mardi, novembre 28, 2023
Société

Vingt cinq ans après sa mort, Matoub s’invite chez les siens

Kabylie bien sûr mais aussi France, Maroc, Libye, Canada, Allemagne, Suède, USA… Cette semaine le rebelle était revenu. Partout. La question n’est pas de savoir si cet artiste unique était apprécié mais d’essayer de comprendre comment et pourquoi son image et son influence sont restées intactes. Les attaques, les manœuvres directes ou obliques n’ont pourtant pas manqué.

Résilience unique

Vingt-cinq ans après son assassinat, cette présence est doublement remarquable. Elle est célébrée par toutes les générations, toutes les catégories sociales, et, chose encore plus notable, elle est revendiquée avec une ferveur qui défie l’embargo des médias officiels lesquels, comme de son vivant, ignorent toujours l’artiste. Pour le régime algérien Matoub n’a jamais existé. Autre contrainte transcendée par l’inaltérable œuvre du chanteur : les nombreuses et multiples manipulations venant des islamistes ou de prétendus proches qui ont tenté, par instrumentalisation politique, intérêt vénal ou simplement pour s’acheter une notoriété, de réinterpréter, de souiller voire de trahir son combat.

Qu’est ce qui fait que cette adhésion demeure constante et gagne des jeunes qui n’étaient même pas nés le jour de sa disparition ? La relation qu’a tissée Matoub avec le peuple est complexe mais il est permis de dire qu’elle résiste aux oublis qui ensevelissent les célébrités aux réputations dopées par les artifices de la publicité pour deux raisons. Son talent a fait que la qualité de son message est difficilement manipulable. La concision de son mot et l’habillage d’une musique juste font de ses chants des productions qui se prêtent mal à la contre-façon. Le dire de Matoub devient souvent proverbe, idiome que l’on cite quand on veut éclairer une situation incertaine ou donner force et crédit à son verbe. L’autre facteur qui protège l’héritage de Matoub des fossoyeurs c’est la façon avec laquelle il a, de son vivant, organisé une carrière qui se fond avec son combat, lui-même assimilé à son existence. Dès qu’un individu ou un groupe s’emploie à dévoyer sa parole, une de ses décisions ou ses prises de position, une personne sortie de nulle part poste une photo, une vidéo ou un témoignage écrit pour rétablir le rebelle dans ses droits moraux et politiques. L’avocat de Matoub c’est le peuple. C’est lui qui disait avec son humour acide et son propos tranchant : « Je partage une seule chose avec les Musulmans. Je n’ai pas mis d’intermédiaire entre moi et mon public. » Bien lui en a pris.

Aujourd’hui c’est ce public qui perpétue son œuvre. Les commémorations qui se répartissent dans le monde entier ne répondent ni à un ordre centralisé, ni à une volonté particulière. Chacun se sent en droit et en devoir de faire revivre le barde dans ses vérités. Les manifestations de ces fidélités sont spontanées et sincères. Ce qui leur donne leur originalité et leur force, les rendant difficilement cernables par des intentions malveillantes.

Témoin intemporel

Matoub a chanté sur tous les sujets, sans calcul ni appréhension. Son répertoire traite des questions sociétales et des problèmes politiques qui ont agité son époque ; c’est pourquoi son œuvre imprime dans tous les domaines. L’artiste a anticipé même sa mort et les éventuelles manipulations dont elle pourrait être l’objet : 

Ass agi lliγ azekka wissen

Nniγ ayen ẓriγ d wayen ṭtwaliγ

Cfut di targa ma γliγ

D anzaw ara wend iswlen

Vivant aujourd’hui, demain qui sait

J’ai témoigné de ce que j’ai vu et entendu

Rappelez-vous, si je disparaissais dans un marigot

Mon âme vous interpellera. 

La reconnaissance à l’homme et au poète est exprimée par des actes ordinaires comme le rappel des épreuves de sa vie, des activités sportives où jeunes et vieux se retrouvent au stade pour rappeler son attachement à la Jeunesse sportive de Kabylie ; d’autres, comme ce jeune, qui n’a jamais connu son idole, mettent leur âme dans l’interprétation de la chanson dédiée à Boudiaf au point de susciter émoi et trouble tant la ressemblance du timbre de la voix est sidérante. Un artiste en herbe peint le rebelle sur le mur d’une maison qui donne sur l’entrée de son village. Ailleurs, des amateurs de théâtre se retrouvent dans une salle de spectacle pour jouer des saynètes où Lounès réagit aux drames actuels…Car pour tous il n’est pas mort. Il observe et juge les temps qui passent avec les faiblesses des lâches et les vertus des preux. Comme dans toute célébration exceptionnelle il y a des excès. Certains entrainés par leur émotion allèguent qu’ils apprécient un philosophe. Matoub n’aimait pas l’obséquiosité. Il était un chantre d’exception qui a voué sa vie à son art. Faisons vivre son don. Cela suffit pour honorer son parcours et animer notre devoir de mémoire.    

La diversité des manifestations et les passions qui les ont caractérisées viennent rappeler une donnée rare mais toujours vérifiée dans l’histoire des hommes : les artistes qui ont mis leur talent et leur humanité au service de leur peuple ne meurent jamais. Lounès Matoub est de ceux-là.

Dimanche au stade Hebert situé dans l’arrondissement de Saint-Léonard à Montréal. Match intergénérationnel organisé à la mémoire de Lounès Matoub

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