Afrique du nord et justice : cartel du non-droit
Mardi passé, deux magistrats ont été placés en détention à la prison de communale d’Ain Sebaa ( Casablanca ). Auparavant une douzaine de fonctionnaires de la justice ( juges, procureurs, huissiers ) avait été également interpellés ou interdits de sortie du territoire national. Ces personnes, présumées innocentes, font l’objet de poursuites pour diverses affaires de corruption : interférences dans des dossiers en cours avec promesse d’acquittement, de réduction de peine, de programmation d’une audience dans des circonstances favorables… contre ses sommes d’argent. Voilà la dernière affaire qui défraie la chronique au Maroc.
Le 18 juin, le journaliste El Kadi Ihsane voyait sa peine aggravée dans une procédure où les règles d’instruction ont été violées depuis son arrestation le 24 décembre 2022 jusqu’au jour du procès en appel. Le pouvoir, alors grisé par le retour en veine du poutinisme, faisait un bras d’honneur au monde occidental à travers l’instruction délibérément bâclée du fondateur du dernier média indépendant du pays. Hier, ce sont des présumés militants d’un petit mouvement autonomiste kabyle qui ont été acquittés. Certains ont été emprisonnés pendant quinze mois. Aucune indemnisation n’a été annoncée après ce qui est avoué comme un abus et une erreur judiciaires. Voilà pour le dernier challenge judiciaire algérien.
Le 22 juin c’était le journaliste tunisien Zied El Heni qui était appréhendé à son domicile « en violation flagrante » de son droit à la défense. Quelques heures auparavant, il avait osé ironiser sur l’article 67 du code pénal qui, selon un de ses confrères, interdit de penser à prononcer le nom du chef de l’Etat. Écœuré par l’impudeur du pouvoir, il lâchera devant ses avocats – qui furent empêchés d’accéder à leur client en temps opportun – : « la liberté a un prix, et je suis prêt à le payer ».
Avec la relative distance affichée par Kais Saied envers Alger, dont les relais accusent ouvertement « le grand frère » de refouler les Subsahariens vers la Tunisie, ce sont les trois pouvoirs d’Afrique du nord qui ont désormais chacun deux adversaires. L’Algérie qui est en tension ouverte avec le Maroc ne pardonne pas son ingratitude à son protégé de l’est. Rabat, en délicatesse avec l’ennemi algérien, rumine sa revanche contre Carthage qui a renié sa neutralité sur le dossier du Sahara occidental…
Pour autant, ces trois régimes partagent une tendance instinctive à l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire, lequel, fait payer sa vassalisation par une vénalité qui en vient à surprendre et même heurter des dirigeants qui ne sont pourtant pas très regardants sur les tentations prédatrices.
La maladie dont souffre la justice dans les trois pays est double : soumission politique et corruption. La première étant la mère de la seconde.