mardi, novembre 28, 2023
Débats

Soummam : « tournant majeur dans l’histoire de la Révolution algérienne » Par Amar Mohand-Amer, historien, CRASC, Oran

Tout d’abord, il est primordial, pour une bonne intelligibilité de ce moment historique, de prendre en considération trois éléments principaux.

  • La Soummam vient consacrer un processus de ré-organisation conséquent des institutions du FLN
  • La Soummam met fin aux dissensions relatives à la question de direction et de leadership qui se posaient au FLN, depuis le début de la guerre de libération nationale en novembre 1954
  • Enfin, la Soummam transforme le FLN en un parti-Etat (opposé à l’Etat colonial en Algérie)  

Ces trois éléments ne pouvaient constituer une matrice politique et idéologique, sans l’affirmation d’un grand principe que la Soummam va chercher, tant bien que mal, à imposer au FLN et à l’ALN : la primauté de l’intérieur sur l’extérieur.

La réussite du Congrès de la Soummam de 1956 reposait sur une conception, une idée fondamentale : la prééminence de l’intérieur. En d’autres termes, la Révolution ne pouvait être pensée et vécue que si elle était dirigée de l’intérieur du pays ; c’est la philosophie de tous ceux qui ont contribué à l’organisation du Congrès. Cependant, la mise en place de cette conception ne fut pas aisée à réaliser sur le terrain.

Au cours de l’année 1955 et de 1956, un conflit au sommet oppose les deux directions du FLN, celle qui se trouve au Caire et celle qui active à partir d’Alger ; cela sur la question de la légitimité à diriger la Révolution algérienne : légitimité novembriste ou celle de l’intérieur ?

Les membres de l’OS (Organisation spéciale) et les fondateurs du FLN estiment qu’ils sont les plus légitimes à diriger la Révolution. Aussi, Ahmed Ben Bella et Mohamed Boudiaf, notamment, considèrent qu’un « pacte moral » a été signé par les «9», le 1er novembre 1954. C’est ce groupe qui représente la direction du FLN du Caire.

Au Congrès de la Soummam, c’est l’option « Intérieur » qui est avalisée. La direction d’Alger (Ramdane Abane et Mohamed Larbi Ben M’hidi, en particulier) sort consolidée sur les plans politique, militaire et idéologique. Cette consécration a pu se faire car la quasi-totalité des responsables du FLN et de l’ALN en Algérie étaient représentés à Ifri et ont cautionné la Plate-forme de la Soummam et les décisions prises au sujet de la réorganisation de l’ALN et de la constitution des nouvelles institutions du FLN : un exécutif, le Comité de coordination et d’exécution (CCE) et un Parlement, le Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA).

Cette consécration de la Direction d’Alger est le résultat d’un long et difficile processus. Elle (la direction d’Alger) avait engagé, depuis 1955, des tractations avec les cinq zones pour les rallier à sa cause. Ainsi, peut-on lire dans la correspondance datée du 20 janvier 1956, dans laquelle Ramdane Abane informe Ahmed Ben Bella, Mohamed Benyoucef Khider, Mohamed Boudiaf et Hocine Aït Ahmed, que depuis le 1er novembre 1955, Youcef Zighout et les cadres du Nord-Constantinois, réunis en assemblée générale, ont accepté d’« être dirigés politiquement par Alger» (voir Mabrouk Belhocine (2000), Le Courrier Alger-Le Caire 1954-1956 et le Congrès de la Soummam dans la Révolution). Cette correspondance informe sur le travail de fond, d’explication, de négociations, de tractations et de recherche d’alliances qui a été réalisé par Ramdane Abane, Belkacem Krim, Benyoucef Ben Khedda, Saâd Dahlab (et beaucoup d’autres), et Mohamed Larbi Ben M’hidi (après son retour en Algérie), afin que la Direction d’Alger soit adoubée, reconnue et soutenue par les moudjahidine dans les maquis.

Bien que le Congrès de la Soummam ait été un évènement historique et politique qui a permis au FLN et à l’ALN de réaliser un saut qualitatif inédit et de grande ampleur dans l’histoire de la Révolution algérienne, il a été sévèrement critiqué (cela jusqu’à ce jour).

Considérer la Soummam comme une simple réunion et non un Congrès est à mon avis une contre-vérité historique. La Soummam fut un congrès constitutif organisé en plein maquis. A Ifri, fut constitué le socle du FLN : institutions politiques, plate-forme idéologique, organisation de l’ALN…. C’est à ce titre que la réunion de la Soummam devrait d’être considérée comme le seul congrès du FLN, organisé entre 1954 et 1962.

Toutefois, en quittant le pays au début de l’année 1957, le principe de la primauté de l’intérieur sur l’extérieur est, de facto, remis en cause. La Direction d’Alger perd ainsi ce qui faisait sa force et son autorité (légitimité des maquis de l’intérieur), elle en sort fortement affaiblie. Cette décision bouleverse radicalement les rapports de force au sein du FLN et de l’ALN. Au CNRA d’août 1957 au Caire, Ramdane Abane est désavoué politiquement ; le 27 décembre de la même année, il est assassiné au Maroc. Dès lors, le FLN opte pour une nouvelle conception du pouvoir basée sur la primauté du militaire. Belkacem Krim, Abdelhafid Boussouf, Lakhdar Bentobal (les 3 B), et à un degré moindre Amar Ouamrane et Mahmoud Chérif) vont détenir (pour quelques années) l’impérium politique au sein du FLN. Ce basculement met fin à « l’esprit de la Soummam » au sein de la Révolution algérienne et enterre une expérience politique unique dans l’histoire de l’Algérie contemporaine..

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