Footballeurs en Arabie saoudite : une vitrine, pourquoi faire ?
Après Cristiano Ronaldo, ce fut Benzema suivi par Ngolo Kanté et maintenant Riyad Mahrez qui optèrent pour l’Arabie saoudite. D’autres stars du ballon rond ont été recrutées par les richissimes clubs saoudiens et on peut supposer que le mouvement va se poursuivre et s’amplifier.
Polémique
D’origine portugaise, le premier joueur avait servi de tête de gondole pour illustrer la volonté de l’Arabie saoudite d’investir dans un sport devenu un vecteur essentiel à la promotion des pays souhaitant délivrer un message d’ouverture sur le monde. Le fait que la grande majorité des autres joueurs soient de confession musulmane a relancé le débat sur les causes de cette campagne et donc les intentions des dirigeants saoudiens. Certains internautes n’hésitent pas à déduire que, cette fois encore, la puissance financière de Ryad va servir à établir un pôle d’influence favorable aux thèses wahabistes, comme cela s’était produit dans les années 70 quand des sommes colossales furent débloquées pour construire des mosquées en Afrique puis en Europe ou financer des centres d’information avec des fonds documentaires aux orientations salafistes affirmées.
Cette interprétation s’est rapidement propagée dans les réseaux sociaux, suscitant une polémique qui retomba assez vite. Des déclarations comme celle de Benzema qui affirma être parti en Arabie saoudite pour, entre autres, des raisons religieuses ont contribué à nourrir les arguments des tenants d’une stratégie saoudienne favorable à une reconquête salafiste sinon du monde du moins de l’aire musulmane.
Orientations actuelles de Ryad
L’offensive saoudienne des années 70 s’inscrivait dans un contexte géopolitique dominé par la guerre froide. Il est maintenant établi que l’islamisme, encouragé par les USA, avait vocation à servir de sas d’amortissement de l’extension des idées communistes qui avaient conquis nombre de contrées du Sud. Depuis la chute du mur de Berlin en novembre 1989, mais de façon encore plus nette après l’attaque des Twin Towers en septembre en 2001, les rapports de force ont considérablement changé. Et cela a impacté les positionnements des pays du sud.
L’Arabie saoudite entend peser sur la scène internationale mais le levier de cette ambition n’est plus le wahabisme ni même, serait-on tenté d’avancer le religieux, quand bien même la Mecque continuerait-elle à attirer autant de fidèles pour le pèlerinage. Le tout puissant prince héritier Mohamed Ben Salman, MBS n’a-t-il pas osé déclarer que « 80% des hadiths étaient des faux » ?
Du point de vue sociétal, et tout en étant strictement contrôlées et progressives, les décisions prises par MBS convergent vers une vision moins rigoristes – notamment en ce qui concerne les femmes- du moins si l’on s’en tient aux différents projets concernant les lieux de loisirs ou d’innovation comme la ville intelligente Neom programmée avec l’assistance d’Israël.
Mais l’indicateur le plus significatif dans cette mutation est révélé par le roman national qu’affiche désormais Ryad. L’histoire du royaume est construite à travers la famille des Al Saoud au détriment du wahabisme effacé de la nouvelle narration.
La même volonté d’autonomie s’affirme sur la scène internationale. L’invitation du président Zelinski au sommet de le ligue arabe atteste que, tout en osant une timide volonté d’émancipation de la tutelle américaine, Ryad n’entend pas se laisser aspirer par le souffle anti-occidental que proposent Moscou et Pekin. Un exercice difficile dans la mesure où il faut moderniser une société archaïque et se poser au centre d’un monde qui se bipolarise à nouveau. D’où la démarche consistant à réduire les hostilités régionales qui s’est manifesté par un spectaculaire rapprochement avec Téhéran.
Pari audacieux
Voilà qui nous éloigne du football. Mais le propos était parti de la finalité des faramineux contrats par lesquels l’Arabie saoudite attire les vedettes des stades.
Depuis maintenant trois mois, les joueurs signant dans des clubs saoudiens ne font plus allusion à leur religion, y compris quand ceux-ci sont pratiquants, ce qui n’est pas le cas de tous. On ne sait pas si cette retenue est le fait d’une instruction des autorités saoudiennes ou si elle émane des agents des sportifs.
Une chose est cependant claire. La coupe du monde 2022 organisée par le Qatar n’est pas étrangère à la volonté de Ryad de ne pas laisser ce petit Etat – terre nourricière des Frères musulmans avec la Turquie – préempter la perspective de la rénovation musulmane. MBS dont le pays abrite les lieux saints de l’islam a la légitimité pour engager un mouvement de fond pour une nouvelle approche du culte ; alors que les Frères musulmans utilisent le soft power pour conquérir ou conforter leur pouvoir sans rien changer au dogme.
Reste à savoir jusqu’où ira Ben Salman dans la réforme et, surtout, quels seront la nature et le nombre des obstacles qu’il lui faudra vaincre pour atteindre des objectifs qui, s’ils ne sont pas définitivement énoncés, sont suffisamment audacieux pour susciter ressentiments et colères chez ceux qui ne conçoivent pas de cité sans la soumission des esprits ?