EDITORIAL. Une robe n’est pas un bout de tissu
« Ce n’est qu’un jeune assistant qui a cru bien faire en refusant à une jeune lycéenne le port de la robe kabyle qu’il jugeait indécente », a plaidé le proviseur du lycée d’El Kseur où s’est produit un événement dont la communauté kabyle a bien compris la douloureuse signification.
Mais c’est justement cette sincère conviction qui pose problème. Qu’est-ce qui se passe dans la tête d’un jeune Kabyle pour être convaincu que l’habit que portait sa sœur ou sa mère le matin dans la demeure familiale devenait indécent quand il était observé dans un établissement public. La honte d’un soi compris comme un débris de la civilisation réduit à survivre dans une intimité clandestine avant de disparaître pour que s’accomplisse enfin la norme salvatrice de l’arabo-islamisme.
Deux mouvements meurtriers cisaillent l’esprit de cette jeunesse. Il y a le discours officiel qui assimile au terrorisme tout ce qui évoque de près ou de loin la dimension amazighe. Relayant cette politique, l’islamisme scolaire et politique imprègne les mentalités de l’enfance kabyle. On peut supposer qu’il ne serait pas venu à l’idée du jeune assistant de l’éducation de dire à une fille portant un hijab que son habit était indécent ou étranger. Quand un individu intègre son exclusion dans l’espace public et institutionnel, c’est qu’il est aliéné au point de devenir un segment mort pour sa communauté. Ou plus grave, il en est le pire des adversaires puisqu’il la mutile activement de l’intérieur.
L’outrage du jeune d’El Kseur est bien plus préoccupant que s’il avait été commis par un acteur extérieur à la région ; auquel cas, il aurait alors revêtu l’aspect d’une agression exécutée par un agent exogène qu’il est plus facile d’isoler et de combattre.
La volonté de banaliser cette affaire n’est ni innocente ni accidentelle. Du reste, les populations qui ont décidé d’y répondre par une mobilisation massive à forte charge symbolique ne s’y sont pas trompées.
La Kabylie est coincée entre un pouvoir radicalisé par une réimmersion panarabiste primaire et un islamisme qui infuse sournoisement dans ses structures institutionnelles mais aussi traditionnelles. Les enterrements comme les fêtes ou les autres actes de la vie quotidienne sont scrupuleusement suivis par des instances médiatiques plus ou moins puissantes du net qui font investir des espaces sociaux livrés au désœuvrement ou au discours abusif d’un radicalisme racialiste. Deux fléaux aussi nocifs l’un que l’autre.
La faute d’El Kseur qui dit beaucoup des menaces qui pèsent sur la Kabylie donne aussi à voir une résilience salutaire qu’il importe désormais de valoriser par une approche lucide et rationalisée. Elle dit aussi beaucoup de cette Algérie qui se fossilise dans un arabo-islamsime régénéré par Ahmed Gaid Salah et amplifié par l’équipe qui sévit actuellement dans le pays.
On a souvent dit que la Kabylie était, pour le meilleur et pour le pire, le laboratoire politique de l’Algérie. A son corps défendant, un jeune assistant de l’éducation d’El Kseur vient de nous rappeler un élémentaire mais capital enseignement.