Tunisie : Changement de premier ministre
Dans la soirée de ce premier aout, la présidence de la République a fait savoir par un communiqué lapidaire que le chef de l’Etat avait mis fin aux fonctions de la première ministre Najla Bouden nommée en octobre 2021. Elle aura passé 22 mois à la tête du gouvernement. La même source annonce sobrement qu’elle est remplacée par Ahmed Hachani.
Une femme dans la tourmente
Commis de l’Etat appréciée pour son expertise, Najla Bouden, première tunisienne à avoir occuper cette responsabilité, avait bénéficié d’un préjugé plutôt favorable à son arrivée au palis de la Kasbah. Les observateurs connaissant le tempérament du locataire de Carthage avait alors prédit une nomination alibi destinée à faire diversion sur le coup de force constitutionnel commis trois mois auparavant. Elle aura effectivement exercé son mandat sans initiative ni relief. Il est vrai qu’elle était confrontée quotidiennement aux décisions impromptues voire imprévisibles d’un omniprésident dont les rigidités politiques étaient autant d’entraves subies par les approches techniques et rationnelles d’une première ministre façonnée par une expérience cadrée par la norme administrative. Ces intrusions seront d’ailleurs l’une des raisons qui ont conduit au gel des négociations qu’elle a entamées avec le FMI.
Ces derniers temps, la responsable de l’exécutif était de moins en moins visible. Lors de la signature du mémorandum engageant la Tunisie et l’Union européenne sur les questions migratoires, le chef de l’Etat avait accaparé les lumières au détriment de sa cheffe du gouvernement, alimentant déjà les rumeurs de son départ.
Haine de Bourguiba
Le nouveau promu est, comme le président, un juriste. Certaines sources médiatiques avancent que les deux hommes se sont connus à la faculté de droit de Tunis. Des rencontres qui ne furent cependant pas suffisantes à faire naitre une relation dense puisque le nouveau premier ministre a quitté le monde universitaire pour faire carrière dans le secteur bancaire.
Peu engagé dans la scène politique, Ahmed Hachani, issu d’une mère bretonne et d’un père tunisien, se plait à cultiver l’image d’un homme qui sait montrer une capacité d’écoute envers les franges traditionnelles de la société tunisienne. Signe qui peut avoir son importance auprès d’un Kaïs Saïed qui veut faire tabula rasa du passé, le nouveau chef du gouvernement partage avec le président une haine inextinguible de Bourguiba. Dans un premier temps, cette complicité n’empêche pas la sévérité de son jugement sur son collègue. Dans un post Facebook publié durant la campagne électorale de la présidentielle de 2019 et faisant référence l’interview que Kais Saied venait d’accorder à Echaraa El Maghribi, Ahmed Hachani na pas été tendre avec son collègue : ” En règnant seul comme un calife, il aura main mise sur le pays et son armée de l’ombre contrôlera les rouages de la politique, de l’éducation nationale et de l’économie. L’établissement d’un califat tant rêvé par les islamistes et les terroristes sera enfin réalisé.” Cet avis définitif sera révisé sans état d’âme après le premier tour.
Dans un un long brulot consacré à la démolition systématique de l’héritage de l’ancien président Habib Bourguiba, le contempteur affiche une empathie teintée de condescendance pour le candidat Kaïs Saïed. en qui il voit “un homme droit et loyal, un homme épris de justice” Une occasion pour lui de dresser un réquisitoire sans nuance contre l’ennemi commun où il dépeint celui qui s’est imposé à la postérité comme “le combattant suprême” comme un imposteur entouré « de bandits et de corrompus » qui a mené « une politique despotique, totalitariste », habité qu’il était par « une ambition dévorante » et qui a déstructuré la nation incarnée par une famille deylicale ” acquise au peuple” qui est, selon lui, la seule source qui soit digne d’incarner la Tunisie. La charge n’omet pas de relever les supposées « positions prosionistes » de l’ancien président, une allusion à laquelle il sait Kaïs Saïed sensible. L’offre de service restera sans écho. Ce ne sera que partie remise.
Le nouveau premier ministre plaide pour l’instauration d’une monarchie parlementaire. La proposition risque de faire grincer les dents celui qui l’a fait roi car, si lui aussi travaille à l’effacement méthodique de Bourguiba de la mémoire tunisienne, son rêve est d rester dans l’Histoire comme celui qui a fait naitre la Tunisie moderne.
Des observateurs tunisiens expliquent cet acharnement contre le combattant suprême par le fait que le père d’Ahmed Hachani, alors officier commandant la place de Gafsa, avait été condamné à mort en 1963 suite à une tentative de renversement du régime de Habib Bourguiba.