EDITORIAL. Algérie : cap à l’est. Et après ?
A peine un mois après une visite d’Etat en Russie diversement commentée, le président algérien fait le même voyage en Chine. Exit Paris. Fournisseur privilégié en armement pour le premier pays et client de premier ordre chez le second, ces deux voyages auraient trouvé leur pleine et entière justification dans un monde apaisé. En effet, Moscou avait soutenu la guerre de libération et Pékin avait reconnu le gouvernement provisoire de la république algérienne, le GPRA, quelques semaines seulement après sa mise en place en septembre 1958. Sauf que ces deux déplacements successifs surviennent dans un contexte algérien incertain et un environnement international largement dégradé.
Assurance vie et clientélisation
Au plan interne, Abdelmadjid Tebboune, qui ne renonce pas à son deuxième mandat, sait que l’adhésion populaire lui est interdite ; la participation à la dernière élection qui l’a porté à la présidence n’a pas dépassé les 8%. Encouragé par le président du Sénat, le patriarche Salah Goudjil ( 94 ans ), il veut définitivement arrimer l’Algérie à l’agrégat de pays autocratiques que cherchent à satelliser la Chine et la Russie, deux nations qui représentent pour nombre de dirigeants du Sud le modèle qui convient le mieux à leur conception et pratique du pouvoir. S’immerger dans ce conglomérat est une assurance vie dès lors que les abus d’autorité n’y sont ni dénoncés ni, a fortiori, sanctionnés. Une telle protection vaut bien que l’on s’accommode des répressions infligées aux Ouighours auxquels sont distribués des versions du Coran expurgées des versets que l’empire du Milieu juge incompatibles avec sa doxa. Il est vrai qu’Alger n’est pas le seul acteur à avaler une amputation qui, commise ailleurs, aurait provoqué fureurs et tempêtes dans les rues du monde musulman.
Au plan international, Pekin et Moscou s’emploient à rassembler le plus de régimes sous leurs bannières pour, disent-ils, imposer un rapport de force à l’Occident et en finir avec les institutions de Bretton-wood qui dominent le monde depuis la seconde guerre mondiale. Une idée largement partagée, y compris dans les rangs des nations démocratiques. La récente initiative française lancée pour un « Nouveau partenariat financier » en faveur de l’environnement et contre la pauvreté n’étant que l’une des manifestations d’une réflexion qui agite désormais les grands centres de décision de la planète à la recherche d’une alternative à un univers économique que l’on trop tardé à réformer.
D’où l’idée russe et chinoise de fédérer des nations au-delà des BRICS qui, s’ils constituent une masse démographique conséquente et une puissance financière qui peut être conjoncturellement significative, restent un groupe instable voire fragile du fait des histoires et des doctrines différentes sinon opposées de ses membres. L’Inde regarde avec une vigilance et une méfiance non dissimulées les appétences chinoises sur l’Indopacifique ; une zone où elle manœuvre avec les forces armées des nations occidentales. Paris a d’ailleurs fait de Narendra Modi l’invité d’honneur pour le défilé de ce 14 juillet.
Doutes et divergences
Cet alignement assumé sur Moscou et Pekin ne fait pas l’unanimité à Alger. Des voix s’élèvent pour relever la précarité diplomatique dans laquelle peut se retrouver le pays dès lors qu’il prend fait et cause pour un bloc aux orientations sans nuance, qui plus est en pleine gestation. Un tel positionnement faisait déjà débat parmi des commis de l’Etat et, pour préserver l’avenir, des institutions civiles et militaires gardent ouverts des canaux spécifiques avec leurs vis-à-vis des capitales occidentales.
L’invitation lancée par le secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken à son homologue algérien Ahmed Attaf – rendue publique au moment de l’annonce de la visite de Tebboune à Pékin – est interprétée par de jeunes cadres et experts algériens comme un appel à ne pas commettre l’irréparable en s’engageant plus que de raison dans un camp ouvertement hostile à l’Ouest. La proposition de sénateurs américains démocrates et républicains d’envisager des sanctions contre Alger vient ajouter de l’eau au moulin des frondeurs. Depuis la mutinerie avortée lancée par le chef des milices Wagner contre Moscou, les discussions virent à la critique acerbe dans les bureaux et les diners algérois. Le sort du pouvoir poutinien fait l’objet d’âpres spéculations où l’on n’hésite pas à souligner l’imprudence d’avoir lié le destin algérien à un attelage aussi aléatoire.
La cohésion et la stabilité du pouvoir algérien se jouent aussi sur le terrain ukrainien.