Editorial. Trump : le nouvel Al Capone ?
Ce ne sont pas moins de 37 charges que le département de la justice américaine a rendu publiques ce vendredi contre Donald Trump. Elles viennent s’ajouter à celles, déjà nombreuses, où il est impliqué dans des agressions sexuelles ou des affaires de fisc. Le procureur Jack Smith a promis « un procès rapide ». Pendant ce temps, Trump, déjà en campagne pour la présidentielle de 2024, parcourt le pays comme si de rien n’était.
Un paradoxe défiant la démocratie
Ces dernières accusations sont particulièrement accablantes puisque l’ancien locataire de la Maison Blanche a gardé par devers lui des dizaines de caisses de documents particulièrement sensibles après avoir quitté ses fonctions. Il s’agit de dossiers concernant la sécurité des USA et dont certains sont classés secret défense. Or, la législation américaine oblige le président sortant à remettre aux archives nationales tout document ou note, écrits ou enregistrés, sitôt son mandat arrivé à terme.
Le paradoxe est que ces affaires de justice en semblent pas avoir d’effet sur la côte de popularité de Trump dans le camp républicain où il est toujours donné vainqueur des primaires.
Certains diront que c’est là le propre du populisme. Les preuves objectives ne sont pas des éléments qui démontrent une culpabilité mais des signes qui viennent renforcer l’inébranlable conviction des adeptes que leur gourou est victime d’adversaires occultes et malfaisants.
Trump, homme de médias, a compris très tôt l’inclination d’une partie importante des populations socialement déclassées et politiquement aigries à céder aux sirènes du complotisme. Et il va en jouer. Au point de pousser ses partisans à se précipiter sur le Capitole le 6 janvier 2021 pour contester la victoire annoncée de Joe Biden. Une initiative gravissime que la justice américaine, qui vient de condamner sévèrement certains insurgés, hésite à qualifier comme une trahison contre l’Etat et la démocratie imputable à l’ancien président US. Prendre une telle sanction reviendrait à avouer que le système démocratique peut conduire à confier la destinée d’une nation à un individu qui en est indigne au moment où de plus en plus de voix s’élèvent dans le monde pour appeler à l’avènement d’un ordre post-démocratique qui serait supplanté par des démocraties illibérales, peu regardantes sur les libertés, mais qui promettent d’instaurer un nouveau rapport de force face à des valeurs universelles assimilées à des normes occidentales auxquelles sont accolées les erreurs et fautes, bien réelles, commises au nom de la communauté internationale.
Le cercle vicieux
C’est cette confusion qui alimente désillusion et rancœur qu’entretient Trump. Et dont il se nourrit. Les historiens auront à trancher un problème vieux comme le monde : la question de l’œuf ou de la poule. Trump a-t-il, sinon créé, du moins porté le populisme à son paroxysme pour en faire un levier juridiquement inattaquable pour la conquête du pouvoir ou est-il l’incarnation d’un phénomène socio-historique latent dont les méfaits ont simplement subi un effet loupe du fait que, cette fois, il a failli déstabiliser la première puissance mondiale ?
Trump ne restera pas dans les annales comme un grand président américain mais il gardera l’image d’un dirigeant marquant qui a exacerbé les effets pervers de la démocratie. Et à ce titre, il figurera dans la liste des hommes dont le bilan interroge l’Histoire. D’autant que sa désinhibition lui a permis de prendre des décisions que d’autres dirigeants n’oseraient pas assumer. Il en est ainsi de la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental négociée par la normalisation des relations entre Rabat et Tel Aviv ou de la dénonciation de l’accord sur le nucléaire iranien ; des situations que Washingtion s’est bien gardé de remettre en cause.
La problématique du populisme est difficilement gérable dans les cadres institutionnels dédiés car au fond, elle pose la question centrale des limites des libertés citoyennes. Pour l’instant, Trump n’est pas déclaré coupable d’avoir lancé ses affidés sur le symbole de la démocratie américaine. La justice préfère lui rappeler qu’il a violenté une femme il y a plusieurs dizaines années de cela et qu’il a subtilisé des documents dont la dispersion peut être attentatoire à la sécurité nationale.
Il y a bientôt un siècle de cela, un autre Américain avait défrayé la chronique en évoluant dans les zones d’ombre que laissent les imprécisions des lois et règlements. Al Capone a déjoué toutes les enquêtes et investigations de la police et défié pendant des années la justice. Jusqu’au jour où il est tombé pour…fraude fiscale.
Ce mardi, Trump se verra signifier à Miami par le procureur fédéral les chefs d’inculpation portant sur le détournement de documents classifiés. Le fait d’avoir, à tout le moins, encouragé ses nervis à envahir le Capitole attendra. La procédure peut neutraliser un homme fantasque et donc de l’empêcher de se présenter à la présidence des Etats-Unis mais elle ne répond pas à la question de savoir comment empêcher la démocrate d’être otage des libertés qu’elle octroie et qui font sa grandeur.