La visite de dirigeants européens crée la polémique en Tunisie
Comment expliquer la visite programmée en quelques jours de hauts dirigeants européens en Tunisie ? Après la visite mardi de Giorgia Meloni, cette dernière a récidivé dimanche accompagnée cette fois par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et du premier ministre néerlandais, Mark Rutte.
Cette visite s’est déroulée deux jours après un accord jugé historique entre les ministres de l’Intérieur des 27 États membres de l’Union européenne réunis au Luxembourg, concernant une réforme du système d’asile et de migration. Cet accord laisse entrevoir la possiiblité pour les pays européens de renvoyer des migrants vers des pays de transit jugés « sûrs », comme pourrait l’être la Tunisie, même en l’absence de lien (famille, travail, etc.) entre ce pays et le migrant.
Une délégation européenne venue les mains vides
Si les deux visites évoquées en l’espace de quelques jours dénotent de l’importance du dossier tunisien auprès de l’Union européenne, les mesures annoncées n’apportent quasiment aucune avancée en termes d’aide économique. À l’issue de son entretien avec le président tunisien Kaïs Saïed, Ursula ven der Leyen a en effet annoncé une aide budgétaire de 150 millions d’euros, déjà prévue précédemment dans le cadre de la politique de voisinage, alors que le déficit budgétaire tunisien s’élève à plus de 5 milliards d’euros. En l’absence d’accord avec le Fonds monétaire international (FMI), les quelque 900 millions d’euros prévus pour des projets macroéconomiques ne seront toujours pas débloqués. En ce qui concerne la migration, sujet central de cette visite, une enveloppe de 105 millions d’euros est prévue, censée notamment lutter contre les réseaux de passeurs et empêcher la migration irréguilière en provenance de la Tunisie. Selon un communiqué commun publié par la Tunisie et la Commission européenne, un protocole d’accord devrait être élaboré conjointement entre les deux parties avant la fin du mois de juin, sans que plus de détails ne soient communiqués. Pour l’Europe, l’enjeu est de présenter des résultats concrets sur le sujet de la migration lors du Conseil européen qui se tiendra les 29 et 30 juin prochain. « Sous des titres attrayants sur la coopération économique, les énergies renouvelables, la coopération scientifique et l’aide à la crise en Tunisie, leurs visites cachent un chantage et une tentative de marchandage : de l’argent et de l’aide en échange du rôle de policier des frontières et de la coopération accrue pour le renvoi des immigrants irréguliers tunisiens et la réadmission de tous ceux qui ont traversé le territoire tunisien », a dénoncé le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) dans un communiqué publié dimanche.
Kaïs Saïed intraitable ?
En visite surprise la veille à Sfax, Kaïs Saïed a savamment préparé cette visite de hauts dirigeants européens à Tunis, assurant ne pas vouloir faire de la Tunisie le gendarme des frontières de pays tiers, même s’il n’a pas boudé son plaisir dimanche à Carthage face à la mer, appréciant certainement être le centre de l’attention de ces hauts dirigeants européens, cigarette à la main et allant jusqu’à publier sur son compte officiel une leçon de d’histoire et de géographie qu’il dit avoir prodigué à ses invités.
Seul maître à bord d’un navire tunisien qui tangue au gré des crises et des pénuries, Kaïs Saïed a relégué sa première ministre Najla Bouden au rang de simple accompagnatrice servant à recevoir et à raccompagner les dirigeants européens à l’aéroport. Lors de la réunion de travail entre les délégations européennes et tunisiennes, il a préféré s’entourer de ses ministres de l’Intérieur Kamel Féki et des Affaires étrangères Nabil Ammar, avec l’absence remarquée de la cheffe du gouvernement pourtant présente sur certaines photos à l’extérieur.
Malgré la publication d’un communiqué commun, Kaïs Saïed n’a pas manqué, à l’issue de cette réunion, de publier une déclaration dans laquelle il rejette une énième fois les « diktats » du FMI, appelant ce dernier à « revoir ses politiques » avant qu’une solution ne puisse être trouvée.
Concernant la migration irrégulière qu’il a qualifiée d’inhumaine, il a mis l’accent sur le fait que la Tunisie n’était plus seulement un pays de transit mais un lieu de résidence, sous-entendant que le pays ne saurait être un lieu de relocalisation des migrants, contrairement à ce que souhaiteraient certains pays de l’Union européenne, et à leur tête l’Italie.
« La solution que certains appellent en secret de maintenir ces migrants en échange de sommes d’argent n’est ni humaine ni acceptable, en plus du fait que les solutions sécuritaires se sont révélées inefficaces, aggravant la souffrance des victimes de la pauvreté et des guerres. Si le minimum des conditions de vie décentes était assuré à ces victimes, qui sont ballotées par les vagues de la mer et les sables du désert, elles ne seraient pas une proie savoureuse pour les réseaux criminels qui trafiquent des corps et des organes, que ce soit dans le sud de la Méditerranée ou dans le nord », a-t-il asséné.
Le président tunisien a également ironisé sur le montant de prêts jugés dérisoires, indiquant qu’ils ne dépassaient que « légèrement le montant que reçoit un joueur [de football] professionnel », certainement en référence à la somme de plus de 200 millions d’euros que devrait toucher le joueur français Karim Benzema pour rejoindre un club en Arabie Saoudite.
La visite jugée opaque de la délégation européenne ce dimanche à Tunis, en l’absence de conférence de presse et de détails sur l’accord prévu, a été très largement critiquée par les médias tunisiens et étrangers en plus des organisations de la société civile. « Depuis des années, l’Europe ne considère pas la Tunisie comme un pays ayant besoin d’une coopération axée sur une véritable démocratie garantissant les droits et les libertés, mais simplement comme un point frontalier avancé nécessitant davantage d’équipements pour contenir l’immigration, avec pour objectif que personne ne puisse atteindre l’Europe même si cela signifie la mort », s’est indigné le FTDES.
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