jeudi, novembre 30, 2023
International

Berlusconi est mort. Un populiste désinhibé

Sylvio Berlusconi est décédé ce matin à l’âge de 86 ans à l’hôpital San Raffaele de Milan où il avait été réadmis vendredi. Il est emporté par une leucémie chronique contre laquelle il se disait, il y a quelques jours encore, déterminé à se battre. 

Bilan masqué par la communication 

Le bilan politique de l’homme est contrasté. Si les résultats concrets annoncés par son parti Forza Italia n’ont pas suivis, Il Cavalieri a réussi à faire rêver les couches populaires en tablant sur l’attractivité des paillettes du petit écran mais aussi en investissant dans le football.  En effet, les médias et le club du Milan AC auront été les leviers politiques qui ont permis au richissime homme d’affaire d’entretenir une longévité politique qui en font l’un des dirigeants italiens qui aura le plus duré. Une résilience qui lui a permis d’être Président du conseil à trois reprises. 

En succédant à la fin des années 80 à un démocratie chrétienne vermoulue par la corruption, Berlusconi avait suscité un réel espoir en promettant de conduire la politique de son pays en chef d’entreprise. Il n’en fut rien. Il a fallu que le couple franco-allemand le pousse à la sortie pour éviter à l’Italie le sort de la Grèce.

Mais ni les désordres économiques et financiers provoqués par une gestion aléatoire ni les frasques, heurtant les traditions d’un pays profondément catholique, n’ont pu brouiller l’image de l’homme disponible et proche du peuple que s’était forgé Berlusconi. Les hommages de la classe politique qui saluent un leader qui a marqué l’histoire contemporaine de leur pays témoignent de l’empreinte laissée par celui qui aura partagé sa vie entre le succès entrepreneurial, les déconvenues une fois au pouvoir et… les tribunaux. 

Pourquoi autant d’échecs et d’inconduites n’ont-elles pas durablement cassé la relation d’estime qu’a noué l’Immortel avec une grande partie de ses concitoyens ? Berlusconi aura été l’un des tous premiers responsables à avoir compris que des médias pouvaient, autant sinon plus, que les partis façonner et fidéliser un électorat. Et en la matière, celui qui est devenu le caïman s’est donné les moyens d’écraser la concurrence en développant un groupe de chaines de télévision à sa dévotion. Il a fallu l’apparition des réseaux sociaux pour que le petit écran perde de son hégémonie réduisant du coup, partiellement, l’influence de celui qui aura bouleversé la vie publique italienne. La révolution numérique ébranle mais n’abat pas Berlusconi qui s’agrippe aux affaires publiques et cherche à perpétuer sa jouvence par un recours effréné à la chirurgie esthétique. 

Un Européen domestique

Étrange greffe sociale réussie par cet homme issu de la petite bourgeoisie milanaise qui est parvenu à gagner l’estime des couches suburbaines et même d’une part non négligeable des paysans de l’Italie méridionale. Le nord de l’Italie est traditionnellement dominé par la grande aristocratie industrielle pour laquelle le sud était un marécage social qui devait accepter de vivre un statut de caste perpétuellement déclassée sinon de sous-peuple.  

Assumant son univers naturel de droite dure, Berlusconi, aussi transgressif socialement que politiquement, n’a pas hésité à bâtir son alliance avec la Ligue du nord, une formation d’extrême droite. Il peut être considéré comme celui qui a légitimé le courant populiste en le portant au pouvoir en Italie. Une expérience qui sera suivie par l’Autriche, la Pologne, La Hongrie et, plus tard, la Suède. Gorgia Meloni a fait ses classes chez Berlusconi dont elle fut secrétaire d’Etat. On a tendance à ignorer ou à nier l’action internationale de Berlusconi. C’est un tort. Son aura n’a pas dépassé le vieux continent mais il y a laissé sa marque. Certains s’en réjouissent et d’autres le déplorent ; il reste que le populisme européen lui doit beaucoup. 

Mais, et il nest pas inutile d’insister sur ce point, en dépit de ce tropisme droitier, traditionnellement ancré au nord, L’homme d’affaire devenu acteur politique de premier plan a veillé à produire une communication intégrant des messages s’adressant aux couches les plus défavorisées. Une préoccupation que l’on ne retrouve pas chez son allié de la Ligue du nord Matteo Salvini qui ne fit d’ailleurs pas mystère de  ses velléités sécessionnistes.

Néanmoins, cette propension à ne pas oublier le sud de la péninsule ne traversa pas la Méditerranée. Berlusconi qui est un européen domestiquerai ne sera pas un partisan de la concertation méditerranéenne. En dehors de relations léguées par l’histoire avec la Libye et qui connurent quelques épisodes sulfureux avec le clan Kadafi pour lequel Il Cavalieri témoigna laxisme et mansuétude, Rome, sous Berlusconi, laissa la rive sud aux chefs d’entreprises, ce qui, par ailleurs, ne fut pas forcément une mauvaise chose si l’on regarde la façon dont ENI et les PME italiennes ont défendu leur intérêt dans la région.   

Pour l’ensemble des dirigeants nord-africains, Berlusconi était un partenaire accommodant. La distance qu’il afficha avec ses voisins du sud ne fut vécue ni comme une froideur ni un  désintérêt. Au contraire. Limitant son attention au négoce, le chef du gouvernement italien se garda d’exprimer la moindre remarque, fût-elle allusive, sur les violations des libertés que subissent les militants de la démocratie. Une discrétion appréciée par les trois capitales. Et ce ne seront pas les scandales financiers ou autres qui ont haché la carrière de Berlusconi qui auraient dérangé les pouvoirs de Tunis, Alger ou Rabat.   

Partager avec

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Advertisment ad adsense adlogger