Algérie. Démantèlement de la JSK : au-delà du foot
Les responsables actuels de la Jeunesse sportive de Kabylie, la JSK, ne sont pas peu fiers d’avoir évité la relégation à…l’équipe la plus titrée d’Algérie. « Naguère les supporters de ce club emblématique d’une région qui fut à l’avant-garde de tous les acquis politiques d’après-guerre râlaient quand leur team manquait le titre ou, à tout le moins, le podium, » s’insurge cet artisan bijoutier qui a façonné des centaines de pins aux couleurs du club kabyle, flanqués du « Z » tifinagh, lettre centrale de l’alphabet berbère qu’arborent les militants sur l’ensemble du sous- continent nord-africain.
Au-delà du football
Singulière à plus d’un titre, cette équipe fut longtemps le réceptacle de la revendication identitaire amazighe avec tout ce que cela implique comme production artistique à sa gloire et contestations politiques annexes. C’est sa galerie qui infligea le premier outrage populaire à Boumediène quand il fut conspué en tant qu’assassin au stade du 5 juillet lors de la finale de la coupe d’Algérie remportée par la JSK en 1977.
L’ensemble de la communauté kabyle, diaspora comprise, suit et supporte un club qui est bien plus qu’une représentation sportive. On a coutume de dire, avec quelques raisons, que cette formation est le Barça d’Algérie voire d’Afrique du nord. Et, pour le régime, c’est bien ce qui fait problème.
Le défunt Gaid Salah qui avait sévèrement sanctionné les porteurs de l’emblème amazigh avait décidé de réprimer tout ce qui réfère au questionnement de la problématique identitaire. Son héritage a été entendu et scrupuleusement respecté. En Kabylie, la vie sociale et culturelle, les programmes économiques et les nominations administratives sont dictées par le degré d’allégeance, c’est à dire le reniement de soi, garantie de la soumission d’une région considérée comme un danger national. Et l’anti-kabylisme décomplexé ( voir adn-med du 3 juillet ) fait florès, sans que les autorités judiciaires ne trouvent à y redire.
Prurit arabo-islamique
Pour le pouvoir actuel, l’arabo-islamisme le plus sommaire est la source de toute décision politique, ce qui implique et exige de neutraliser l’espace physique et culturel de ce qui fut et reste un haut lieu de production et d’animation de la pensée autonome. Et les moyens mis en oeuvre sont à la mesure du péril. Dans cette entreprise de nivellement par le bas, la JSK constitue un objectif symbolique, sportif et politique de taille.
Le nom attribué au nouveau stade de Tizi Ouzou a été l’objet d’âpres manipulations. Les jeunes Kabyles et la majorité des élus locaux avaient proposé le nom du barde kabyle Matoub Lounès. Les gorges profondes en décidèrent autrement. En donnant le nom de Hocine Ait Ahmed à cette enceinte, les maitres d’Alger ont fait d’une pierre deux coups. Ils ont privé la Kabylie d’honorer l’artiste qui l’a le plus assumée et célébrée et assigné à ses origines kabyles un dirigeant qui a passé sa vie à s’en affranchir.
L’opération de la dissolution politique de la JSK a été minutieusement préparée.
Le précédent président du club, Chérif Mellal, a réussi l’impossible. Malgré les obstructions d’acteurs douteux, encouragés par les officines du pouvoir ; en dépit de parti pris d’arbitres qui ont révolté le public, il conduit son équipe à la finale de la coupe d’Afrique des nations. Les restrictions budgétaires et les tracas administratifs auront été contre-productifs. La diaspora s’est mobilisée pour contribuer au financement des dépenses occasionnées par la compétition et en sensibilisant chaque village, le président Mellal a créé une dynamique populaire qui a étouffé dans l’oeuf les manœuvres sous-terraines, amplifié la solidarité et la vigilance citoyennes autour de l’entité JSK.
Qu’à cela ne tienne. Mellal sera jeté en prison et une escouade d’agents des services de renseignement, et accessoirement hommes de paille des Kabyles de service, sera intronisée à la tête du club.
Rouleau compresseur
Sitôt le putsch sportif consommé, les autres décisions suivent. Les activités des cafés littéraires, lieu d’échanges et de débats libres, sont successivement interdites. Les salons du livre qui essaiment dans les bourgs sont reportés pour des « raisons techniques » ; même les associations de randonneurs qui valorisent les sites – et donc, forcément, les évènements qu’ils ont abrités – sont soumises à des surveillances draconiennes voire des dissolutions.
Pour faire bonne mesure, des expatriés qui rentrent en Algérie se voient empêchés de repartir vers le pays où ils ont laissé famille et travail. C’est que la connexion Kabylie-émigration est une donnée socio-politique établie. Elle fut de tout temps une sérieux problème pour le pouvoir algérien dont les services de renseignement viennent d’intégrer la diaspora dans la lutte anti-subversive.
Pour beaucoup d’Algériens modernistes, Kabyles ou non, le démantèlement de la Jeunesse sportive de Kabylie est le signe le plus visible d’une stratégie de répression de masse menée contre une région qui fut le berceau des luttes républicaines.
L’attaque frontale menée contre cette formation sportive révèle la menace qui pèse sur la perspective démocratique esquissée à la Soummam; autant dire que c’est tout le destin nord-africain qui est de nouveau mis sous hypothèque.