mardi, novembre 28, 2023
Débats

Algérie : la politique du thermomètre. Par Djaffar Lakhdari*

« Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées. » Ce fameux mot de Winston Churchill semble avoir inspiré la récente décision de modifier la méthode de calcul du PIB sans donner les nécessaires précisions sur ce nouveau procédé d’évaluation. 

Les normes de l’informel s’imposent

On sait seulement que ce qui explique la hausse spectaculaire du nouveau PIB qui passe pour l’année 2022 de 187 milliards de $, selon l’estimation de la Banque Mondiale, à 233 milliards de $, est l’intégration dans le calcul du nouveau PIB du secteur informel que les économistes estiment représenter environ 30% du PIB, soit près de la moitié du PIB hors hydrocarbures.

Le débat sur la fiabilité du PIB est aussi vieux que la notion de PIB. On critique généralement le fait de ne comptabiliser que les services marchands déclarés en ignorant les travaux non rémunérés, les travaux domestiques par exemple, ou le bénévolat. 

On lui reproche surtout d’ignorer les externalités engendrées par l’acte de produire, en particulier la pollution, qui introduisent un biais majeur dans son appréciation. Ainsi, le coût effectif d’un environnement saccagé par une pollution industrielle peut être très supérieur au gain induit par la production qui l’a causé.

Enfin, comparer les PIB courants des pays n’a pas grande signification si on ne tient pas compte du pouvoir d’achat effectif et donc du niveau général des prix si différents d’une zone à une autre.

Car l’un des intérêts majeurs du PIB, c’est, d’une part, de pouvoir mesurer la croissance d’un pays sur une période donnée ; d’autre part, de pouvoir comparer cette évolution à celle d’autres nations et procéder à des classifications.

En dépit de ses limites avérées (il n’existera probablement jamais d’indicateur synthétique parfait), le PIB est l’indicateur majeur qui permet de dresser le bilan économique d’un pays, de le situer, de le comparer, en termes de taille dans son environnement régional et international.

Voilà pourquoi le PIB a fait l’objet au sein d’instances internationales telles que la Banque Mondiale ou le FMI d’une définition unique, consensuelle mais évolutive.

On est ainsi passé dans les années 90 de la notion de PNB (Produit national brut) à celle de PIB (Produit intérieur brut), défini comme la somme des valeurs ajoutées produites dans un pays donné, comme principal indicateur de la richesse qui y est produite. 

PIB, le nécessaire consensus international

Dans les années 90, on a aussi rajouté, de manière concertée, la notion de PIB en parité de pouvoir d’achat (PPA) qui modifie le calcul du PIB en tenant compte des différences de ce pouvoir d’achat, donnant ainsi une information plus fiable sur la richesse réelle produite par un Etat.  Dans le cas de l’Algérie, le PIB en PPA fait plus que doubler l’évaluation de la richesse produite. En 2022, le PIB courant est évalué à 187 milliards de $, le PIB en PPA à 502 milliards de $ (source : Banque Mondiale).

D’autres améliorations de cet indice pourraient être réalisées, en particulier l’internalisation des externalités et la prise en compte des travaux non marchands et/ou non comptabilisés.

Le secteur informel devrait ainsi être concerné par ces adaptations de l’indice, en particulier dans les pays en voie de développement qui ont tous un important secteur informel, ou plus généralement, lorsque son importance économique est telle que sa non-prise en compte risque de fausser les calculs et les estimations macroéconomiques. Selon une étude de la Banque Mondiale de 2021, l’informel représente environ 70% de l’emploi total dans les pays émergents et plus d’un tiers du PIB.

Des experts de l’OCDE ont même proposé d’intégrer, dans le calcul du PIB des pays développés, les activités illicites telles que le trafic de stupéfiants ou la prostitution, tant les montants concernés sont si importants qu’on ne peut plus les ignorer d’un point de vue strictement économique…

Mauvais remède

Cependant, même imparfaite, la méthode actuelle de calcul du PIB utilisée par les instances internationales telles que la BM ou le FMI ne peut être modifiée unilatéralement sauf à prendre le risque de laisser ces dernières produire leurs propres évaluations (sur quelles bases ?) qui seront très différentes du PIB officiel et interdire toute possibilité d’analyse comparative des économies. Le crédit déjà très faible des autorités du fait de l’opacité qui entoure l’information économique n’en sera que plus affecté.

L’évolution de la définition du PIB ne peut être que concertée et consensuelle au niveau international. 

On peut comprendre le souci de montrer un bilan économique plus élogieux, en particulier après la déconvenue du refus de l’adhésion aux BRICS. De fait, l’Algérie a le potentiel d’être une économie émergente, c’est-à-dire capable d’avoir un taux de croissance de plus de 8% par an sur une longue durée, mais pour cela il faut être en mesure de lever les obstacles structurels internes qui empêchent l’économie algérienne de se développer ; obstacles clairement identifiés depuis des décennies. Le poids excessif de l’Etat et de sa bureaucratie sur l’économie étant l’obstacle le plus important. Or celui-ci ne cesse de se renforcer comme le montre l’actualité récente.

Ce n’est pas en modifiant les méthodes de calcul du PIB qu’on fait croître une économie. Briser le thermomètre n’a jamais fait chuter la température.

*Economiste

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