Alger fulmine encore contre Paris
« France 24, cette chaine poubelle », écrit élégamment ce jeudi l’agence de presse officielle, APS dans une longue dépêche. Une satire digne d’un communiqué de commissariat politique des régimes staliniens des années 60.
Fixation complotiste
Le motif de cette furie : le traitement réservé par la télévision française aux feux de forêts qui ont ravagé le nord du pays cette semaine. Selon l’APS, la chaine française aurait systématiquement focalisé sur l’Algérie, oubliant que les incendies ont embrasé tout le pourtour méditerranéen. « France 24, en ciblant l’Algérie, n’a pas respecté les règles élémentaires de déontologie en cassant tous les codes et règles de l’information » dénonce, sans rire, l’agence de de presse algérienne.
Un traitement assimilé à une attaque contre la nation programmée par l’Elysée via « cette chaîne du mal, du chaos et de la manipulation. »
Fantasme anti-kabyle
La diatribe n’a pas omis le couplet anti-kabyle, désormais invariant de la vulgate du système algérien.
L’APS dénonce le fait que la télévision publique française aurait ignoré « les 17 autres régions touchées par les incendies, pour n’évoquer que deux wilayas ( Bejaia et Tizi-Ouzou, NDLR ), favorisant ainsi le jeu du mouvement terroriste MAK, de ses protecteurs et des organisations terroristes qui projettent de s’accaparer une région dont ils ont été chassés par la population qui les rejette catégoriquement. » Et de souligner que tout cela résulte d’un complot puisque « l’une de ces marionnettistes ( Karim Amellal, d’origine kabyle NDLR ) occupe la haute fonction d’ambassadeur français et délégué interministériel à la Méditerranée et dont une proche parente est une des “spécialistes” du dénigrement systématique de l’Algérie. »
La stigmatisation du Kabyle, potentiel traitre envers son pays, est ancienne dans le magma politique algérien. Mise à mal par le printemps amazigh d’avril 80 qui a imposé le débat sur la question nationale, la géhenne s’est effacée, du moins publiquement. Depuis quelques années, des agents plus ou moins assumés par les pouvoirs publics relancent l’antienne du péril amazighe ( voir adn-med du 3 juillet ). La nouveauté est qu’avec le général Ahmed Gaid Salah, les institutions endossent à nouveau cette propagande. Une tentation sur laquelle embrayent les successeurs du défunt chef d’Etat-major qui n’ont pas hésité à instrumentaliser une fois de plus les postures du MAK pour faire diversion sur leur propre incurie.
Citadelle assiégée
La réalité est pourtant tragiquement simple. L’Algérie retient l’attention des médias occidentaux, et donc français, en ce sens qu’elle enregistre toujours un grand nombre de morts alors que cette année par exemple, hormis deux pilotes d’un Canadair qui s’est crashé après un largage, la Grèce, en proie à des sinistres tout aussi violents que ceux qui se sont déclarés sur le centre et l’est du pays, n’a déploré aucune victime.
Dans une tribune publiée le 26 juillet dans le quotidien d’Algérie, la journaliste Ghania Moufok ne dit rien d’autre en écrivant : « L’Etat était là mais comme imprévoyant à sauver des gens de chair et dos, les bras ballants en retard sur les feux (…) comme l’an dernier et comme l’an d’avant. » Avant de rappeler : « Au même moment, en Grèce le premier ministre, devant son parlement, déclarait : « la Grèce est en guerre contre les incendies » et un conseil des ministres s’est mis en marche, réuni en urgence. »
Oui mais voilà, pour le pouvoir algérien, les mots n’ont ni le même sens ni la même portée quand ils sont prononcés par l’ancienne puissance coloniale que l’on prie Dieu de toujours préserver pour pouvoir l’accabler éternellement de tous les mots dont souffre l’Algérie.
L’animosité anti-française est une stratégie
Pour faire bonne mesure, les rédacteurs de l’APS se réjouissent de ce qu’en Afrique, si « elle ( la France NDLR) est chaque jour de plus en plus indésirable, elle doit s’en prendre à son groupe de médias, France médias monde, qui sème la haine et incite au chaos. » Une manière à peine voilée de se réjouir du coup d’Etat survenu la veille au Niger ; un putsch que l’Algérie a officiellement condamné mais dont on peut supposer qu’il ne contrarie pas beaucoup ses desseins, elle qui ne rechigne pas à afficher sa proximité avec Moscou pour en renforcer l’influence dans le Sahel ; une perspective vers laquelle semblent s’orienter les nouveaux maîtres de Niamey.
« Jamais depuis l’indépendance, les polémiques contre la France n’ont été aussi violentes, sommaires et répétitives. Cela dit beaucoup du manque de vision du régime mais aussi de la faiblesse de notre personnel diplomatique et médiatique » fait observer cet enseignant de l’Ecole nationale d’administration qui ajoute. « Cette violence insensée peut avoir quelque chose de positif : obliger les uns et les autres à tirer les conclusions qu’appelle cette guerre qui ne dit pas son nom. »