L’esprit de la Soummam. Par Hassan Aourid*
Il y a le Congrès de la Soummam (août 1956), et il serait hasardeux pour un Marocain de prétendre apporter un quelconque éclairage sur les raisons profondes qui ont présidé à son avènement que sur son déroulé.Néanmoins, il peut parler de l’esprit de la Soummam. L’événement est incontestablement un tournant dans l’histoire de l’Afrique du Nord, et de ce fait, le Congrès et la plate forme qui s’en dégagea, viennent comme un écho à la grande bataille de Muthul, livrée et gagnée par Jugurtha avec son appel : « souvenez vous de votre valeur passée ».
Méfiance officielle
L’esprit de la Soummam inspire toujours, en Algérie bien sûr, mais aussi au-delà. L’observateur extérieur est frappé par la dimension prémonitoire et fondatrice d’une initiative rationnelle et moderne de la structuration institutionnelle et doctrinale de l’insurrection algérienne mais également par la vision qu’il offre du sous-continent nord-africain qui y est assumé comme la matrice d’un accomplissement solidaire et démocratique des peuples de notre région. Cependant, force est de constater, qu’en dépit de cette densité, les assises de la Soummam ne sont pas suffisament présentes dans les radars médiatiques et politiques du Maroc. Mis à part quelques intellectuels de sensibilité amazighe, ou l’Amghar Mahjoubi Aherdan, le sujet ne ressort pas dans le discours de la société civile. En écho à la narration des officiels algériens, on parle du 1er novembre, des événements du 20 aout 55, déclenchés en solidarité avec le Maroc, cette date étant l’anniversaire de la déposition du Roi Mohammed V. Hassan II y avait même fait référence lors d’un discours à l’occasion de ce qui est appelé, la révolution du Roi et du Peuple.
Mohamed Bahi Horma, originaire de Mauritanie et qui a travaillé dans le quotidien « Echaab » ( à Alger) , a publié dans le journal arabophone (al Ittihad al ichtiraki) un article au lendemain du premier congrès amazigh, tenu à Sainte Rome de Dolan en 1995. Le lieu lui rappela la vallée de la Soummam et le Congrès, qui s’y tint. Le reportage de l’auteur ne porte pas moins le stigmate du panarabisme, y compris dans la transcription du mot Soummam, avec un « S » emphatique, (Sad au lieu de Sin). Il avait promis d’écrire une série d’articles sur le Congrès amazigh, avatar du Congrès de la Soummam. Cependant, il n’y eut, au final, qu’un seul écrit ; la rédaction s’étant opposée à un événement qui n’est pas en odeur de sainteté dans les émanations du Mouvement National marocain.
Intérêt du mouvement amazigh marocain
La Soummam constitua et constitue toujours un centre d’intérêt évident pour ses adversaires comme pour ses adeptes. En effet, pour le Mouvement culturel amazigh ( MCA ) marocain, le congrès d’aout 1956 et la plate forme qui en est issue sont perçus comme un moment ouvrant une perspective pour la scoiété libérée de l’arbitraire.
En septembre 2013, des activistes amazighs marocains, fort imprégnés du congrès de la Soummam, décidèrent de s’en inspirer tant du point de vue méthodologique et politique que symbolique. Ils élaborèrent une plate-forme sur l’unité de l’Afrique du Nord et le désir de la projeter dans l’avenir avec une vision moderne, sur des bases laïques. La rencontre devait avoir lieu dans un site escarpé du nom de Tazizaout ( endroit verdoyant) ; c’est là que se déroula la dernière bataille que les Français avaient livrée, aux résistants marocains en août 1934. Les intellectuels amazighs marocains avaient clairement à l’esprit la plateforme de la Soummam. Dans les discussions annexes, les noms des pionniers du Congrès revenaient souvent. La plupart des cadres savaient que le binome Abane Ramdane – Larbi Ben M’hidi en était le moteur. Mais les noms de Krim Belkacem, responsable de la zone de Kabylie où se tint ce regroupement en pleine guerre et Amirouche qui fut la cheville ouvrière de la protection de la rencontre étaient cités avec fierté par les intellectuels amazighs marocains, pour lesquels l’esprit de la Soummam était était garant de tolérance et de cohésion sociale dans un Etat de droit.
Finalement, la plateforme de Tazizaout ne put être déclinée à cause d’indiscrétions et de taupes infiltrées dans les rangs des organisateurs. Les forces de l’ordre quadrillèrent, depuis Tadla jusqu’à Aghbla, le chemin escarpé qui mène à Tazizaout. L’effet de surprise a été désactivé. Les militants recoururent alors à une diversion en improvisant une conférence sur la reine Tin Hinan. Le conférencier, fort subtil, commença tout de go, par soulever deux questions : qui sommes nous, et que voulons-nous devenir ? La réplique vint du plus haut niveau, lors du discours de l’ouverture, du parlement en octobre 2013. Le souverain marocain proclama de manière péremptoire : nous savons qui nous sommes et nous savons où nous allons. La messe est dite.
In fine, Makhzen et esprit de la Soummam ne riment pas ensemble.
Il n’y eut pas de « Soummam marocain ». Il n’y a qu’une Soummam celle qui continue d’inspirer les intellectuels marocains les plus actifs, notamment ceux de sensibilité amazighe.
Autre exemple de la résonnance soummamienne. En mars 2016, devait avoir lieu un hommage dédié à la mémoire d’un activiste amazigh, Omar Khaleq, connu sous le nom de Izem, ( lion ) tué par un étudiant panarabiste. La cérémonie fut organisée dans le hameau natal du martyr, Ikniouène (sud-est du Maroc). Une grande foule fit le déplacement. Une fervente communion rassembla les intellectuels amazighs venus du Rif, du Souss, de l’Atlas, de Kabylie, du Mzab, de Zouara, ( Libye ). Il y avait aussi des Touarègues. Tous se fondirent avec les gens du cru. Seuls les drapeaux amazighs flottaient sur les lieux , et les seuls portraits qui trônaient furent ceux de Khattabi, Assou U Baslam (héros de la bataille de Bougafer) et de Da Lhocine Aït Ahmed (qui venait de décéder). Dans leurs harangues, plusieurs intervenants firent référence à la Soummam.
L’esprit de la Soummam a une dimension transnationale qui renvoie à l’unité de l’Afrique du Nord, qui forme, de fait, une nation. L’esprit de la Soummam invite tout autant à amarrer l’Afrique du Nord à la modernité. Deux grandes idées qui sont toujours à l’ordre du jour. Comment raviver cet esprit, si on ne se remémore pas et si on ne commémore pas solidairement l’événement ? Les habitants de l’Afrique du Nord, sont un. Comment se pourrait-il qu’ils soient divisés ?
*Politologue, enseignant chercheur, Hassan Aourid qui fut haut fonctionnaire marocain pendant vingt ans est également écrivain. Il a notamment écrit plusieurs essais comme Les origines sociales et culturelles du système politique marocain, Pouvoir et religion au Maroc, L’impasse de I ’islamisme au Maroc, Aux origines du marasme arabe, Occident : est-ce le crépuscule ? Et des romans dont le Morisque, Le printemps de Cordoue, Sirat himar, inspiré du livre d’Apulée de Madaure « l’Âne d’Or » écrit en arabe et traduit en français et d’autres langues…
**Les sous-titres sont de la rédaction