Hela Ouardi analyse le malaise de l’islam dans la modernité
C’est devant une salle archicomble que l’universitaire tunisienne Hela Ouardi a disséqué les enjeux liés à « la figure énigmatique du prophète de l’islam », dans une conférence organisée samedi par l’Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité, en collaboration avec le Café littéraire de Montréal.
La conférencière a d’emblée posé la question de savoir comment se faisait-il que les écrits des compagnons du prophète ne soient pas légués à la postérité. Cette absence de documents biographiques du prophète Mohamed est devenue un dilemme pour les islamologues, alors que le livre de la tradition musulmane est truffé d’approximations, ce qui rend pratiquement impossible de retrouver des éléments de sa biographie.
« Il devient pratiquement impossible d’écrire une seule phrase dans la biographie de Mohamed », a indiqué Mme Ouardi qui révèle que la tradition musulmane est, par exemple, incapable de se prononcer sur la cause de sa mort.
La spécialiste a noté des passages caviardés dans la tradition musulmane, suggérant une certaine dichotomie dans le parcours du prophète Mohamed.
Ainsi, on remarque dans la période mecquoise un Mohamed pieux dans sa prédiction pacifique et spirituelle appelant à une nouvelle foi et monogame avec une seule épouse qui lui donna sept enfants et la période plus mouvementée de Médine où le schéma s’inverse avec une polygamie qui ne lui donna aucun enfant et le pacifisme de sa démarche qui céda la place à des tentations violentes en raison d’une politique foncièrement belliciste, selon des éléments biographiques contradictoires.
Ce manque de fiabilité des sources musulmanes n’est pas fait pour aider les islamologues à quêter un Mohamed historique par une approche critique, se désole la conférencière.
En revanche, explique Mme Ouardi, l’exploration de sources non musulmanes contemporaines de l’avènement de l’islam apportent des éclairages importants avec notamment des prospections archéologiques qui pourraient provoquer une jonction des études islamiques avec l’Histoire.
L’auteure des « Derniers jours de Muhammad » émet l’hypothèse d’un Hidjaz influencé par la culture chrétienne, ce qui remet en cause la naissance de l’islam dans un milieu païen comme soutenu par la tradition musulmane.
Or, l’Arabie préislamique n’était pas une société ignorante et anarchique et avait des liens économiques et culturels avec l’Orient méditerranéen.
« La tradition musulmane est un grand édifice textuel tardif tendancieux et suspect dans lequel les légendes pieuses se mêlent à des données en apparence historiques mais invérifiables », a-t-elle observé.
Le contraste entre les deux périodes nous donne l’impression qu’on a affaire à deux personnages différents, selon l’universitaire.
Les deux images véhiculées dans les témoignages foisonnant de contradictions montrent à la fois un homme pieux et bienveillant aux antipodes d’un personnage cruel ordonnant les massacres.
D’où la nécessiteé d’études sérieuses pour tenter de « déterrer l’Homme enseveli sous la légende religieuse », a mentionné Mme Ouardi pour qui la recherche actuelle sur le début de l’islam est en train de dégager Mohamed de la légende et de le ramener petit à petit vers l’Histoire, vers le temps humain.
« Dans le monde musulman, toute voix qui essaie de ramener Mohamed à la réalité historique est invectivée, stigmatisée pour ne pas dire éliminée », a-t-elle déploré, ajoutant que toute exploration de la genèse historique de l’islam est perçue comme menaçante par les musulmans.
Ainsi, le Mohamed historique se retrouve enlisé dans les sables mouvants du dogmatisme religieux qui entretient volontairement le mystère autour du prophète, le coupant de l’Histoire pour en faire un mythe, selon l’analyse de Ouardi.
« Cette immersion dans les origines de l’islam à travers la figure mystérieuse de son fondateur aura été en fait une manière de sonder les sources du malaise que cette religion suscite à notre époque », a relevé la conférencière qui s’interroge si la violence religieuse n’est pas une dérive fanatique.
Lors des débats, la conférencière a tenté d’expliciter certains concepts en répondant aux nombreuses interrogations du public, concluant que « le malaise de l’islam dans la modernité n’est pas de nature idéologique mais épistémologique ».
De Montréal : Younes Lamri