jeudi, novembre 30, 2023
Société

Annulation du concert de Boobba au Maroc : séisme politico-médiatique

Annoncée sobrement dans un premier temps par le magazine Tel Quel, l’annulation du concert du rappeur français Booba prévu à Casablanca pour le 21 juin vire désormais à l’hystérie médiatique avec des relents politico-diplomatiques de plus en plus explicites. 

Une interdiction inspirée par les islamo-conservateurs

Officiellement, la décision d’interdire le spectacle est venu des organisateurs. Aujourd’hui, il est établi que c’est la préfecture de Casablanca qui a refusé de délivrer les autorisations nécessaires à la programmation du rappeur ; autant dire que la société qui a invité l’artiste n’a fait qu’exécuter une instruction qui lui a été imposée.

Depuis plusieurs mois, des appels au boycott ou à l’interdiction du rappeur se multipliaient sur la toile ou par d’autres voies. Une pétition appelant à refuser de délivrer l’autorisation a recueilli 4500 signatures. Le club des avocats, par la voix de son président El Ajouti, a fait savoir qu’il entendait les appels et messages indignés par les injures ciblant «  les femmes marocaines ». Les milieux conservateurs qui surfent sur cette affaire se sont invités au débat. La formation islamiste, Parti pour la Justice et le développement, PJD a adressé une question écrite au parlement où elle interpelle le ministre de la jeunesse et des sports sur la signification et les conséquences qu’engendreraient l’acceptation de ce concert. De son côté, le rappeur franco-marocain Maes, par ailleurs ex disciple de Booba, invite ses followers à signer la pétition exigeant l’interdiction de son ancien mentor…    

Cause de cette levée de boucliers ? Une chanson. Ou plutôt deux. L’une parle explicitement de « la petite marocaine qui se tape Berlusconi », référence à la mineure marocaine qui avait été impliquée dans les orgies du magnat et homme politique italien. Dans la seconde interprétation, on entend Booba avouer qu’il va à « la chicha pour les petites beurettes ». Voilà donc l’objet du délit qui a remué le ban et l’arrière ban des relais d’opinion marocains et…français. Pourtant, dans cette mobilisation sans nuance, il se trouve encore des internautes qui s’élèvent pour dénoncer « une hypocrisie qui étouffe le pays »

Hypernationalisme et manœuvres politiciennes

En France, les médias ont tous relayé l’information. France 24, BFMTV, Le Monde et la presse régionale ont largement commenté l’évènement. Certains organes n’ont pas manqué de lier cette annulation au climat polaire qui caractérise les relations franco-marocaines. En effet, le Maroc n’a toujours pas nommé son ambassadeur à Paris depuis plusieurs mois. D’autres ont même invoqué le poids de l’hypernationalisme, naguère propre à l’Istiqlal, qui gagne maintenant des courants d’opinion plus mesurés. Il n’en fallut pas plus pour déclencher une réaction en chaine de la presse marocaine qui condamne en chœur des observateurs qui, au lieu de chercher à mieux connaitre la société marocaine, stigmatisent le royaume par le recours à de douteuses et coupables caricatures. Les argumentaires puisent dans tous les registres. « L’écrasante majorité des Marocains ne connait pas Booba ou ne lui accorde aucune importance » et accepter ou refuser un concert fait partie « de la liberté d’expression » tente de justifier l’éditorialiste de l’Opinion.  Laborieuse interprétation qui témoigne de la gêne des milieux modernistes dans cet épineux dossier. La liberté de s’exprimer et de choisir aurait consisté à laisser le chanteur se produire et faire du spectateur le seul arbitre du succès ou de l’échec de la manifestation. Enfin, dire que Booba laisse indifférent les jeunes marocains n’est que partiellement vrai. Si le monde rural est loin de tendances musicales qui rythment les scènes mondiales, la jeunesse citadine est comme celles autres pays. Lors du Mawazine Rythmes du Monde Rabat de 2017, Booba avait rassemblé 100 000 personnes. 

«  Si on avait laissé le spectacle se dérouler normalement, les deux chansons incriminées seraient passées inaperçues ou auraient même fait sourire. Aujourd’hui, tout le monde se précipite pour les écouter et en analyser le sens apparent et caché. Il n’est jamais bon d’utiliser les pressions culturelles pour répondre à des crises politiques », déplore l’un des organisateurs qui a requis l’anonymat.         

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