mardi, novembre 28, 2023
Politique

Algérie. La nouvelle loi de l’information adoptée

La nouvelle loi de l’information en Algérie a été adoptée à l’unanimité ce jeudi, par les représentants de la Chambre Haute du parlement ( Sénat). Selon le ministre de l’information et la Communication, Mohamed Bouslimani, cette loi vise à « garantir la liberté d’expression au journaliste dans le cadre du respect de la Constitution et des lois en vigueur », a-t-il indiqué devant les sénateurs. Les statuts du journaliste, les conditions et modalités d’octroi de la carte de presse, les modalités d’accréditation du journaliste relevant d’un média de droit étranger et l’instauration d’un haut conseil d’éthique professionnelle, sont les principaux axes du nouveau texte qui aura la lourde tâche de réguler un secteur qui connait l’une des phases les plus critiques de sa jeune histoire.

Les spécialistes des médias estiment que trop de zones d’ombres persistent dans la rédaction de ce texte, ce qui peut ouvrir la voie à des interprétations liberticides.   « Récemment, l’Autorité de régulation de l’audio-visuelle, l’ARAV, a été sommée de se porter partie civile contre Ihsane El Kadi. L’un des problèmes avec cette loi réside dans les non-dits. Qui nomme les membres de l’Autorité de Régulation ? Quelle sont précisément ses missions et prérogatives ? », s’interroge ce jeune journaliste aujourd’hui en chômage et qui a déjà eu maille à partir avec la justice.  

Autorités de régulation : pléthore et contrôle 

Pour ce qui est du chapitre de l’audio-visuel, M. Bouslimani, a insisté sur le fait que la nouvelle loi s’attèlera à « combler les lacunes juridiques enregistrées, de mettre en place les bases et les mécanismes nécessaires pour la promotion de la pratique audiovisuelle publique et privée, a affirmé le ministre, soulignant que le texte définit “les instances activant en la matière et les règles relatives à leur organisation, régulation et contrôle ». Pour l’intervenant, son département, oeuvre dans le cadre de cette loi, à « appuyer l’Autorité nationale indépendante de régulation de l’audiovisuel (ANIRA, ndlr), laquelle aura pour mission de promouvoir l’investissement national privé dans le domaine l’industrie audiovisuelle et créer des postes d’emploi », a-t-il ajouté. Cette institution aura, outre les missions qui lui sont dévolues, la responsabilité de « réguler et de contrôler aussi bien les services de communication audiovisuelle traditionnels que les services de communication audiovisuelle en ligne », dira M. Bouslimani.

Pour ce qui est de la presse écrite, laquelle connaît des heures sombres en Algérie, la nouvelle loi mentionne la création d’une Autorité de régulation de la presse écrite et de la presse électronique. Cet organisme, sera selon le ministre, une « autorité indépendante dotée de la personnalité morale et de l’autonomie administrative et financière, chargée de la régulation des activités de la presse écrite et de la presse électronique ». 

Un statut « particulier » pour les journalistes 

Pour ce qui est de l’organisation de la profession de journaliste, le nouveau texte législatif va doter la profession d’un statut particulier qui définit les conditions d’exercice de la profession et les droits et devoirs afférents. Ainsi et selon l’article 17, est journaliste « toute personne qui exerce une activité journalistique et qui fait de cette activité sa profession régulière et sa principale source de revenus ». À la condition de détenir un diplôme de l’enseignement supérieur en rapport direct avec la profession de journaliste ou d’un diplôme de l’enseignement supérieur dans une autre filière, justifiant d’une formation en journalisme et de cinq années d’expérience professionnelle au moins dans le domaine journalistique. L’article 18 stipule que le statut de journaliste professionnel donne à son titulaire le droit de bénéficier des mesures prises en faveur de la presse. « Les conditions et modalités d’octroi de la carte sont fixées par voie règlementaire. » L’article 22 de ladite loi, indique que le journaliste exerçant en Algérie pour le compte d’un média de droit étranger doit détenir une accréditation préalablement.

Les journalistes « strictement encadrés » 

Dans le chapitre des « gardes fous » mis en place par le gouvernement, il est fait obligation aux organes de presse de déclarer « l’exclusivité du capital social, l’origine des fonds investis et des fonds nécessaires à leur fonctionnement ». Une amende de 1 million à 2 millions de dinars est prévue à l’encontre de tout média qui reçoit, directement ou indirectement, une aide matérielle de quelque nature qu’elle soit, sans être lié organiquement à l’organisme donateur, ou qui reçoit des financements et des aides d’un organisme étranger.  Ainsi, la juridiction compétente peut même ordonner la confiscation de biens objets de l’infraction (Art. 44 et 45). Sur un autre volet, les cas d’outrage commis par un média envers les chefs d’État étrangers et les membres des missions diplomatiques et consulaires accrédités en Algérie exposent leur auteur à une amende de 100 000 à 500 000 dinars (Art. 48). Une amende de 500 000 à 1 million de dinars est prévue contre toute personne exerçant son activité en Algérie pour le compte d’un média de droit étranger sans accréditation (Art. 53). En outre, et en dépit du fait que le texte stipule que « le secret professionnel constitue un droit pour le journaliste conformément à la législation et à la réglementation en vigueur », il est clairement mentionné que le journaliste « est tenu de révéler ses sources à la justice si elle l’exige ».

Le binational stigmatisé

Par ailleurs, la nouvelle loi exclut de facto les binationaux du droit de détenir ou d’être actionnaires dans un média en Algérie. « Une disposition dont la constitutionnalité mérite d’être discutée », relève ce membre du barreau de Boumerdes dont le frère est journaliste.

Les sénateurs, ont toutefois assorti leur approbation d’un bémol sur l’article 22 de ce texte qui concerne l’obligation, déjà existante, pour les journalistes d’obtenir une “accréditation” afin de pouvoir travailler en Algérie pour des médias étrangers. Ils ont préféré « geler » cet amendement en estimant notamment « insuffisant », le délai de 30 jours prévu pour l’obtention de ladite accréditation à partir de la date du dépôt de la demande.  Enfin, il y a lieu de noter que les textes d’application de la nouvelle loi de l’information n’ont pas été encore promulgués, ce qui laisse encore des   interrogations sur son effectivité.

Toute loi vaut d’abord par l’écosystème politique et la culture générale qui prévalent dans le pays, deux données qui déterminent le niveau d’autonomie morale, intellectuelle et professionnelle de celui qui l’applique. Force est de constater que ces dernières années la tendance est à la restriction des libertés.

R.B

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