés » pour attirer une clientèle désappointée par le niveau des prix.  Au niveau d’une célèbre enseigne d’articles pour enfants, les prix en « promo » restent répulsifs. Les robes de petites filles sont accessibles à partir de 4000 DA l’unité. Impossible de dénicher des ballerines à moins de 2500 DA la paire. Selon un responsable de rayon, les prix ont doublé, voire triplé comparativement à l’année précédente. D’ailleurs et si on croit certains commerçants, cette année, l’affluence a considérablement baissé, ce qui n’est pas constatable à première vue. Les marchands parlent probablement du nombre réduit de clients qui concluent un achat. « En vingt-cinq ans de métier, je n’ai jamais vu cela. Les gens n’achètent pratiquement plus rien. Souvent ils se contentent de se renseigner sur les prix et ressortent. », fera remarquer un commerçant implanté au niveau de la principale rue marchande de Bouira, une ville moyenne située à 100 kilomètres à l’est d’Alger. Certains citoyens croisés dans la même artère, confirment cette tendance récessioniste. « Il y a deux ans de cela, avec 20 000 DA en poche, je pouvais vêtir mes trois enfants convenablement. Actuellement, cette somme suffit à peine à habiller mon aîné. C’est infernal ! », déplore une mère de famille enseignante. 

La friperie revient 

Il reste les friperies qui font un retour dans toutes les localités. Cependant, pour côtoyer ce type de commerce, il ne faut pas être exigeant. « Être soudainement obligé de faire porter à ses enfants des vêtements qui ont eu d’autres propriétaires a quelque chose de dégradant pour un responsable de famille. Et ce déclassement est d’autant plus difficile à vivre que les discours politiques triomphalistes n’ont pas préparé les citoyens à un changement de statut », analyse ce sociologue de l’université de Béjaia.

Même les classes moyennes se résignent désormais à s’approvisionner dans ces rebus. En effet, pour la modique somme de 500 DA, on peut s’offrir un polo de la célèbre marque au crocodile. Un jean valant 4000 DA dans les commerces est cédé à 1000 ou 1 200 DA dans ces bazars. La fréquentation de ces lieux se vit douloureusement. Cette femme au foyer rencontrée dans l’une de ces friperies avoue : “Vous croyez réellement que si j’avais les moyens et le choix, je viendrais faire mes achats dans cet endroit ? C’est contrainte et forcée que je suis ici. J’ai même honte d’y être. Mais c’est comme ces gens qui résistent un temps et qui finissent par tendre la main. Le plus dur c’est de voir que les enfants constatent cette déchéance ”, relève-t-elle la voix chevrotante.

Pour rappel, en 2012 le gouvernement de l’époque avait introduit un amendement interdit l’importation de la friperie en raison “des difficultés des pouvoirs publics à  contrôler la salubrité des vêtements d’occasion”.  Neuf ans plus tard, la fripe est devenue quasiment incontournable pour une majorité de citoyens. Un constat qui en dit long sur le lent mais inexorable appauvrissement de la société. 

Quand le manque de «  cash » mène au crash

Ceux qui disposent d’une rentrée d’argent, aussi modeste soit-elle, ont toutes les peines du monde à y accéder. La monnaie se fait extrêmement rare. « Le manque de liquidités quand il devient chronique peut conduire au crash de toute économie basée sur la monnaie fiduciaire, ce qui est le cas de l’économie algérienne », rappelle ce fonctionnaire de la Banque extérieure d’Algérie, la BEA, qui requiert l’anonymat.

Au niveau des bureaux de poste de la wilaya, un air de déjà vu plane sur les guichets pris d’assauts dès les premières heures de la matinée. Dès l’ouverture des grilles d’entrée de la poste centrale de Bouira, c’est une véritable marée humaine qui s’engouffre à l’intérieur, dans l’espoir d’arriver avant que les retraits ne soient arrêtés. Ce qui arrive fréquemment. Très vite, la déception cède la place à la colère, en témoigne la réaction du jeune Djalil : « C’est absurde ! J’en perds mes mots. Comment voulez-vous rester calme et stoïque devant une telle situation ?». Puis, il ajoute : « C’est la troisième tentative que je fais pour retirer quelques kopecks. Pour rien. Je vais devenir fou ! ». Dans ce bureau de poste archi-comble, les usagers spéculent sur les origines de cette crise qui vont de la plus terre-à-terre à la plus farfelue. Celle du « complot », suscitée ou spontanée, a les faveurs du plus grand nombre.

Autre bureau de poste, autre ambiance. À la poste de Farachati, c’est une ambiance détendue qui prédomine. Par la force des choses, des citoyens commençant à s’habituer à ces crises à répétitions, apprennent à se maitriser. Contrairement à la poste centrale ; ici, point de bousculades. Dans l’ensemble, les gens discutent plutôt calmement. Il faut dire qu’il n’y a pas grand monde. Un retraité stoïque se console : « A quoi bon se tirer les cheveux ? Vous savez, on commence à avoir l’habitude. La première crise a pris tout le monde au dépourvu. Désormais, chacun prend ses précautions. On sait bien que du jour au lendemain, la poste peut être à sec, alors il faut rester zen ».

Cependant, tout le monde n’est pas disponible pour la zen attitude. A l’image de Allaoua, cheminot, qui déclare : « Qu’est-ce que c’est encore que ce manège ? Ils ont annoncé à la télé que cette crise était de l’histoire ancienne. ET après la grève des postiers, c’est encore la pénurie. Dans quel pays vit-on ? ». Voyant que les usagers acquissent il s’enhardit : « A la fin, on va exploser. Travailler pour ensuite ne pas pouvoir toucher sa mensualité, c’est dur à avaler. C’est un scandale ! ». Mais la peur habitant les esprits, les yeux fixent le sol. Le silence est pesant. C’est le guichetier, qui le rompt. Prudemment : « Que voulez-vous que je vous dise ? On est contraint au chômage technique ! Cette situation ne nous fait pas plaisir. Devoir refouler la clientèle à cause de cette crise ne m’enchante pas personnellement. Nous sommes obligés d’attendre d’être livrés. », souffle-t-il, désabusé.

La flambée des prix de l’habillement, le retour en grâce du « marché du chiffon », comme le désigne les jeunes ou la sempiternelle crise de liquidités, pour ne citer que ces problèmes, indiquent la précarité dans laquelle s’enfonce la « Nouvelle Algérie ». Combien de temps les incantations officielles pourront-elle occulter pareil marasme ?  

R.B 

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