BOMBE IRANIENNE ? PLUTÔT SARKOZIENNE. Par Mohamed BENHADDADI*
Ce qui vient à l’esprit quand on parle d’Iran, c’est inévitablement le spectre de la bombe atomique, conséquence du travail acharné des médias dominants qui nous alertent, depuis plus de deux décennies, sur son imminence . L’émergence de ChatGPT ne fera que conforter la communication dominante car cet outil apprend à répondre en fonction des informations qui lui sont fournies. Autant dire que la pensée critique, incluant les voix dissidentes factuelles, comme c’est le cas ici, méritent d’être davantage entendues.
Iran, + 50 ans en arrière
L’histoire du nucléaire iranien a commencé à la fin des années 50, sous l’ère du Chah Reza Pahlavi, avec la création du Centre de recherche nucléaire de Téhéran et l’acquisition d’un réacteur de recherche de 5 MW, fourni par les États-Unis. Mais, ce n’est qu’au lendemain du 1er choc pétrolier de 1973 qui a vu le quadruplement du prix du pétrole et la disponibilité d’une manne aussi exorbitante qu’inattendue, que l’Iran se lança dans un vaste programme de construction de centrales nucléaires pour la production d’électricité. Malgré la signature du Traité de non-prolifération nucléaire TNP par l’Iran dès 1970, les États-Unis étaient réticents à s’engager, faute d’entente sur la question de l’enrichissement de l’uranium et du retraitement de combustibles usés, ce qui a amené le Chah à se tourner vers le cupide couple franco-allemand, alors beaucoup moins regardant sur les risques de la prolifération. C’est ainsi que Siemens (1975) a commencé à construire deux réacteurs à Bouchehr et Framatome (1978) a commencé à construire deux réacteurs à Darkhovin. Cerise sur le gâteau, l’Iran a pris une participation dans la société française sensée lui livrer l’uranium enrichi, moyennant un prêt d’un milliard de $.
Le programme des 4 réacteurs iraniens s’effondra avec l’avènement de A. Khomeiny et d’un pouvoir islamiste (février 1979). Les Français, tout comme les Allemands, ont tenté de se faire rembourser, ce qui donna lieu à des contentieux houleux sur fond de guerre atroce avec l’Irak qui, tout au long du milieu des années 80, a bombardé plusieurs fois chacun des deux sites.
Iran, les lignes rouges
Le nouveau millénaire a commencé avec la révélation par un dissident iranien de l’existence de deux sites nucléaires inconnus avant 2002 : une installation (partiellement souterraine) d’enrichissement de l’uranium à Natanz et une installation à l’eau lourde à Arak. Cette révélation a occasionné une levée des boucliers, certains ont alors accusé l’Iran de violer le TNP qu’elle a signé, alors que les journaux meanstream parlent d’un pays non crédible car “pris la main dans le sac”.
Pourtant, ces accusations ne résistent pas à l’épreuve des faits qui ne sont pas portés à l’intention du vaste public : l’Iran n’était aucunement obligé d’autoriser les inspections dans toute nouvelle installation nucléaire, jusqu’à six mois avant que le matériel radioactif ne soit introduit. Suite au Protocole additionnel qu’elle a signé en décembre 2003, l’Iran a autorisé ces inspections et l’AIEA est arrivée à la conclusion que ces sites ne faisaient pas partie d’un programme militaire secret.
Mais, le branle-bas de combat a déjà commencé. C’est alors que le ministre Français des Affaires étrangères, D. Villepin, assuré du soutien de son président J. Chirac, est arrivé à convaincre ses homologues allemand et british de se rendre tous ensemble à Téhéran pour y rechercher une solution, ouvrant ainsi un dialogue en octobre 2003 dont le fil ne sera jamais rompu, malgré toutes les péripéties et vicissitudes. Il n’est pas inutile de spécifier que cette initiative a été faite contre vents et marées et :
(i) en dépit des objections de ses collaborateurs en charge du dossier iranien
(ii) en dépit du risque de déclencher l’ire des États-Unis, déjà ulcérés par l’absence de la France dans la coalition contre l’Irak.
Mais l’exigence américaine de “zéro centrifuge ” conjuguée avec la volonté inébranlable de l’Iran de faire de son programme d’enrichissement d’uranium une ligne rouge a débouché sur l’échec de la 1ère phase des négociations en 2005. J. Chirac a eu le mérite de maintenir le contact et de convaincre G. W. Bush d’éviter l’escalade et toute initiative destructrice, alors qu’en Iran les propos incendiaires du populiste A. Ahmadinejad ont fait monter la tension de plusieurs crans. C’est ainsi que le dossier iranien atterrit au Conseil de sécurité en février 2006 et la 1ère résolution intimant à l’Iran de suspendre ses activités sensibles et lui infligeant des sanctions tombe en décembre de la même année.
Sarkozy le belliqueux
Le nouveau président français N. Sarkozy arrive avec la volonté affichée de renouer avec l’Amérique et l’alliance atlantique. Sur l’Iran, il est l’instigateur de la formule choc “alternative entre la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran”, alors que son ministre des Affaires étrangère B. Kouchner invite “à se préparer au pire, et le pire, c’est la guerre”. Ces propos belliqueux du couple Sarkozy-Kouchner ont fait réagir A. Ahmadinejad, lui-même expert en propos outranciers. Pas évident de dire lequel est plus véhément que l’autre, mais une chose est certaine : les 3 larrons jouent dans la même division, même si les journaux dominants ne pointent que l’iranien.
La tension avec l’Iran ne fait que monter et atteint son paroxysme durant l’automne 2007. Mais, devant le bruit washingtonien sur la possibilité de bombarder l’Iran, les 16 agences civiles et militaires de la communauté américaine du renseignement (CIA, FBI, NSA…) ont décidé de rendre publique leur évaluation qui conclut que l’Iran a arrêté son programme de fabrication d’armes nucléaires en 2003. Même si cette sortie des services se veut d’abord et avant tout un moyen pour se prémunir contre leur instrumentalisation par le pouvoir politique comme cela fut le cas avec les “armes de destruction massives”, elle a créé un séisme au sein des faucons Bushiens qui voulaient tellement en découdre avant la fin de leur mandat. Cette sortie a également irrité la France sarkozienne dont il décrédibilise la formule choc et le réalignement. L’incongruité de la position française réside dans son affirmation qu’elle s’en tient aux faits et non aux perceptions, alors que la déclaration de N. Sarkozy “L’Iran prend un risque majeur à continuer le processus d’obtention du nucléaire militaire” relève, au mieux, d’une intuition qui reste à documenter. Que dire alors des propos de ce même président qui qualifie fin 2008 d’immature la position du candidat-vedette B. Obama sur le nucléaire iranien, alors que dans le même temps il milite fortement au sein de l’UE pour imposer des sanctions extra-onusiennes, tout comme il n’hésite pas à s’en prendre au directeur de l’AIEA, M. El Baradai.
En tout cas, avec l’Iran, c’est désormais un dialogue de sourds qui s’est installé. À chaque fois que de nouvelles sanctions sont instaurées, la France sarkozienne est en première ligne lorsqu’il s’agit de les mettre au point et/ou de les faire voter, se permettant même le luxe de critiquer certaines hésitations étasuniennes. Il est non moins vrai que l’arrivée au pouvoir d’Obama et sa prise de position pour une solution négociée avec l’Iran a rendu N. Sarkozy encore plus belliqueux. Le président français prend même la tête d’une mobilisation internationale et s’engage dans ce sens auprès du Premier ministre israélien B. Netanyahou, préconisant “des sanctions d’une ampleur sans précédent”, dont le gel des avoirs iraniens, l’interruption des achats de son pétrole, etc. Aussi, la guerre de l’ombre fait rage, avec le virus Stuxnet dans les centrifugeuses iraniennes (2010) et l’assassinat ciblé de ses ingénieurs atomistes (2011), ce qui n’a provoqué aucun émoi, mais a servi un régime islamiste fragilisé qui a habilement joué la carte de l’hostilité extérieure.
France, la surenchère pour exister
Élu en 2012, F. Hollande a aussitôt mis en pratique sa “normalité” en s’inscrivant dans l’héritage sarkozien à l’endroit de l’Iran, ce que conforte également son ministre des Affaires étrangères L. Fabius qui promet de “durcir les sanctions tant que l’Iran refusera de négocier sérieusement”.
Mais, les vraies décisions se prennent désormais ailleurs et, qui plus est, dans le dos la France. En effet, des contacts secrets mais directs sont noués entre les Iraniens et les Américains, boostés par l’élection en 2013 de l’ancien négociateur H. Rouhani, fervent défenseur d’une solution négociée. Du côté américain, le couple B. Obama / J. Kerry, tous les deux désireux de trouver une solution, passent le message que les États-Unis sont désormais prêts à reconnaître la légitimité du programme nucléaire iranien, en renonçant à demander la suspension préalable de ses activités d’enrichissement, exigence qui bloquait jusqu’ici toute possibilité de parvenir à un accord. Il n’est pas inutile de préciser ce qu’aucun journal occidental n’a jamais mis de l’avant : rien dans le droit international et dans le traité TNP n’interdit l’enrichissement de l’uranium, même si le diable est dans les détails.
A partir de cette reconnaissance, tout s’accélère. La négociation reprend entre l’Iran et le groupe dit P5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, plus l’Allemagne). En fait, les États-Unis ont déjà fait en coulisse l’essentiel du travail et présentent à leurs partenaires le projet d’accord, définissant les mesures de confiance réciproques (desserrement des sanctions, ralentissement du programme iranien), ainsi que les grandes lignes de l’accord. Découvrant le texte auquel ils n’étaient pas associés, les négociateurs français alertent leur ministre sur des pseudo-failles qu’ils ont découvert et lui faisant dire tout de go qu’il n’est pas question pour la France de se rallier à “un accord de dupes”. Ce propos fort peu diplomatique, pour ne pas dire outrancier, fait le tour du monde, sème la consternation chez les adeptes de l’accord et la jubilation chez ses détracteurs. Il laissera des traces indélébiles tout au long des longues négociations, alors que les points soulevés par les négociateurs Français ne sont que des détails, sans incidence majeur sur l’Accord, signé le 14 juillet 2015. La sortie fort peu diplomatique de la France hollandaise est probablement plus proche d’une bouffonnerie que d’un ultime baroud d’honneur d’un pays écœuré d’avoir été laissé en rade des négociations.
On récolte ce qu’on sème
Au lendemain de l’Accord sur le nucléaire iranien, la majorité des journaux français ont été dithyrambiques pour souligner que le succès de l’Accord est aussi un succès de la France. Cet accord est l’aboutissement du dialogue initié en 2003 par la France chiraquienne et dont le fil conducteur ne sera jamais rompu, malgré toutes les péripéties et vicissitudes. Il est donc incontestable que la France a activement recherché une solution à la crise du nucléaire iranien dès son apparition. On peut même émettre l’hypothèse d’un lien entre l’arrêt du programme d’armes nucléaires iranien en 2003 et la visite de D. Villepin, tout comme cela peut être juste une coïncidence fortuite de date; l’histoire nous le dira peut-être un jour.
En revanche, avec l’avènement du belliqueux N. Sarkozy en 2007, le pays a tourné casaque, faisant même un virage à 180°. Dès que les États-Unis ont débloqué la situation en reconnaissant la légitimité du programme nucléaire iranien, la France Sarko-Hollandaise a perdu totalement le contrôle sur l’évolution des négociations. Marginalisé, le pays n’a rien trouvé de mieux qu’à jouer l’enlisement et la surenchère, en faisant valoir outre mesure des détails sans incidence notable sur l’issue finale des négociations. Il est donc incontestable que la France a activement retardé une solution à la crise du nucléaire iranien, alors que l’accord était à portée de main bien plus tôt. Pour ce qui est de F. Hollande, plus soucieux de sa libido que de la place de son pays dans le monde, écrire, comme l’ont fait plusieurs journaux, qu’il a un quelconque mérite dans l’aboutissement des négociations est juste une insulte à l’intelligence.
Conclusion
Le 17 mai 2023, l’ancien président de la République Française N. Sarkozy a été condamné en appel par la justice de son pays pour corruption et trafic d’influence. Dans le dossier du nucléaire iranien, il s’est livré à un autre type de trafic d’influence : l’escroquerie intellectuelle, annonciatrice sur la scène internationale, du strapontin qu’occupe son pays depuis lors.
Post-script
Cet article se veut aussi un hommage à F. Nicoullaud (1940-2021), diplomate et ancien ambassadeur Français en Iran. Fin connaisseuse de la non-prolifération et du dossier nucléaire iranien, son livre ” Des atomes, des souris et des hommes ” décrit de l’intérieur toutes les étapes des négociations qui ont mené à l’Accord de 2015.
*Scientifique de réputation établie, Mohamed Benhaddadi installé au Québec s’exprime régulièrement sur les enjeux géopolitiques qui agitent notre monde.