Tebboune chez Erdogan : continuité géopolitique..Mais pas que

Le président algérien est en visite officielle à Ankara où l’agence de presse officielle, l’APS rapporte que les entretiens qu’il a eus ce samedi « avec son frère M. Recep Tayyip Erdogan » ont été « élargis aux membres des délégations des deux pays.»

Basculement global

Venant après les voyages de Moscou, Doha et Pekin, celui d’Ankara  confirme un engagement résolu du pouvoir algérien dans le regroupement des pays du Sud qui se profile autour de la Russie et de la Chine. La recherche de la proximité politique avec ces deux puissances est conjuguée par une volonté assumée d’une coopération économique stratégique qui rompt avec une tradition de diversification méticuleusement entretenue par l’Algérie qui, si l’on excepte le domaine de l’armement où la Russie s’est toujours taillé la part du lion, a veillé à équilibrer son marché entre les pays de l’est et l’Occident, y compris sous le régime du colonel Boumediène. Il est vrai qu’à l’époque, la Chine n’était pas le géant mondial qu’elle est devenue avec l’arrivée de Deng Xiaping au pouvoir.

La composition de la délégation qui accompagne Tebboune en Turquie illustre cette détermination à privilégier les partenariats avec le nouveau pôle que s’agrège autour des BRICS auxquels l’Algérie aspire à adhérer ; un conglomérat pour lequel la Turquie, qui tient à ménager l’ensemble de ses clients et fournisseurs, ne manifeste pas, pour l’instant, d’intérêt particulier. En effet, les ministres des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger, Ahmed Attaf, des Finances, Laaziz Faid, de l’Energie et des Mines, Mohamed Arkab, de la Poste et des Télécommunications, Karim Bibi Triki, de l’Industrie et de la Production pharmaceutique, Ali Aoun, du Commerce et de la Promotion des exportations, Tayeb Zitouni, de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville, Tarek Belaribi, des Travaux publics et des Infrastructures de base, Lakhdar Rakhroukh, et de l’Economie de la connaissance, des Start-up et des Micro-entreprises, Yacine El-Mahdi Oualid sont du voyage. Cela fait beaucoup. Des départements qui ne font pas partie des secteurs où la Turquie est déjà présente en Algérie sont impliqués dans cette visite. 

La tentation turque

L’ampleur de cet aéropage augure d’une possible ouverture de l’économie algérienne vers de nouveaux domaines aux opérateurs turcs. 

C’est que la tentation turque est forte chez Abelmadjid Tebboune. L’autoritarisme du Réïs répond à sa conception du pouvoir et le chef de l’Etat algérien ne cache pas son intérêt pour cette forme de gestion où coagulent la religion, les affaires et le rappel d’un passé ottoman controversé en Algérie mais sur lequel le régime sait rester suffisamment vague pour ne pas susciter trop de débats sur la Régence: des échanges qui seraient autant de contrariétés pour la relation fusionnelle que s’emploie à construire Tebboune avec son homologue turc. 

En juillet 2021, le président algérien, auquel les Algériens ne connaissaient pas de passion cultuelle particulière, faisait son coming out : «  Cet islam politique ( turc, NDLR ) ne me gêne pas », confia-t-il à des journalistes. Depuis, la conversion est allée crescendo. Les dirigeants politiques qu’Abdelmadjid Tebboune a le plus reçus sont ceux du parti islamiste HMS, (Haraket Mujtamaâ Silm, mouvement pour la société de paix ) appartenant à la tendance des Frères musulmans, managée par la Turquie et le Qatar ; un Emirat où vient de se rendre le chef de l’Etat. 

Demeure une inconnue qui hante les observateurs de la scène algérienne. Sur quelle base sociale et politique s’appuie le président algérien pour lancer le pays dans une projection aussi radicalement caractérisée ? On ne sache pas que cette option ait fait l’objet d’une quelconque discussion préalable dans les arcanes du système. Mais il apparait que depuis maintenant bientôt deux ans, la concertation ne soit plus une pratique répandue dans le sérail. L’invraisemblable improvisation qui a prévalu sur l’éradication de la langue française est l’une des illustrations les plus patentes d’un surprenant pouvoir personnel que rien ne semble pouvoir tempérer.