En Tunisie, des livres censurés au Salon du livre rappellent les méthodes de Ben Ali
Les versions se suivent et se contredisent depuis l’inauguration de la Foire internationale du livre de Tunis, malgré un précédent inquiétant. Peu de temps après la visite du président tunisien Kaïs Saïed vendredi 28 avril, la stupéfaction et la colère se sont propagées dans les rangs des éditeurs et libraires venus exposer leurs livres à l’occasion d’un rendez-vous annuel d’une grande importance pour les professionnels du secteur. Les responsables de la maison d’édition Dar Al Kitab (La Maison du livre) ont été sommés de fermer leur stand.
Le livre nouvelle victime de Kais Saied
En cause ? La présence d’un essai politique, Le Frankenstein tunisien, de l’écrivain Kamel Riahi. La couverture verte du livre représente une caricature de Kaïs Saïed dépeint comme le monstre créé par le Docteur Frankenstein dans le roman célèbre de Mary Shelley. L’auteur y critique le coup d’État du 25 juillet 2021 opéré par Kaïs Saïed, une créature née des déceptions du peuple tunisien depuis la révolution. “Pour la première fois en 37 ans de Foires du Livre de Tunis, un stand est fermé par les autorités. C’est une première”, écrit Karim Ben Smaïl, propriétaire des éditions Cérès. Pour exprimer leur solidarité, plusieurs exposants ont décidé de fermer leur stand à leur tour, le jour-même.
Le lendemain, samedi 29 avril, au moins deux autres livres manquent à l’appel : Kaïs 1er, président d’un bateau ivre, un essai politique en langue arabe du journaliste Nizar Bahloul ainsi que Le chiisme en Tunisie, de Slaheddine Amri. Ces livres ont pu être exposés de nouveau peu de temps après. Face aux journalistes, et après avoir pu rouvrir son stand sans le premier livre incriminé, Habib Zoghbi, directeur de Dar Al Kitab, tente d’arrondir les angles et invoque des délais administratifs.
Censure honteuse
Qui a pris la décision de fermer le stand de l’éditeur et de saisir les copies de ces publications ? Jusqu’au lundi 1er mai, les versions de Dar Al Kitab comme de la direction de la Foire internationale du livre de Tunis (FILT) se contredisent. Les dernières informations font état d’une décision prise par des agents chargés par le ministère de la Culture d’assurer la sécurité des lieux. La direction de la FILT avance des problèmes administratifs et de listes complémentaires arrivées trop tard.
Lors d’un point presse tenu le dimanche 30 avril, la directrice de la FILT, entourée des membres de son comité d’organisation, a fustigé une polémique qui a “touché à l’image de la Tunisie dans les médias internationaux” et accusé ses détracteurs d’avoir “trompé” l’opinion et de s’être rendus coupables de propos “diffamatoires”. Pour autant, et sans donner plus d’explications, elle indique que les livres ayant été saisis le 29 avril seront de nouveau exposés. Karim Ben Smaïl a salué de son côté une “déclaration courageuse” estimant que “la présidente du comité d’organisation de la Foire remet sa ministre au pas”, évoquant ainsi un différend ayant opposé le ministère de la Culture au comité d’organisation. “Au moins un des livres saisis a été remis en vente, un titre qui a plus de trois ans… et qui s’est vendu en un jour! Merci qui ?”, a-t-il ironisé.
Sauf que la polémique ne s’est pas arrêtée là et Habib Zoghbi dénonce une nouvelle manipulation. En effet, Le Frankenstein tunisien a été confisqué le 28 avril et ne serait pas inclus dans la liste des livres pour lesquels l’interdiction a été levée. “Jusqu’à quel point essaie-t-on de manipuler les gens ? Je vous informe que le livre est encore saisi jusqu’à présent, sans document officiel ni décision de justice”.
“Cette dernière édition de la FILT n’a pas fini de nous surprendre”, a prédit plus tôt Karim Ben Smail, dénonçant les “cafouillages, marche arrière, et amateurismes”.