Tebboune à Pékin. Marier économie et idéologie : un exercice délicat
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune, accompagné par une importante délégation composée d’une dizaine de ministres et de plus de 150 hommes d’affaires, a entamé lundi une visite d’État en Chine, avec des enjeux économiques, diplomatiques et géopolitiques qui confirment des choix revendiquant une intégration assumée de l’Algérie dans le bloc des pays du sud gravitant autour de la Russie et la Chine.
Net glissement géopolitique
Cette visite fait en effet suite au voyage de M. Tebboune effectué le mois dernier en Russie, partenaire et fournisseur militaire de longue date. Avant d’atterrir à Pékin, le président algérien a passé deux jours au Qatar, un pays sur lequel Alger, sans relais d’envergure dans la péninsule arabique, compte pour structurer avec la Turquie un environnement politico-idéologique à même de faire pièce à une Arabie saoudite hyperactive. Ces considérations géostratégiques n’ont pas occulté, du moins dans les déclarations, les dossiers économiques.
19 accords et mémorandums ont été signés par l’Algérie et la Chine. Ils concernent des domaines aussi stratégiques et variés que les finances – un dossier qui figure en bonne place dans l’agenda des BRICS -, les mines, l’industrie, la production pharmaceutique, l’habitat, les télécom… Si ces accords et mémorandum, restent des projections qui demandent à être traduits dans les faits, leur nombre et les secteurs concernés attestent de la volonté d’Alger de donner une nouvelle impulsion à des relations algéro-chinoises qui font déjà de l’empire du Milieu son premier fournisseur devant la France et l’Italie. Outre la très remarquée et controversée Grande mosquée d’Alger, la Chine a participé à la réalisation d’importants projets dont des infrastructures autoroutières ou portuaires.
Un basculement qui aliène l’économie à la nouvelle doctrine.
Adhésion aux BRICS : le graal
Plus immédiatement, M. Tebboune est à la recherche d’un soutien plus affirmé de la Chine à l’adhésion de l’Algérie aux BRICS qui organisent leur prochain sommet du 22 au 24 août en Afrique du sud.
L’adhésion aux BRICS est devenue une priorité diplomatique pour l’Algérie qui sait pouvoir compter sur le soutien de la Chine. Un soutien qui, s’il est d’importance, reste aussi tributaire des autres membres de ce groupe dont l’Inde qui s’en tient aux exigences indexées sur les paramètres économiques alors que Moscou et Pékin privilégient une approche plus idéologique pour l’ouverture des BRICS, quand bien même les économies des pays postulants seraient-elles en deça des critères requis pour espérer obtenir leur adhésion.
Alger sait que le gaz ne peut constituer une garantie permanente de sécurité diplomatique. Dans un monde qui se tend, il faut habiter un milieu qui vous reconnaisse comme acteur qui compte. Le mouvement des non-alignés étant à l’agonie, les BRICS restent le seul espace où le pouvoir algérien peut espérer avoir soutien et protection. « Du point de vue de la mécanique de survie du pouvoir, la démarche a sa logique. Mais si l’on se place dans la perspective de la promotion de la valeur Algérie, il y a quelques raisons d’être inquiet. On ne quitte pas sans risque son environnement géographique, culturel et économique immédiat du jour au lendemain. » explique cet ancien conseiller d’Ali Kafi quand celui-ci présidait le Haut Comité d’Etat. Et de déplorer le fait que des leçons n’aient été tirées des emballements politiques qui ont marqué les dernières décisions algériennes. « Il n’y a qu’à voir le fiasco de la fermeture du gazoduc Maghreb Europe à travers lequel, l’Espagne approvisionne maintenant le Maroc. On peut dire la même chose de l’éradication du français qui est destinée à donner du lest aux islamistes et rassurer les tuteurs étrangers que la détermination d’Alger à s’opposer à l’Occident. Est-ce utile ? est ce prudent ? Si Poutine perd sa guerre en Ukraine, les BRICS connaîtront un sérieux handicap ; mais la Russie et la Chine survivront. Que deviendra l’Algérie si la matrice où elle a migré venait à se dissoudre ou si elle ne parvient pas à faire valoir le rapport de force qu’elle ambitionne d’établir ? »
Un aller simple
En apparence, la cohérence de la diplomatie algérienne est en effet incontestable. En rompant avec le traditionnel équilibre conjuguant le tropisme post-soviétique et l’entente cordiale avec l’Occident, notamment l’Europe, le régime donne des gages forts aux pays qui recrutent pour mener à terme leur projet d’antagonisme avec les nations occidentales. Pour faire valoir cette rupture, Abdelmadjid Tebboune n’a pas versé dans la nuance. Et s’ils n’ont pas atteint la même exaltation que ceux délivrés à Moscou à l’endroit de Poutine, les mots qu’il a adressés à son homologue chinois ne sont pas moins enthousiastes quant à la volonté algérienne de porter sinon à l’exemplarité du moins à l’excellence les relations bilatérales des deux pays fondues dans le nouveau monde qu’appellent de leurs vœux Moscou et Pékin: « La Chine est notre ami le plus important », a déclaré le chef de l’Etat algérien qui avait déjà soutenu que c’était grâce à l’union soviétique puis la Russie que l’Algérie avait préservé sa souveraineté. Un empressement auquel le président chinois, pragmatique, a répondu que « La Chine est prête à travailler avec l’Algérie pour renforcer les communications stratégiques, approfondir les échanges et la coopération et assurer le développement constant et à long terme du partenariat stratégique global Chine-Algérie », lors de la rencontre qu’il a eue avec le président algérien au Palais du Peuple.
Depuis 2014, l’Algérie et la Chine sont liées par un partenariat stratégique que cette visite vise à renforcer par un positionnement géopolitique plus direct. Un engagement qui ne fait pas l’unanimité à Alger.