jeudi, novembre 30, 2023
Politique

Trône alaouite : rumeurs, manœuvres et ambitions

Le 17 avril dernier, la délégation royale se trouvait dans l’immense salle de prière de la mosquée Hassan II de Casablanca pour la traditionnelle veillée de la nuit du destin ( Leilat Al Qadr).  L’évènement était retransmis en direct par la télévision nationale. Derrière le Roi, Ahmed Toufiq, ministre des habous et des affaires religieuses, précédait de quelques centimètres le prince héritier Moulay Hassan. Ce dernier pressa le pas pour le déborder et se coller au dos du monarque. Le ministre réalisant sa bourde rentra sa tête dans les épaules. Des millions de téléspectateurs avaient assisté ce jour-là à l’émergence d’une autorité qui n’allait plus arrêter de s’affirmer.

Émergence princière et effacement royal

Moulay Hassan, âgé d’à peine 20 ans, venait de signaler son rang et ses ambitions. Une manifestation qui alimenta davantage les commentaires feutrés des couloirs portant sur la répartition des rôles entre le père et le fils, le temps effectif passé par le premier au pays, les aigreurs refoulées suscitées par les relations du Roi avec les sulfureux frères Azaitar dont l’influence au palais fait suffoquer nombre de membres du cabinet royal, de ministres et des milieux sécuritaires du pouvoir… 

Sans aller jusqu’à évoquer dans le détail les problèmes inhérents à la santé du Roi et ses capacités à exercer sa mission, des titres de la presse marocaine se plaisent à souligner la prestance et la sagacité du jeune prince hériter. Plus sournoisement, d’autres journaux insistent sur le retour au pays de « de sa Majesté le roi que Dieu le bénisse », laissant entendre que le souverain avait disparu de longue date. Pour cet universitaire marocain installé à Bordeaux, ces articles suggestifs ne peuvent avoir été écrits sans la sollicitation implicite voire une instruction formelle de cercles sécuritaires qui suivent avec inquiétude et agacement les dérives protocolaires du palais et leurs débordements politiques de plus en plus dommageables au fonctionnement normal des institutions. Selon notre interlocuteur ce sont eux qui veillent à ce que le jeune prince assiste au maximum de rencontres officielles.

Parole citoyenne libérée

Pendant une longue période, les absences du Roi qui prenait des retraites de plusieurs semaines au Gabon furent discrètement commentées dans des cénacles universitaires ou des clubs d’amis avant de gagner des espaces plus ouverts comme les terrasses de café et les bains maures. Une audace qui fut sans doute captée par les plus intimes collaborateurs de Mohamed VI qui purent le convaincre d’entreprendre une campagne de communication active. Et depuis quelques mois, les inaugurations succèdent aux cérémonies de charité ou des séances d’affichage comme celle de la présentation d’un prototype d’un véhicule hydrogène de fabrication marocaine ( voir adn-med du 17 mai 2023). 

Une hyperactivité qui ne suffit plus à étouffer les spéculations qui gagnent désormais la rue. La soudaine perte de poids de Mohamed VI est l’objet de discussions décomplexées à Casablanca, Rabat, Tanger ou Marrakech. Même la ruralité marocaine, traditionnellement conservatrice et peu concernée par les subtilités politiciennes du sérail, se mêle aux débats. Les relations de Mohamed VI avec le prince héritier qui a choisi de vivre avec sa mère divorcée du Roi et les tensions qui pèsent sur la cour constituent désormais des sujets qui meublent les échanges du bon peuple. Un évolution sociologique rare dans un royaume où la famille royale fut de tout temps un tabou. 

Certains n’hésitent plus à évoquer l’hypothèse de l’abdication. Pourtant les dernières sorties du Roi attestent de sa volonté ou du moins de celle de la faction qui tient à ce qu’il continue à exercer son règne, à ne pas laisser le jeune prince héritier prendre rapidement les rênes du pays.  

Trop jeune disent certains. Il faut encore que Mohamed VI qui a impulsé une évolution géostratégique essentielle à la sécurité et la prospérité économique du royaume continue d’incarner cette option au regard de la communauté internationale où il jouit d’un crédit important, allèguent d’autres. 

Il demeure que cette reconnaissance internationale est impuissante à juguler la dynamique de la supputation sinon de contestation latente qui a gagné l’ensemble des segments de la société marocaine. Nul ne peut prédire les déclinaisons que peuvent prendre des interrogations qui posent la question de la capacité du Roi à assumer ses responsabilités. Mais le fait que cette problématique soit au centre des palabres populaires constitue en soi une évolution notable dans un Maroc où la personne du Roi, si elle n’est plus sacrée, est constitutionnellement inviolable.  

Partager avec

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Advertisment ad adsense adlogger