L’antagonisme et l’instrumentalisation des valeurs démocratiques. La fin d’une époque ? Par Myassa Messaoudi*
Si la fameuse guerre contre le terrorisme a renforcé les dictatures au lieu de les fragiliser, la guerre en Ukraine est en passe de légitimer le mal autoritaire et de le globaliser. Presque tout le monde ment, tergiverse, et s’engouffre dans le mercenariat sans foi ni loi. Presque tout le monde se livre à une propagande rustre. Les médias d’information en continu coulent comme des vieilles canalisations. Ils commentent tous azimuts, à chaud et précipitamment les nouvelles du monde pour meubler leurs interminables diffusions. Elles tournent en boucle les émissions, sans recul, bruyamment pour dire et se contredire effrontément. Mettre au même niveau un fait divers, un événement people, et une information susceptible de modifier le cours de l’humanité. La machine est goulue et ne fait pas dans la fine analyse. Pas le temps.
Quand ces médias en continu ne sont pas entrain de vendre la guerre et la destruction des acquis sociaux, c’est le racisme gras et les faits divers qui prennent le relais. Ils se font les chantres des régimes autocratiques religieux ou des milliardaires qui les instituent. C’est ainsi sur tous les continents. Le mal est partout.
D’accord, les systèmes médiatiques occidentaux, grâce à une certaine liberté d’expression et aux médias alternatives, fonctionnent mieux que ceux des pays émergents, mais pas de quoi pérorer, ni de s’auto ériger en modèle et dispenser des leçons. Le métier connait de sérieux revers et gênes.
Les politiques ne représentent plus que leurs bailleurs. Les médias mainstream, en service après-vente, finissent l’extorsion des consciences. Tout est bon pour brouiller les cartes et se prétendre meilleur que l’autre dans ce qu’il a de pire.
Dissidence et soutien étranger
Les démocrates des pays émergents qui s’accrochent mordicus au soutien des pays occidentaux, y laissent tous les jours un peu de leur crédibilité auprès de leurs concitoyens. Se détachent de leurs bases locales. C’est une faillite générale et absolue traînant dans sa chute tout espoir d’évolution démocratique pacifique. Les dites pressions de ce que fut appelé « la communauté internationale », appartiennent déjà au passé. Qu’elle gagne ou perd face à la Russie, l’Europe occidentale est déjà mise à mal. Des pays sans dissuasion militaire propre. Incapables d’assurer leurs intérêts nationaux. D’évoluer et d’élaborer des systèmes de coopération économiques équitables dans des zones, immigration et histoire obligent, à forte résonance sur leurs territoires. Leur capital crédibilité en matière de valeurs émancipatrices ayant été dissipé dans les assauts des faucons outre atlantique.
Son élite industrielle a préféré délocaliser ses usines à l’autre bout de la planète. Dans la lointaine Asie. Les conséquences sont incommensurables. En plus d’avoir perdu leur savoir faire dans de nombreux domaines, d’avoir généré du chômage localement, et de s’être rendu dépendante dans de nombreux domaine technologiques, l’Europe occidentale a renforcé son inféodation à la puissance américaine et précipité l’émergence de l’ordre multipolaire. Comment peut-elle dans ce cas, et avec si peu de leviers, être d’un secours quelconque pour telle ou telle cause. Tel ou tel autre pays.
Dissidence algérienne et organismes de défenses des droits de l’homme
La dissidence algérienne, nous dit-on n’est pas au rendez-vous pour soutenir tel ou tel militant ou journaliste. Mais beaucoup rétorquent, pourquoi justement un tel et pas un autre. Comment s’opèrent les choix d’internationalisation ? Qui décide que telle personnalité mérite plus de soutien qu’une autre ? Sous quels critères ? La langue ? L’idéologie ? Le sexe ? La religion ? Les valeurs démocratiques universelles étant devenues synonymes d’ingérence et de chaos pour beaucoup de nos concitoyens, les réponses peinent à convaincre.
Néanmoins, il est fort probable que la fébrilité ou l’absence de soutien aux activistes et aux journalistes incarcérés ait un rapport avec la perte de crédibilité des ces organisations de défense de droit de l’homme et d’expression. Et non pas envers la personne des journalistes et militants. Le lien entre certaines associations prétendument progressistes et les interventions militaires qui n’ont laissé que des champs de ruine est patent dans les mémoires. Pour beaucoup, ils sont le maillage qui précède la guerre. Le casus belli qui légitime les agressions. Bien entendu les régimes autoritaires usent de cet argument, et forcent les traits pour isoler les activistes, et dissuader toute rébellion. Ils pointent les ravages des guerres pour la démocratisation qui ont renvoyé des contrées entières à l’âge de pierre. Des dictateurs sanguinaires, par comparaison, paraissent aujourd’hui pour les populations « délivrées », comme ayant été plus justes et bienveillantes. Un comble, car c’est justement leurs faiblesses et folies mégalomaniaques qui ont permis les invasions. Leur étroitesse de vue, leur déni de la diversité, et leur quête pathétique à enrayer toute opposition qui ont rendu leurs pays colonisables.
On ne peut donc échapper au constat fatidique. Celui de la destruction des rêves d’émancipation les plus nobles, parce que certains en ont usé pour servir de sombres desseins. Si l’usage de faux en politique était appliqué, ils en répondraient juridiquement devant l’humanité toute entière. Ils ont détruit des valeurs fondatrices comme la solidarité interhumaine et l’espoir d’aller mieux. Et c’est cela que sanctionnent les peuples aujourd’hui qui se sentent trahis. Ils ne sont ni dupes, ni crédules, mais en colère. Ils connaissent mieux que personne les déviances de leurs dirigeants, mais les préfèrent au chaos définitif du mensonge émancipateur. A la régression néocoloniale. Même coupables de tous les maux, l’humiliation d’un chef d’Etat, chez lui, par un étranger est toujours un acte d’affront difficile à rayer de la mémoire traumatique d’un peuple.
Défendre les libertés et non des hommes ou des femmes triés sur le volet doit prévaloir. Et tout le monde et sans exception a droit au chapitre de la dénonciation à l’échelle mondiale. A remarquer aussi que s’il s’agit de défendre la liberté d’expression, il y’a pas mal à œuvrer aussi chez soi. Monopoliser les médias par la privatisation, c’est invisibliser toute contradiction. C’est défendre le point de vue des puissants qui martèlent leur doxa en continu. C’est influencer l’opinion au seul bénéfice des copains. Pourquoi cette forme d’atteinte à la liberté d’expression n’est jamais dénoncée par les associations de défense de la liberté d’expression ?
A force de créer des diversions médiatiques dangereuses, les médias d’information en continu poussent à une guerre civile, que d’aucun considèrent déjà comme agissante en basse tension. La montée de l’extrême droite est la conséquence directe de ce monopole médiatique détenu par les oligarchies.
Devrait-on occulter les désastres de l’instrumentalisation des aspirations démocratiques qui a fini par les rendre suspectes ? Devrait-on nous aveugler nous-mêmes de ce qui s’est passé dans les pays « démocratisés » à coup de drones et d’islamistes ? Où sont les démocrates et les progressistes promis dans les pays libérés des jougs dictatoriaux par l’Otan ? On les cherche encore en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, ou au Soudan. Pour ne parler que des pays musulmans. En Afrique, la situation n’est guerre mieux.
En fait, les peuples ne savent plus à quel saint se vouer. Qui croire ? Qui est prêt à s’allier avec le diable pour tomber un régime ou un système, mais sans plan B ? Qui est patriote et qui se livre à un calcul hasardeux aux conséquences meurtrières. Doit-on continuer de croire en la fable de la normalisation avec les extrémistes, les meurtriers d’hier pour en faire des alliées politiques aujourd’hui ? L’Europe a dû lutter après le débarquement en 1944 pour que l’Amérique ne la coiffe pas d’anciens vichystes et nazis. Ils ont résisté, et nous on veut prendre les mêmes et recommencer. Normaliser l’abjection. Nous ne sommes pas amnésiques à ce point tout de même. Pas aussi cancres pour redoubler nos erreurs passées indéfiniment. Si l’illusion était possible hier, nous disposons des dramatiques preuves pour ne plus marcher sur cette voie.
On sait reconnaître les petits opportunistes qui n’excellent que dans le retournement de vestes et d’opinion, mais on ne sait pas encore déceler ceux qui ont vendu leurs âmes à cet ordre infâme qu’est la globalisation des malheurs. Des millions de déplacés, des guerres sans fin, de la pollution sous toutes ses formes. Qui juge les responsables qui ont mis toute l’humanité en danger avec leurs technologies de guerre ou idéologies ? Penserait-on un jour à interroger la responsabilité de L’Arabie Saoudite dans le drame algérien qu’est la décennie noire ? Pourtant, ils nous doivent des explications voire même des réparations. Là aussi, nous avons subi une tentative d’invasion que nous refusons de nommer. Que leurs sbires et agents agissent encore sans qu’on ose les identifier clairement pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des traitres à la nation.
L’Algérie et l’absence de débat public
Le pouvoir algérien en détruisant le peu de liberté d’expression qui restait s’est tiré lui aussi une balle dans les pieds. Il a transformé le débat public en rixes entre youtubeurs sur la toile. Sur les réseaux sociaux, il est possible d’affirmer ses balivernes sans contradicteurs. On peut s’y soustraire à toute éthique et règles journalistiques. Une clochardisation en règle du débat politique. Qu’en sortira-t-il à part davantage de régression et de dangers patents en perspectives. Avec quelle moralité on sort de ces substituts creux à la réflexion. La délation, la traitrise, les chantages aux mœurs, les intimidations, et j’en passe. En final, on a poussé tout un peuple dans les bras du pire. On n’ose pas imaginer le niveau de conscience et d’instruction d’une génération entière poussée à boire dans les infâmes sources de l’information. On perd la jeunesse du Hirak peu à peu… Un gâchis car ils représentent un ressort pour sortir le pays de sa léthargie. D’où l’urgence de libérer les détenus d’opinion, et de leur garantir un cadre de travail légal et sans danger.
En conclusion, les peuple n’ont jamais été aussi seuls, aussi abandonnés à leurs sorts par les hommes marchands devenus chefs d’Etat. Sans vision que celle de s’en mettre plein les poches. Ils rivalisent en nombre de procès et méfaits dans les tribunaux. Quel spectacle nous offre les démocraties occidentales aujourd’hui ? En quoi sont-elles supérieures moralement à leurs ennemis désignés ? Des candidats à la magistrature suprêmes accusés de viols, de détournements d’argent, de prises d’intérêt illégales, d’enrichissement personnel, de fraudes électorales. Certains se barrent même, les dossiers ultras confidentiels de l’Etat sous le bras. A quelles fins que celles de faire pression sur ses adversaires en dehors des idées. Bref, rien de mieux que ce qui se passe déjà chez nous.
Nous sommes devenus lamentablement égaux. L’Occident, au lieu de nous élever à ses idéaux libertaires a plongé dans nos régressions. Peut être que maintenant nous saurons mieux combiner nos efforts pour sauver les valeurs universelles. L’homme réellement civilisé. Il n’est pas trop tard, bien au contraire car le jeu politique n’a jamais été aussi débarrassé de ses faux habits.
*Myassa Messaoudi, Ecrivaine